Boscs-Plateaux, Françoise des: Un parti hispanique à Rome ? Ascension des élites hispaniques et pouvoir politique d’Auguste à Hadrien (27 av. J.-C. - 138 ap. J.-C.), 763 pp, 17 x 24 cm, 45 euros
(Casa de Velázquez, Madrid 2008)
 
Compte rendu par Laurent Lamoine, Université Blaise-Pascal (Clermont II)
 
Nombre de mots : 951 mots
Publié en ligne le 2009-02-16
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=502
 
 

On ne peut que saluer l’étude monumentale de Françoise des Boscs-Plateaux sur les sénateurs et les chevaliers romains d’origine hispanique (c’est-à-dire descendants d’immigrés italiens – Hispanienses – et indigènes romanisés – Hispani –), entre Auguste et Hadrien, présentée comme le bilan à la fois d’une recherche doctorale et de son approfondissement depuis la date de soutenance (1996). Elle est constituée par une synthèse et des répertoires prosopographiques (à partir de la p. 433s : 138 sénateurs et chevaliers admis au Sénats ; 135 chevaliers) ; un index onomastique permet de naviguer aisément dans l’ensemble de l’ouvrage.
La synthèse comporte trois parties : la première est consacrée aux questions des origines et de la répartition géographique des sénateurs et des chevaliers ibériques et à l’accès à l’ordre équestre des Hispaniques, la deuxième examine les fondements économiques et sociaux (réseaux familiaux, patronages) des élites hispano-romaines et la troisième s’intéresse au service public impérial des chevaliers et des sénateurs hispaniques et à la question de l’existence d’un « parti » hispanique à Rome. Afin de faire ressortir les points forts, Françoise des Boscs-Plateaux n’hésite pas à utiliser abondamment cartes, tableaux (45 au total), diagrammes et autres schémas. Aux pages 421-432 (Annexe IV, fig. 5-9), elle donne des représentations schématiques de quatre réseaux d’alliances concernant des sénateurs, et propose un « stemma des familles impériales hispaniques » (fig. 9) après s’être fondée sur une nouvelle analyse du « testament de Dasumius », en fait de Cn. Domitius Tullus (CIL, VI, 10229 add et AE, 1976, 77). À propos de ce document remarquable, l’auteur a su faire son miel des études antérieures, en particulier de celles de Werner Eck de 1978 [dans ZPE, 30, p. 277-295] et de Ginette Di Vita-Évrard de 1989 [dans Epigrafía jurídica romana. Actas del coloquio internacional AIEGL, Pamplona, p. 159-174]. Parmi les héritiers, quel que soit leur rang dans le testament, il faut compter désormais plusieurs membres des dynasties flavienne et antonine : la veuve de Domitien, Hadrien et ses deux sœurs, la grand-mère et la mère de Marc Aurèle (p. 489-492 entre autres). Françoise des Boscs-Plateaux fournit un répertoire des sources et une bibliographie très étoffée (p. 319-381) où seul un esprit chagrin pourrait s’amuser à dénicher ici ou là une référence ignorée. Signalons enfin que l’ouvrage possède un résumé en français (p. 717-722) et deux autres en espagnol et en anglais.

Françoise des Boscs-Plateaux confirme le développement d’un « lobby » sénatorial de « coloration ibérique » à Rome entre Auguste et Trajan (avec des moments d’accélération sous Néron et Domitien), qui se maintient sous Hadrien avant de devenir plus discret. Ce sont des sénateurs, plutôt originaires des colonies de Bétique, descendants donc des Italiens installés dans la province depuis la République, qui ont orienté tôt leurs alliances familiales et leurs investissements terriens en direction de la Narbonnaise (au moins au Ier siècle ap. J.-C.) et de l’Italie. Bien entendu, elle revient sur des personnalités aussi célèbres que L. Cornelius Balbus Minor [n° 2], Sénèque [n° 11], L. Licinius Sura [n° 50] ou les empereurs « hispaniques » eux-mêmes qui bénéficient aussi de notices prosopographiques (n° 59 pour Trajan, n° 84 pour Hadrien). Les sénateurs hispaniques ont été les premiers à bénéficier de l’essor économique (les premiers sénateurs connus semblent liés au commerce oléicole) ; une fois bien installés à Rome, ils ont remplacé comme patrons dans la péninsule ibérique les non-Hispaniques (voir en particulier les pages sur l’importance du patronage de Sénèque, p. 178-182). De rang consulaire, ils possèdent une résidence à Rome ou dans ses environs. Leurs évergésies peuvent être considérables : dès l’époque augustéenne, Cornelius Balbus pouvait offrir à la fois le réaménagement du port de Gadès et la construction d’un théâtre à Rome. Une minorité de chevaliers, tournée vers le service de l’Empire, peut être rattachée à ce « parti » sénatorial (on peut penser par exemple à C. Turranius Gracilis [n° 147], préfet de l’annone d’Auguste à Claude).
Cependant le résultat le plus précieux peut-être de cette étude réside dans la démonstration de l’existence d’une solide élite d’equites municipales, fondée sur un « recrutement ouvert et diffus » (cependant deux tiers sont issus de la Tarraconaise), en direction des indigènes de la péninsule et sur un « ancrage local des relations et des responsabilités » dont l’obtention du flaminat provincial constitue l’acmé. Ces chevaliers (comme les sénateurs) ont profité de la formidable expansion économique qu’a connue la péninsule entre la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. et le milieu du IIe siècle ap. J.-C., fondée sur l’exploitation et l’exportation des ressources agricoles (vin, huile), de la mer (salaisons de poissons) et minières, et sur la production artisanale liée à la propriété foncière (céramique). À cet égard, le chapitre IV (« La richesse », p. 105-144) est une belle réussite qui donne accès en outre aux résultats de la recherche archéologique espagnole récente. Les fruits de ce développement économique, entre les mains de ces chevaliers municipaux, expliquent l’acclimatation dans la péninsule ibérique de la villa et de l’évergétisme. Signalons pour ce dernier qu’à côté d’évergésies particulièrement onéreuses, souvent le fait de chevaliers qui ont accompli une carrière équestre - M. Calpurnius Seneca [n° 248], qui termina préfet de la flotte de Misène en 134 ap. J.-C. avant de s’en retourner chez lui en Bétique, offre entre autres dons une statue de Junon d’une valeur de cent mille sesterces, indice de la richesse et sans doute de l’implication du personnage dans « l’exploitation des mines de plomb argentifère de la Sierra Morena » -, la majorité des cas avérés concerne la prise en charge financière de l’érection d’une statue votée par décret des décurions.

Le travail de Françoise des Boscs-Plateaux s’insère dans l’une des dynamiques actuelles de l’histoire sociale du monde romain, fondée sur les études prosopographiques des élites équestres et sénatoriales à l’échelle des provinces ; citons pour mémoire et pour les Gaules la publication contemporaine d’Yves Burnand sur les Primores Galliarum (Bruxelles, 2005/2007). Il s’inscrit parfaitement dans le désir de la communauté scientifique de voir poursuivie l’œuvre tutélaire du colloque Epigrafia e ordine senatorio de Rome de 1981 (paru en 1982) sur les sénateurs romains et leur origine. Il participe, par le biais de l’origine provinciale comme point de départ des investigations, à l’approfondissement de la connaissance des milieux équestres. L’ouvrage de Françoise des Boscs-Plateaux est ainsi utile autant aux spécialistes de l’État romain impérial qu’à ceux qui s’intéressent aux sociétés provinciales et locales.