Domergue, Claude: Les Mines Antiques. La production des métaux aux époques grecque et romaine (Antiqua, 11). 240 pages, 17X24 cm, 140 illustrations dont 14 en couleur, ISBN : 978-2-7084-0800-5, 53 euros
(Éditions Picard, Paris 2008)
 
Recensione di Maxence Segard, Université de Provence-CNRS
 
Numero di parole: 2195 parole
Pubblicato on line il 2009-03-24
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=504
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Cet ouvrage de Claude Domergue consacré aux mines antiques (grecques et romaines) vient combler une importante lacune dans la bibliographie, aucune synthèse en français n’ayant été dédiée à ces questions. Il s’inscrit dans une collection (Antiqua) des Éditions Éditions Picard dont on connaît la qualité des ouvrages. Celui-ci est de grand format, richement décoré (126 illustrations pour 240 pages dont un cahier de 16 pages en couleur), et dispose d’un lexique, d’un index des noms de lieu et d’une bibliographie complète. Très abouti et parfaitement réussi sur le plan formel, l’ouvrage est avant tout une réussite scientifique : il s’agit de la première synthèse sur la question des mines qui intègre à la fois les données issues des sources écrites et le corpus considérable de données archéologiques, dont l’enrichissement important depuis la fin des années 1970 est en grande partie dû aux travaux fondateurs de l’auteur. L’ambition de Claude Domergue dépasse même le cas précis de l’exploitation minière, puisqu’il consacre un chapitre aux procédés de transformation des différents types de minerai. Très complet, l’ouvrage évite cependant la tentation de l’exhaustivité en réduisant son champ chronologique et géographique aux mondes grec et romain, contrairement à certaines synthèses souvent citées qui présentent une approche plus générale sur les technologies (R. J. Forbes, Studies in ancient technology, 1967) ou dans lesquelles on retrouve des exemples du monde entier pour un arc chronologique plus vaste que les époques grecque et romaine (P. Craddock, Early metal mining and production, 1995).


Développé autour de thèmes transversaux, l’ouvrage présente pour chacun des sous-parties consacrées aux mondes grec et romain et à leurs spécificités, mais également aux continuités et aux emprunts qui ont existé, notamment dans les solutions techniques employées pour extraire le minerai. Ces allers-retours géographiques et chronologiques, mais également la faculté de l’auteur à changer d’échelle donnent constamment la possibilité de replacer des vestiges ou des textes dans un cadre plus large, et de façon générale de repositionner la question minière dans le cadre d’enjeux stratégiques, économiques et techniques.

L’ouvrage est divisé en huit parties :

I.    Regards croisés sur les mines antiques.
II.    La géologie minière des Anciens. Les types de gisements métallifères exploités.
III.    Les mines du monde antique : géographie et chronologie.
IV.    La prospection minière. Les mines souterraines.
V.    Les mines à ciel ouvert.
VI.    Les techniques minéralurgiques et métallurgiques.
VII.    L’organisation des mines dans les mondes grec et romain.
VIII.    La fin des mines antiques.

Si les chapitres correspondent à autant de grands thèmes qu’on peut attendre d’un tel ouvrage (les aspects géologiques, les techniques d’extraction et de traitement du minerai, la géographie et la chronologie des mines, l’administration des mines), il en est tout autre de la première partie. Intitulée « Regards croisés sur les mines antiques », elle s’organise autour de quelques questions aussi variées que l’attitude morale et religieuse des Anciens devant les mines et les métaux, la place de l’humaniste Georgius Agricola dans les recherches sur les mines antiques ou encore l’impact des mines sur l’environnement (pollution, déboisements). Cette partie introductive, qui pourrait paraître hétéroclite au premier abord, s’avère en réalité très originale, instructive et précieuse pour la lecture de l’ensemble de l’ouvrage. Elle offre d’abord la possibilité d’évoquer des questions rarement abordées ou qui auraient difficilement trouvé leur place dans une autre partie. Elle permet en même temps d’éviter l’écueil d’une partie consacrée exclusivement à l’historiographie de la recherche sur les mines antiques, celle-ci se retrouvant disséminée au fil de l’ouvrage.
Les autres parties offrent une vision générale des activités minières antiques suivant un plan logique. L’auteur y passe avec aisance des aspects techniques qui relèvent de la géologie (le type de minerais, de filons, les processus chimiques lors des activités métallurgiques, …) et de l’archéologie (les types d’exploitation, les techniques, l’outillage…) aux questions historiques (statut des mines, administration, enjeux stratégiques du contrôle de la production du métal) fondées sur l’étude des sources écrites. L’ensemble, d’une grande clarté, révèle la parfaite connaissance de l’auteur de la question des mines à travers tous ses aspects. On connaissait bien entendu les travaux de Claude Domergue sur la péninsule ibérique et sur la Gaule, mais c’est ici une véritable synthèse à l’échelle des mondes grec et romain qu’il offre au lecteur. L’auteur ne s’interdit pas par ailleurs quelques incursions vers les périodes antérieures (protohistoire gauloise et ibérique, âge du Bronze en Méditerranée, Égypte pharaonique). Elles permettent en particulier de montrer que des procédés considérés comme des innovations grecques ou romaines peuvent avoir été l’amélioration de techniques observées chez des peuples voisins ou soumis. On le remarque par exemple à travers les interrogations sur les possibles origines alpines de l’utilisation massive de la force hydraulique pour traiter les dépôts alluviaux, connue en Espagne par les vestiges considérables et par les textes. Les aménagements et les monceaux de galets issus du lavage des alluvions aurifères de La Bessa (Piémont) et la relecture des descriptions que fait Strabon de l’exploitation de l’or par les Salasses suggèrent dans ce cas un emprunt de technologies puis leur application dans les districts de la péninsule ibérique à des échelles jusqu’alors inconnues.


