Berthod, Bernard - Hardouin Fugier, Elisabeth: Les ex-voto de Fourvière, "do ut des", démarches votives lyonnaises, La Taillanderie, 28x23 cm, 100 illustrations, ISBN, 2876293935, 25 euros
(La Taillanderie, Châtillon-sur-Chalaronne 2008)
 
Compte rendu par Stéphane Gomis, Université Blaise Pascal-Clermont II
 
Nombre de mots : 1396 mots
Publié en ligne le 2009-04-06
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=505
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Do ut des (je donne pour que tu donnes), tel est le beau sous-titre qui accompagne cet ouvrage entièrement consacré aux ex-voto de la basilique de la capitale des Gaules. Ses maîtres d’œuvre ne sont plus à présenter. Conservateur du musée de Fourvière et docteur en histoire, Bernard Berthod est reconnu pour la qualité des expositions qu’il organise régulièrement dans cet établissement qui jouxte la basilique lyonnaise. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant l’art religieux et la liturgie. La plupart ont été rédigées en collaboration avec l’autre auteur de ce volume, Elisabeth Hardouin-Fugier. Ce fut notamment le cas avec la parution en 2006, du riche et précieux Dictionnaire des objets de dévotion dans l’Europe catholique. Professeur honoraire d’histoire de l’Art (Université Jean Moulin – Lyon III), Elisabeth Hardouin-Fugier vient également de publier tout récemment un livre remarqué sur l’histoire de la corrida en Europe (lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=140 ).


Ce livre, richement illustré, est plus qu’un catalogue raisonné et commenté des œuvres attachées à cet ex-voto monumental qu’est Notre-Dame de Fourvière. En effet, rappelons que l’édifice a lui-même été érigé à la suite d’un vœu fait au cours de l’été 1870, alors que les troupes prussiennes menaçaient la ville. Comme le proclame un cercle de Lyonnais particulièrement dévots assemblés chez l’un d’entre eux, Paul Brac de la Perrière : « Il faut contraindre la Vierge à nous protéger visiblement contre les dangers intérieurs et extérieurs en lui donnant un témoignage éclatant de notre amour et de notre confiance ».

 

Dans une première partie, les auteurs s’interrogent globalement sur le sens de la démarche votive. Ainsi, ils reviennent sur la définition de l’« ex-voto susceptu », autrement dit « en raison d’un vœu formulé ». Une distinction claire est établie entre l’acte votif et l’acte « gratulatoire », qui insiste sur le déroulement chronologique du geste et sa nature qui seuls permettent de différencier le premier du second. Dans le cas du don « gratulatoire », le donateur n’est pas dans la position de celui qui a recouru en amont à l’intercession. Certes, il remercie après coup la puissance divine de ses bienfaits, mais sans l’avoir expressément sollicitée. Dans l’autre configuration, on voit l’individu invoquer l’intercession céleste au moment même de l’événement, puis accomplir son geste de remerciement après avoir obtenu satisfaction. L’inscription de celui-ci au sein de sociétés attachées à la démarche sacrée du don et du contre-don, en fait une pratique anciennement ancrée dans les mentalités. À juste titre, il est donc bon de rappeler que les ex-voto ne naissent pas avec le monde chrétien. Cependant, ce caractère immémorial ne les protège pas irrémédiablement. Ainsi, au cours du XVIIIe siècle, ils doivent faire face à diverses remises en cause. Les exemples autrichiens et bavarois montrent que l’esprit rationnel des Lumières s’accommode assez mal de l’existence de ces objets de piété commémoratifs. Au siècle suivant, certaines autorités ecclésiastiques, tel que l’évêque de Passau en 1833, finissent par exiger leur destruction. À quelque chose malheur est bon, est-on tenté de dire, puisque la conséquence positive de ces dispositions est l’intérêt nouveau que certains esprits érudits vont porter à ces manifestations de la piété. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, on voit donc naître dans ces mêmes régions, des collections ou encore des musées qui s’emploient à sauvegarder ces témoignages. Sensiblement à la même époque, en France, l’apparition puis la multiplication des plaques de marbre, appelées ex-voto « parisiens » viennent peu à peu se substituer aux objets votifs traditionnels. Beaucoup d’entre eux vont donc disparaître à la faveur également des réaménagements successifs des sanctuaires. Les conditions étaient alors peut-être remplies pour qu’ils deviennent des objets d’étude pour le chercheur. Le renouveau des recherches en histoire religieuse, survenu au cours des années 1970, a été le moteur de cette redécouverte. Après s’être nourrie du concept de piété populaire, la communauté scientifique a su s’en affranchir pour s’interroger plus avant et reformuler le questionnement des historiens. Il convient ici de mentionner les travaux pionniers de Bernard Cousin, notamment son étude sur Notre-Dame des Lumières en Lubéron parue en 1981 (étonnement : son analyse magistrale des ex-voto provençaux, éditée en 1983, sous le titre Le miracle et le quotidien, est absente de la bibliographie infra-paginale). Les auteurs ont su exploiter les acquis de l’historiographie la plus récente ; les enquêtes conduites en Bretagne notamment n’ont pas été oubliées. Ils n’ont pas non plus omis les travaux plus anciens des anthropologues allemands Rudolph Kriss, Hubert Kriss-Heinrich et Lenz Kriss-Rettenbeck. Ces références leur permettent de proposer au lecteur une grille d’analyse appliquée à l’étude du corpus lyonnais. Avant d’en venir à leurs principales conclusions, Bernard Berthod et Elisabeth Hardouin-Fugier consacrent un développement utile aux cires et aux cierges, dont la symbolique et la dimension votive sont indéniables, offrandes aujourd’hui disparues qu’il convenait sans aucun doute d’évoquer. Toutefois, ces pages auraient sans doute gagné en intensité en faisant référence notamment au très beau travail de Catherine Vincent sur la lumière et les luminaires dans la vie religieuse.

