André, Jean-Marie: Hispanité et romanité, 194 pp, 17 x 24 cm, 20 euros
(Casa de Velázquez, Madrid 2004)
 
Compte rendu par David Colling, Université Catholique de Louvain
 
Nombre de mots : 1520 mots
Publié en ligne le 2009-02-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=503
 
 

À la lecture du titre de cet ouvrage, comment ne pas songer, de manière générale, à toutes les questions qui gravitent autour de la romanisation, en Espagne ou ailleurs ? De prime abord, l’on aurait pu imaginer que le livre ferait le point sur les traits caractéristiques ainsi que sur les sentiments d’appartenance traditionnels propres aux Romains et aux Ibères durant l’Antiquité, tout en présentant le résultat de la rencontre de ces deux peuples. Un titre moins général, voire un sous-titre, auraient sans doute permis de mieux en définir la teneur. Des précisions sont néanmoins apportées par Jean-Marie André dans un bref chapitre introductif : « Ni le colloque, ni son prolongement éditorial ne prétendent être une somme consacrée à la romanisation de l’Espagne. Il nous suffit d’illustrer, par quelques exemples phares, la présence culturelle de Rome dans la péninsule ibérique et sa spécificité ».

Le lecteur est donc en présence d’un ouvrage collectif, fruit des échanges communiqués lors du colloque Hispanité et romanité, organisé par l’Université de Paris-Sorbonne à l’automne 1999, qui s’est tenu à la fois à Barcelone et à Paris. Les interventions abordent essentiellement l’étude des auteurs latins originaires d’Hispanie, ou ayant traité directement ou indirectement de la péninsule ibérique ou des Ibères face à Rome. À travers leur œuvre, c’est une certaine vision de la romanisation qui est proposée, basée essentiellement sur la littérature latine.

La première contribution de l’ouvrage (p. 1-16) n’est autre que la réédition d’un article de Jean-Marie André, paru en 1999 dans la Revue des études latines, et intitulé Les Sénèques et l’Espagne (p. 1-16). L’A. y analyse les éléments de la rhétorique espagnole qui abordent les traditions gréco-romaines et tente de répondre à la question de savoir s’il existait une certaine forme d’« hispanisme » en matière oratoire, tout comme on parle d’asianisme. Il arrive à la conclusion que les images fort disséminées de l’Espagne dans l’univers des rhéteurs espagnols sont la preuve d’une intégration totale des esprits hispaniques à la civilisation romaine.

Marie-Françoise Baslez propose ensuite un article sur L’Espagne dans l’horizon des Grecs et des Orientaux hellénisés aux trois premiers siècles de l’Empire (p. 17-28). La représentation que les Orientaux pouvaient avoir de l’Espagne durant la période républicaine pouvait souvent se limiter aux récits mythologiques entourant les colonnes d’Hercule. Mais avec son incorporation dans l’Empire romain et l’homogénéisation du monde méditerranéen, cette vision change radicalement et les Grecs considèrent peu à peu la péninsule ibérique comme intégrée culturellement au monde hellénique.

La contribution de Dominique Briquel est intitulée L’utilisation de la figure d’Héraklès par Hannibal. Remarques sur les fragments de Silènos de Kaléaktè (p. 29-38). L’A. a choisi d’utiliser les informations fournies par le Grec Silènos, appartenant au camp d’Hannibal, pour aborder une image du général carthaginois qui ne soit pas entachée du parti pris défavorable des auteurs latins. Cette étude permet d’appréhender la propagande qu’Hannibal, présenté comme un nouvel Héraklès, dut entretenir pour traverser les Alpes et marcher sur Rome.

Elisabeth Cardon choisit d’aborder Le patronat municipal en Bétique et en Tarraconaise sous les premiers Julio-Claudiens : un exemple de loyalisme dynastique (p. 39-58). Le but est ici de tenter de comprendre pourquoi certaines cités de la péninsule ibérique ont choisi l’empereur ou un membre de la famille impériale comme patron. L’A. y voit une volonté de la part de la cité de reconnaître dans la personne impériale un véritable protecteur de la cité, voire un père. Le fait que cette pratique s’arrête à partir du moment où l’empereur revêt le titre de Pater patriae renforce cette hypothèse.

Régine Chambert propose deux conceptions très différentes de l’Espagne à travers deux œuvres littéraires importantes. Son article, L’Espagne de Lucain et de Martial (p. 59-80), expose tant la vision nostalgique de l’auteur des Épigrammes sur le pays de son enfance, que l’évocation théâtrale des combats de la guerre civile de l’auteur de la Pharsale. Les relations personnelles qui transparaissent entre les auteurs et leur péninsule natale se révèlent radicalement différentes. Cet article est intéressant à lire en parallèle avec celui de Giovanna Galimberti Biffino, présenté plus bas.

Dans sa contribution intitulée L’esthétique théâtrale des tragédies de Sénèque : un style hispano-latin ? (p. 81-94), Jacqueline Dantel tente de repérer les traces d’hispanité dans les pièces de Sénèque. L’étude de la forme n’intervient nullement dans son investigation, étant donné que ni la langue ni le style ne laissent clairement supposer une origine géographique particulière. Par contre, L’A. semble déceler une marque hispanique dans la « sensibilité exacerbée que [Sénèque] montre à autopsier les tourments les plus inavouables d’êtres que leurs passions et crimes les plus grands conduisent jusqu’à la folie ».

