Roger, Daniel - Giroire, Cécile (dir.): De l’esclave à l’empereur. L’art romain dans les collections du musée du Louvre. Exposition au musée départemental Arles antique, 20 décembre 2008 - 3 mai 2009. 22x28 cm, 304 pages, 300 illustrations, ISBN 9782757202203, 39 euros
(Somogy, Paris 2008)
 
Compte rendu par Bertrand Dousteyssier, université de Clermont-Ferrand
 
Nombre de mots : 1945 mots
Publié en ligne le 2009-06-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=571
 
 

          L’ouvrage De l’esclave à l’empereur, l’art romain dans les collections du musée du Louvre est le catalogue de l’exposition éponyme présentée au musée départemental de l’Arles antique, du 20 décembre 2008 au 3 mai 2009.

          Il correspond à la version française du catalogue de l’exposition américaine Roman art from the Louvre, exposition élaborée conjointement par l’AmericanFederation of Arts et le musée du Louvre, qui a été présentée successivement (entre septembre 2007 et octobre 2008) à l’Indianapolis Museum of Art, au Seattle Art Museum et à l’Oklahoma City Museum of Art.

          Dirigé par Cécile Giroire et Daniel Roger, conservateurs au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Musée du Louvre, le catalogue ne compte pas moins de vingt auteurs issus pour l’écrasante majorité du Musée du Louvre (secrétaire de documentation, collaborateur scientifique, chargés d’études documentaires, ingénieurs d’études, conservateurs et conservateurs en chef) et dans seulement quatre cas du musée départemental de l’Arles antique (seule note provinciale dans ce catalogue très parisien), de la bibliothèque centrale des musées nationaux, du département des Monnaies, Médailles et Antiques de la BnF et de l’université de la Sorbonne.

 

Le catalogue, qui compte 304 pages, est découpé en plusieurs parties :

- L’art romain et les collections du Louvre (Jean-Charles Balty, p. 13-27)

- Histoire de la collection romaine du Louvre (Cécile Giroire, Daniel Roger et Ludovic Laugier, p. 29-45)

- L’Empereur (Daniel Roger, p. 52-115)

- Être citoyen dans l’Empire (Cécile Giroire, p. 117-163)

- Domi militiaeque, en temps de paix et en temps de guerre (Daniel Roger, p. 164-209)

- Etrangers, affranchis, non-citoyens, esclaves : les loisirs et le travail (Cécile Giroire, p. 210-235)

- La religion romaine (Néguine Mathieux, p. 236-277)

 

Il convient de signaler la présence fort utile d’une carte de l’Empire romain (sous le règne de Trajan) mentionnant les lieux de découvertes d’objets présentés dans le catalogue (p. 46-47). Notons également une chronologie succincte de l’Empire (p. 48-49). Le lecteur appréciera enfin un imposant glossaire de 218 entrées, un index très complet et une riche bibliographie avec des ouvrages de référence en langues française, allemande, anglaise et italienne.

 

L’art romain et les collections du Louvre

          Jean-Charles Balty tient à remettre en perspective l’exposition dans le contexte historiographique des cent dernières années. Il fait un point précis et documenté sur la recherche actuelle. Il n’a de cesse de souligner, en s’appuyant sur de nombreux exemples présentés dans le catalogue, combien l’art romain possède de multiples facettes. Certes redevable de l’art grec, lui aussi déjà pluriel, l’art romain intégrera une dimension moins figée, beaucoup plus spontanée. Il s’ouvre à toutes les classes de la société et laisse transparaître des particularismes locaux, accentuant ainsi son pluralisme. Avec comme fil conducteur la statuaire, l’auteur invite le lecteur à découvrir quelques pièces maîtresses de l’exposition et livre une très belle lecture, en quelques pages, de la diversité de l’art romain au travers des collections du Louvre.