Parmi les très nombreux exemples présentés dans l’ouvrage, ce sont principalement les mines du Laurion (pour la Grèce) et celles de la péninsule ibérique (pour la période romaine) qui se taillent la part du lion. Ce choix reflète l’importance de ces gisements dans l’économie antique, mais également celle des vestiges de leur exploitation, bien connus et parfois d’une ampleur considérable. Les développements sur les mines du monde grec, sur lesquelles l’auteur n’a pas travaillé lui-même, sont principalement issus de la synthèse de C. Conophagos sur le Laurion, mais également des travaux allemands sur Thasos et Siphnos. Mais là où il serait aisé de se contenter de reprendre ces travaux, Claude Domergue les complète à la lumière des recherches les plus récentes, par exemple les travaux menés conjointement par des archéologues français et grecs sur les galeries du Laurion. Il en est de même pour les grands sites espagnols, décrits et invoqués à de nombreuses reprises dans les publications sur les mines, pour lesquels l’auteur confronte ses travaux personnels aux recherches qu’ils ont générées depuis maintenant trente ans. Ces sites révèlent l’ampleur qu’a pu prendre l’exploitation minière romaine et l’échelle industrielle de la production et de la commercialisation des métaux. Les vestiges de galeries, les déblais d’exploitation, les aménagements hydrauliques, les machines et les outils, les habitats de mineurs (La Loba, p. 77) y révèlent de véritables districts que les sources écrites permettent de mieux appréhender. Claude Domergue met parfaitement en lumière ces grandes exploitations à travers leurs vestiges et les textes qui décrivent les techniques mises en œuvre (le livre 33 de l’Histoire Naturelle de Pline). Quelques documents épigraphiques, qu’il s’agisse d’estampilles et marques sur des lingots ou de textes plus développés comme le fameux règlement minier de Vipasca (Portugal) mettent en lumière le fonctionnement de ces mines.


Pour autant, Claude Domergue s’appuie également sur ses travaux en France et sur sa connaissance des recherches sur les mines pour présenter des exemples d’exploitations parfois plus modestes, moins bien documentées car peu étudiées, parfois détruites ou mal datées, qui ont existé dans la plupart des régions où du minerai pouvait être exploité. Les exemples français (mines d’or du Limousin, mines de fer de la Montagne Noire, mines d’argent d’Auvergne) témoignent de l’importance de la recherche française dans le développement de l’archéologie minière, à la fois grâce à l’expérience acquise par l’auteur lors de ses recherches en Espagne puis en France, et grâce aux programmes entrepris et soutenus par le Ministère de la Culture. Les autres exemples et la bibliographie présentée en fin d’ouvrage révèlent pour leur part que les avancées méthodologiques des trente dernières années ont généré une véritable de dynamique de recherche et ont conduit dans l’Europe entière à la mise en place de fouilles et de programmes d’études des travaux miniers anciens. Ils montrent en même temps les progrès de la recherche sur les mines depuis qu’on les explore pour les relever, les dessiner, les photographier et en tirer des enseignements sur les techniques employées. On perçoit bien ces avancées à travers les exemples espagnols, où les photographies aériennes puis le parcours et les relevés de terrain ont mis en évidence l’importance des chantiers et surtout les procédés techniques mis en œuvre pour exploiter les gisements alluviaux.  Dans d’autres cas, l’étude des galeries et des réseaux qu’elles forment éclairent sur les stratégies mises en place pour exploiter les filons. Ainsi dans les gisements aurifères de Roşia Montanã (Roumanie), on observait la juxtaposition de galeries en apparence irrégulière et d’autres qui dessinent un réseau plus régulier (p. 108-109). L’examen et la mise en série d’exemples différents montrent qu’il s’agit en réalité de techniques bien distinctes : les galeries irrégulières sont celles liées à l’exploitation et suivent au plus près les veines riches en minerai, tandis que des galeries aux dimensions plus standardisées servaient uniquement aux communications entre filons ou entre chantiers, ce que suggère d’ailleurs une disposition du règlement de Vipasca.

