Seipel, Wilfried (Hrsg.): Das Artemision von Ephesos. Heiliger Platz einer Göttin. 255 Seiten, zahlr. Farb- und S/W-Abb., 28,5 x 24,5 cm; kartoniert. ISBN 978-3-85497-137-5. 49,90 Euro.
(Phoibos Verlag, Wien 2008)
 
Compte rendu par Jacques des Courtils, Université Bordeaux 3
 
Nombre de mots : 1605 mots
Publié en ligne le 2009-02-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=557
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Sous son titre un peu fade, cet ouvrage est le catalogue d’une passionnante exposition présentée au musée d’Istanbul de mai à septembre 2008, qui a réuni des objets provenant des fouilles britanniques anciennes et autrichiennes plus récentes, et conservés respectivement, pour des raisons historiques, dans les musées d’Istanbul et d’Ephèse (Selçuk). Comme l’indique l’éditeur dans son introduction, cette exposition fut l’aboutissement d’un projet mûri par deux des principaux acteurs des fouilles de l’Artémision, A. Bammer et U. Muss, qui ont fourni, avec plusieurs collaborateurs, les neuf chapitres d’étude qui précèdent ou s’insèrent dans le catalogue proprement dit. Le livre bénéficie d’une présentation très soignée, la qualité des images du catalogue (toutes en couleur) est excellente. C’est la première fois qu’est présenté (d’abord dans les vitrines de l’exposition, désormais dans ce livre) un échantillonnage aussi large et représentatif des extraordinaires trouvailles anciennes et récentes faites dans les fouilles du fameux sanctuaire d’Artémis et c’est sans doute l’avantage principal qu’apporte cette publication de donner enfin une idée juste de ces trésors archéologiques, en montrant notamment plusieurs inédits.

Après un avant-propos de U. Muss et K. Gschwantler survolant l’historique des fouilles et des publications fondatrices, on aborde une série de chapitres traitant de l’histoire du site et de différents aspects archéologiques. Le premier, signé de A. Bernhard-Walcher est consacré aux sources scripturaires ainsi qu’à une revue des restitutions hypothétiques du temple antérieures à sa découverte. Suit une étude des célèbres statues d’Artémis éphésiennes due à R. Fleischer, résumant les principales idées qu’il a développées ailleurs : les meilleurs exemplaires de ce type statuaire montrent les parties visibles du corps de la déesse en couleur sombre, ce qui trahirait l’imitation d’un original en bois devenu foncé du fait des onctions d’huile répétées au long des siècles. La méthode d’investigation suivie consiste à confronter tous les exemplaires connus ainsi qu’à faire appel aux sources indirectes : ainsi les représentations monétaires, malgré leur petite taille, apportent un témoignage très valable car elles s’inspirent certainement de la statue cultuelle que les graveurs avaient sous les yeux aux différentes époques. Sur ces bases, R.F. parcourt rapidement l’histoire du type pour s’arrêter sur les deux grandes statues du musée de Selçuk. Les détails vestimentaires sont passés en revue et rapprochés de modèles connus par ailleurs (épendytès, ceinture, bijoux…) et peuvent être datés de diverses époques d’après des modèles archéologiquement attestés, ce qui amène à conclure que nous sommes en présence de statues d’époque impériale avancée mais sur lesquelles les sculpteurs ont représenté les ornements ajoutés au cours des siècles (à partir du VIIe a.C.) sur la statue de culte originale. Au passage, R.F. discute naturellement de la nature des multiples « seins » de la déesse, pour lesquels il maintient sans vraie discussion, mais sans conviction réelle non plus, l’interprétation comme des testicules d’animaux qui auraient été placés en offrande sur la statue cultuelle. Quelques autres types statuaires extérieurs à Ephèse et présentant le même « ornement » sont enfin invoqués, dont le Zeus Labrandeus figurant sur un relief de Londres du IVe s. a.C. : s’ils présentent une certaine ressemblance avec les ornements de l’éphésienne, on ne peut pas dire qu’ils aillent nettement dans le sens de l’identification proposée.

L’article de D. Aversano-Schreiber se concentre sur les bijoux de la déesse visibles sur les deux mêmes statues. Une analyse fine permet d’y reconnaître point par point des colliers et boucles d’oreille datant de la fin du Ve et de la première moitié du IVe s., alors que les bracelets sont imités de modèles datables entre 330 et 230.

Un article de M. Weißl traite de l’histoire des fouilles britanniques de l’Artémision (1863-1905), tandis qu’une première contribution de A. Bammer décrit les fouilles autrichiennes et plus particulièrement ses propres fouilles ayant abouti à l’identification et au dégagement des constructions les plus anciennes du sanctuaire, avec pour résultat de rectifier, préciser et compléter les résultats des premières fouilles. A. Bammer analyse ensuite dans un second article la succession des édifices du sanctuaire, depuis le premier temple périptère d’époque géométrique jusqu’à l’Artémision archaïque. Le temple tardo-classique fait l’objet d’une étude de M. Büyükkolancı et K. Zhuber-Okrog.