Giovanna Galimberti Biffino s’arrête un moment sur Le bellum Hispaniense dans la Pharsale de Lucain (p. 95-108). C’est, pour elle, l’occasion d’analyser plus en détail le rôle des différents protagonistes de la guerre civile, en particulier en Espagne. L’A. met en évidence le contraste que Lucain voulait montrer entre l’état d’esprit de chaos qui pouvait exister à l’époque des guerres civiles et la pacification de l’Empire existant durant l’époque néronienne.

L’épigraphie est abordée uniquement par Joan Gómez Pallarès, et selon une approche bien particulière. Intitulé Poésie épigraphique en Hispania : propositions et lectures (p. 109-140), cet article constitue une première approche du fascicule 2, Hispania du CIL XVIII, qui sera consacré aux Carmina Latina Epigraphica. L’A. présente ici l’édition de textes choisis, accompagnés de leurs commentaires. Les textes retenus proviennent essentiellement des régions de l’est de la péninsule ainsi que des îles Baléares.

L’Espagne dans le lyrisme augustéen
(p. 141-160), d’Hélène Karamalengou, analyse les éléments idéologiques repérables dans l’image que les poètes proposent de l’Espagne. En outre, l’A. tente de comprendre la raison de cette présence de l’Espagne dans leurs œuvres, ainsi que le processus de transformation d’un sujet de caractère épique en un sujet de caractère lyrique. L’article montre ainsi combien et comment la problématique de l’Espagne exprimée par les poètes participe au mouvement culturel augustéen général.

Pierre Laurens relève un défi intéressant sous le titre Martial et Sénèque : affinités entre deux Latins d’Espagne (p. 161-176) ; il entend mettre en exergue les traits que leur commune patrie, l’Espagne, a souvent réunis dans un même hommage. L’exercice n’est pas simple dans la mesure où, de prime abord, leur origine est leur seul point commun. Toutefois, l’A. met en évidence les convergences, tant au niveau du style de l’écriture qu’au niveau des idées et de la philosophie, tantôt clairement exprimée, tantôt suggérée.

L’article de José Martínez Gázquez intitulé Livio e Hispania (p. 177-188) analyse les différents passages où l’Espagne est abordée dans l’œuvre de Tite-Live, essentiellement du point de vue des guerres puniques et du lent processus de romanisation. Son analyse inclut l’édition de nombreux passages de Tite-Live qui viennent illustrer son propos.

Enfin, en guise de contribution conclusive, Alain Michel propose L’Espagne dans la tradition latine : de Sénèque à Unamuno (p. 189-194). Son analyse permet de sortir des limites chronologiques antiques, et d’étudier l’évolution d’un certain esthétisme littéraire hérité de Sénèque.

On regrettera peut-être le manque d’ouverture vers d’autres sources, par exemple épigraphiques – à l’exception de la contribution de Joan Gómez Pallarès – ou archéologiques, pour évoquer l’intégration de l’Hispanie dans le giron de Rome. Heureusement, le lecteur aura le loisir de pousser plus loin ses investigations, notamment dans deux sommes récentes consacrées pour la première à la notion d’origo, pour la seconde à la rencontre des sociétés hispaniques et romaines durant l’époque républicaine. La première de ces sommes (1), utilise tant l’épigraphie que les sources littéraires et juridiques pour tenter d’établir les différences et les relations qui existent entre les notions d’ « origine » et de « commune patrie » ; ces notions peuvent, bien entendu, être appliquées aux territoires hispaniques. La seconde (2) aborde le processus de romanisation à travers le prisme de la présence militaire romaine dans la péninsule ibérique à la fin de l’époque républicaine, notamment par une nouvelle approche des sources archéologiques.

 

Sommaire :
Jean-Marie André, Hispanité et romanité, p. 1-16
Marie-Françoise Baslez, L’Espagne dans l’horizon des Grecs et des Orientaux hellénisés aux trois premiers siècles de l’Empire, p. 17-28
Dominique Briquel, L’utilisation de la figure d’Héraklès par Hannibal. Remarques sur les fragments de Silènos de Kaléaktè, p. 29-38
Elisabeth Cardon, Le patronat municipal en Bétique et en Tarraconaise sous les premiers Julio-Claudiens : un exemple de loyalisme dynastique, p. 39-58
Régine Chambert, L’Espagne de Lucain et de Martial, p. 59-80
Jacqueline Dantel, L’esthétique théâtrale des tragédies de Sénèque : un style hispano-latin ?, p. 81-94
Giovanna Galimberti Biffino, Le bellum Hispaniense dans la Pharsale de Lucain, p. 95-108
Joan Gómez Pallarès, Poésie épigraphique en Hispania : propositions et lectures, p. 109-140
Hélène Karamalengou, L’Espagne dans le lyrisme augustéen, p. 141-160
Pierre Laurens, Martial et Sénèque : affinités entre deux Latins d’Espagne, p. 161-176
José Martínez Gázquez, Livio e Hispania, p. 177-188
Alain Michel, L’Espagne dans la tradition latine : de Sénèque à Unamuno, p. 189-194


(1) THOMAS Y., « Origine » et « commune patrie ». Étude de droit public romain (89 av. J.-C. – 212 ap. J.-C.), Rome, 1996. (Collection de l’École française de Rome, 221).
(2) CADIOU Fr., « Hibera in terra miles » : Les armées romaines et la conquête de l’Hispanie sous la République (218-45 av. J.-C.), Madrid, 2008 (Bibliothèque de la Casa de Velázquez, vol. 38).