Ce sont aussi ces travaux systématiques menés sur les mines qui permettent aujourd’hui de mieux dater de nombreux travaux anciens et de faire le partage entre la part de ceux qui sont antiques et et de ceux qui sont plus récents, dans la mesure où les techniques employées ont peu changé jusqu’à l’utilisation de la poudre. La troisième partie permet justement de dresser un tableau synthétique des connaissances sur les mines grecques et romaines sur la base de connaissances fiables (vestiges et installations annexes datés, inscriptions). Appuyée par des tableaux présentant les principaux gisements par métal et leur période d’exploitation, elle présente brièvement les gisements connus, leur importance, leur période d’exploitation et leur place dans le marché du métal. Tous les sites présentés dans cette partie et tout au long de l’ouvrage sont également reportées sur des cartes thématiques et chronologiques présentées en début d’ouvrage (p. 16-23). La vision chronologique et spatiale offerte par la série de cartes et de tableaux permet de percevoir clairement les stratégies d’approvisionnement et les circuits du métal. On saisit par exemple mieux l’importance des gisements espagnols à la fin de la République et au début de l’Empire, puis la diversification de l’approvisionnement et leur mise en concurrence avec les gisements des nouvelles provinces (Bretagne, Germanie, Dacie, Balkans).

En dehors d’un court chapitre final en forme d’épilogue d’une histoire des mines antiques (« La fin des mines antiques »), l’ouvrage se termine sur deux parties importantes, consacrées pour l’une aux activités métallurgiques, pour l’autre à l’organisation des mines grecques et romaines. Cette dernière permet de s’écarter des mines comme objets archéologiques pour les replacer au cœur des enjeux dont le métal faisait l’objet dans les mondes grec et romain. Si les sources écrites sont ici largement mises à contribution, elles viennent éclairer des réalités observées sur le terrain qui témoignent d’une véritable organisation des travaux miniers : réseaux organisés de galeries, chaîne opératoire rationalisée (extraction, évacuation des déblais, exhaure), moyens techniques et humains considérables, etc. Les exemples présentés tout au long de l’ouvrage prennent ici une nouvelle signification, car on les comprend dans le cadre plus général de l’économie de la cité, de la province ou de l’Empire. On regrettera seulement l’absence de référence à un double article de Jean Andreau paru en 1989-1990 dans la Revue de Numismatique et qui traitait de façon complète des mêmes questions, y compris celle de la main d’œuvre dans les mines.

En définitive, l’ouvrage de Claude Domergue est une réussite car il gagne le pari d’être à la fois un ouvrage scientifique complet et précis, parfois très technique, et un ouvrage pédagogique riches en exemples. La grande force de ce livre est d’embrasser la question dans son ensemble, sans uniquement se concentrer uniquement sur les mines à travers leurs vestiges archéologiques. Il contentera à la fois le chercheur en quête d’exemples et de comparaisons, et le lecteur désireux de se renseigner sur la question des mines antiques. La richesse de l’illustration, la présence d’un index et d’une bibliographie à jour des travaux les plus récents en font un ouvrage à la fois technique et accessible. On peut dès à présent considérer que cet ouvrage trouvera sa place dans toute bibliographie sur les mines, et, de façon plus générale sur l’économie antique. Il se distingue d’autant plus qu’il n’a aujourd’hui aucun équivalent (ni en français ni dans d’autres langues). Pour qui voulait évoquer les mines antiques jusqu’à maintenant, nulle autre possibilité que de se référer aux publications spécialisées (monographies de sites, actes de colloques) ou aux synthèses de l’auteur lui-même (sa thèse sur la péninsule ibérique, parue en 1990), de P. Craddock (vision générale et qui ne se limite pas à l’Antiquité grecque et romaine), de J. F. Healy (Mining and Metallurgy in the Greek and Roman World, 1977) ou de M. Y. Treister (The Role of Metals in Ancient Greek History, 1996). On dispose aujourd’hui d’un outil qui fait avec bonheur la synthèse complète et complémentaire des différentes sources, qui témoigne des avancées des recherches à travers des exemples nombreux et une bibliographie renouvelée et à jour, et qui n’ignore pas les nouvelles méthodes employées par les archéologues miniers (l’apport de la géochimie du plomb, des carottages glaciaires au Groënland, p. 79-80 et 212-213). Gageons donc que cet ouvrage fera longtemps référence, y compris au-delà de nos frontières.