Tous ces textes constituent un état des questions qui ne manque pas d’intérêt, mais ils présentent surtout l’avantage d’être commodément rassemblés à l’intérieur d’un même ouvrage, car aucun d’eux n’apporte des connaissances ou des réflexions vraiment nouvelles. Certaines sont d’une technicité et d’une concision que les illustrations ne suffisent pas à rendre aisément abordables. Comme chaque auteur traite son sujet à sa manière, le chercheur retrouve là des considérations qu’il a déjà lues dans les publications scientifiques autrichiennes et il est à craindre que le visiteur ou le lecteur éclairé n’ait été ou ne soit rebuté par la densité de ces pages (en particulier la description des fouilles de A. Bammer) : on se prend à regretter qu’une main unique n’ait pas été seule à tracer, en l’homogénéisant, tout ce parcours historiographique et archéologique et à en tirer une synthèse.

À l’intérieur même du catalogue proprement dit sont insérés, de façon un peu inattendue, deux chapitres supplémentaires d’étude. Le premier est un récapitulatif très utile, dû à U. Muss, des catégories d’offrandes qui forment le « trésor » de la déesse. À l’exception de quelques fragments du Bronze Récent (une tête en terre cuite et deux tessons mycéniens) et d’un tesson proto-géométrique, tous ces objets sont datables entre le milieu du VIIIe et le milieu du VIe s. (la plupart sont datés du VIIe s.). On y trouve des objets en métal (or, argent, bronze), en pierre (pierres dures), en terre cuite, en ambre, en pâte de verre, faïence et cristal de roche. L’auteur souligne quelques particularités importantes : la rareté des protomés de griffons en bronze, dans la catégorie des ivoires (et os) la prédilection pour les figurines humaines et animales, la rareté des importations orientales, l’abondance des objets phrygiens, la présence en quantité non négligeable d’objets provenant de la région thraco-macédonienne et balkanique, celle d’objets en ambre (avec la marque d’une influence de la plastique crétoise du milieu VIIIe) ainsi que de petits objets d’origine certainement naucratite.

L’autre chapitre inséré dans le catalogue est une étude technique due à K. Gschwantler et V. Freiberger de deux figurines en or d’Artémis, l’une formée de deux feuilles travaillées au repoussé et soudées ensemble, l’autre fabriquée au moule et unique exemple de cette technique, avec reprises au burin et au poinçon. Par ailleurs, l’abondance des objets décorés par granulation est un trait technique qui n’est pas commenté, de même que la possible existence d’un atelier local d’orfèvrerie n’est évoquée qu’en passant.

La catalogue proprement dit comprend 303 entrées. Chaque objet est illustré par une photographie, décrit et accompagné de sa bibliographie éventuelle. Il n’y a presque jamais de commentaire, si ce n’est parfois une brève phrase rattachant l’objet à sa catégorie typologique ou fournissant une datation. Pour les objets inédits, cette brièveté ne remplace pas la publication ; pour ceux qui étaient déjà connus elle tient de l’ellipse et l’on regrette souvent que le commentaire ne soit pas un peu plus généreux. Du moins a-t-on pour la première fois sous les yeux une remarquable collection de photographies d’excellente qualité qui permettent de se faire une idée précise de chacun des objets présentés (on regrette parfois qu’il n’y ait qu’une photo par objet, sauf pour les figurines en or qui ont fait l’objet d’un traitement de faveur).

La lecture de cet ouvrage laisse donc une impression un peu décevante alors que l’occasion était si belle, non seulement de présenter une collection aussi riche d’objets dont la valeur archéologique est exceptionnelle, mais aussi de contribuer à caractériser et à évaluer cette dernière en profitant de cette confrontation elle aussi exceptionnelle. Quelques thèmes (vêtements, bijoux) sont abordés avec un certain luxe de détail ce qui aboutit à d’utiles synthèses, mais d’autres points ont été laissés dans l’ombre alors que l’occasion se présentait d’en fournir au moins une approche générale. Parmi ceux-ci on regrettera que la question de la composition globale de ce corpus d’offrandes n’ait pas été l’objet d’un commentaire plus approfondi.

La présence concomitante d’objets métalliques thraco-balkaniques et d’objets phrygiens est en soi intéressante, d’autant plus que la première catégorie s’avère fort rare dans le monde grec et en particulier en Asie Mineure. Les « monnaies » présentées dans le catalogue offrent un remarquable panorama des premiers ancêtres directs du monnayage proprement dit, mais leur abondance en ce lieu, l’appréciation de leur fonction (votive et non financière) ou le rôle de la Lydie auraient pu être au moins brièvement abordés. On peut aussi regretter l’absence de commentaires sur la parenté stylistique entre les figurines féminines en métal (or, n° 4 et 5, bronze n° 233) ou en ivoire (n° 109-111) ici présentées, dont les affinités orientales sont sans doute moins importantes que leur parenté avec les types de la statuaire grecque en gestation (notamment à Samos). Si la richesse des offrandes faites au sanctuaire d’Éphèse transparaît clairement grâce à ce catalogue, sa situation dans son temps et ses rapports avec les sites voisins (Sardes, l’ancienne Smyrne, Samos) auraient aussi mérité quelques commentaires : on voit en effet s’esquisser une koinè iono-lydienne sur laquelle on dispose d’autres indices mais qui n’a jamais été vraiment étudiée. Pour finir, certaines interprétations paraissent un tant soit peu aventurées, comme de soutenir que les figurines féminines représentaient certainement la déesse Artémis elle-même, ou que les petites cupules à couvercle en ivoire et manche anthropomorphe sont des boîtes à graines végétales pour des cérémonies sacrées (on y verrait plus simplement des palettes à fard).

Au total, un très beau catalogue qui apporte une documentation iconographique précieuse et de grande qualité, mais au-delà duquel le chercheur devra consulter la bibliographie scientifique heureusement très complète fournie in fine.