 

À la suite des remarques de Lenz Kriss-Rettenbeck, la méthode utilisée permet tout d’abord de distinguer un interlocuteur, personnage sacré (noté A). Il s’agit sans grande surprise, dans le cas lyonnais, de la Vierge Marie. Le requérant ou votant (noté B) est pour sa part, très majoritairement, un représentant de la gent féminine. Il est à noter que le troisième paramètre, à savoir l’évocation de l’épisode déclencheur (noté C) est, au gré de l’analyste, trop souvent absent. Cet élément apparaît généralement uniquement dans les cas les plus célèbres de la chronique locale. En définitive, ce sont les dangers de mort liés à la maladie ordinaire qui mobilisent les fidèles. En l’occurrence, force est de constater qu’il reste bien difficile de déterminer la nature précise des maux et des guérisons. En cela, on serait bien en peine de distinguer une spécificité lyonnaise.

 

Avant d’en venir à la seconde partie de l’ouvrage consacrée au catalogue raisonné, les artisans de cette plongée au cœur du monde des ex-voto de la capitale des Gaules ont ressenti le besoin de revenir sur quelques grandes caractéristiques de la production iconographique du geste votif. Il s’agit notamment des œuvres de Philippe de Champaigne, que ce soit le vœu de Louis XIII (1638) ou l’ex-voto de 1662, mettant en scène la propre fille du peintre.

 

Au regard des développements précédents, le lecteur aura compris que les ex-voto préservés des outrages du temps sont essentiellement des œuvres peintes. Jusque dans les années 1950, on a pu en recenser environ 400. Aujourd’hui, la collection en rassemble 241. Plus de 80 ont retrouvé leur place dans la basilique. Les autres sont conservés dans les meilleures conditions possibles au sein des réserves du musée de Fourvière. Pour sa part, le catalogue présente 68 d’entre eux. On se plaît à penser qu’une publication exhaustive de ce bel ensemble enrichirait non seulement notre connaissance des processus dévotionnels attachés à Notre-Dame de Fourvière, et plus globalement encore de la piété mariale. Bien entendu, il s’agit là d’une tâche de longue haleine mais Bernard Berthod et Elisabeth Hardouin-Fugier ont suffisamment démontré qu’ils ne reculaient pas devant les difficultés liées à des entreprises de ce type. Il n’est pas question ici d’évoquer dans le menu chacune des œuvres reproduites. Précisons simplement que celles-ci ont été classées selon quelques grands thèmes : Vouages, guérisons diverses, périls (naturels, accidents, guerres…) etc. Nous laissons au lecteur le plaisir de les découvrir dans tous leurs aspects. En-dehors de leur dimension religieuse, leur intérêt touche également à ce qu’ils nous apprennent de la topographie urbaine (c’est particulièrement le cas lors du sauvetage du jeune marinier Pierre Guérin, tombé dans la Saône en 1820), de l’histoire lyonnaise (notamment à l’occasion du bombardement de l’Hôtel-Dieu par les troupes de la Convention en 1793) ou encore de la culture matérielle des différents acteurs (depuis les appartements soignés de la bourgeoisie jusqu’aux intérieurs les plus modestes, en passant par l’atelier de la blanchisseuse).

 

En refermant ce livre, le lecteur en sortira plus riche d’informations sur le geste votif. On mesure aussi pleinement l’utilité de telles entreprises de catalogage, ne serait-ce que pour inciter nos contemporains à préserver ce patrimoine fragile. Toutefois le recenseur se permet d’évoquer deux petits regrets qui touchent à la forme. En effet, il aurait été appréciable de disposer, d’une part, d’une bibliographie récapitulative et organisée à la fin du volume, d’autre part, d’un index précis des œuvres reproduites. Il n’en reste pas moins que ces remarques mineures n’entachent en rien la qualité de cette belle édition.