 

Histoire de la collection romaine du Louvre

          Il s’agit au travers de ce chapitre de renseigner le lecteur sur l’histoire, ou plutôt « les histoires » - tant il existe une grande variété d’origines - de la collection romaine du Musée du Louvre. Retracer en quelques lignes plusieurs siècles d’acquisition et de restaurations oblige nécessairement à faire quelques raccourcis et à ne retenir que quelques moments particulièrement marquants pour la collection romaine. Les « saisies napoléoniennes » sont bien évidemment évoquées et plusieurs œuvres de l’ancienne collection Albani présentées (cat. 24 par exemple avec la superbe frise décorée d’Amours conduisant des chars trouvée à la villa Hadriana à Tivoli). Le catalogue reflète aussi l’importance de l’ancienne collection Borghèse (achat de Napoléon en 1807) dans le fonds du Louvre puisque douze œuvres sont présentées (buste, reliefs architecturaux, sarcophages…). La collection du chevalier Durant est très bien représentée également avec 15 œuvres soumises au regard du public et notamment de nombreux bronzes (ex : cat. 90 – candélabre avec lampe piriforme ; cat. 97 – patère ; cat 156 – statuette de Mercure) et bijoux (ex : cat. 60 – collier en or ; cat. 66 – boucles d’oreilles).

          La très célèbre collection Campana, acquise par le gouvernement français en 1861, a elle aussi largement contribué à augmenter les fonds antiques du musée ; on admirera pour la statue féminine dite Plotine (cat. 48) l’habileté du restaurateur au service de Giampietro Campana qui a recomposé en grande partie l’œuvre (tête, bras, pieds) et qui trompe même l’œil averti en imitant des réparations.

          Les missions archéologiques françaises ont fourni de nombreuses œuvres au Louvre ; on retiendra les fouilles réalisées en Afrique du Nord sous la houlette de militaires, diplomates ou érudits, mais également des missions sur le site de l’antique Antioche qui ont fourni notamment des mosaïques exceptionnelles (cat. 8).

          La collection romaine du musée s’enrichit également de certaines pièces remarquables mises au jour sur le territoire national, telle la Vénus de Montagne, découverte près de Bordeaux (cat. 83). À noter également les nombreux achats (soit de collections entières, soit d’objets ponctuels) et les dons qui alimentent la collection.

          Les auteurs ont fait le choix de présenter rapidement une petite histoire de la restauration des œuvres. Elle dépasse largement le seul cadre des antiques du Louvre pour s’intéresser plus largement aux politiques de restauration tant en Europe qu’aux États-Unis. Après une longue période moderne de restaurations complétives cachées, l’heure est désormais à la réversibilité et à la lisibilité des restaurations. Entre 1920 et 1970 notamment, de nombreuses œuvres, parmi lesquelles figure en bonne place la statuaire, ont fait l’objet de dérestauration pour retrouver une « pureté originelle » qui n’est bien souvent qu’illusoire. L’histoire de la restauration continue et on voit à nouveau des restaurations complétives...

 

L’Empereur

          L’Empereur se taille une part de choix dans ce catalogue. L’introduction, très détaillée, expose le rôle de l’Empereur, son poids économique, son contrôle des institutions religieuses etc. en renvoyant systématiquement à des pièces présentées dans les pages suivantes. Une véritable galerie de portraits permet de croiser, dans le désordre, Auguste, Marc-Aurèle, Septime Sévère, Maxence, Claude, Caligula, Néron… Les notices, très fournies, permettent de connaître l’historique de l’objet (de la découverte aux restaurations) et remettent en perspective les pièces dans un contexte historique plus large. Plusieurs notices particulièrement approfondies méritent d’être signalées. C’est le cas de la mosaïque du jugement de Pâris (cat. 8) où la technique de « dérestauration » est largement décrite ; c’est le cas également des bustes d’Auguste et Livie (cat. 33a et b) dont l’authenticité a pu être mise en doute dans le passé et qui sont « réhabilités » à l’issue d’une belle démonstration.

          Ce premier chapitre, qui représente une part importante de l’exposition, est magistral par les pièces présentées et par la qualité des textes.

 

Être citoyen dans l’Empire

          Cécile Giroire fait en introduction un rappel de ce qu’est la citoyenneté dans la société romaine. Elle souligne l’importance du forum, « expression architecturale et urbaine de la citoyenneté ». Peu de fragments de monuments illustrant cette importance sont présentés et on comprend très bien pourquoi (cat. 37 : inscription de Gabies longue de 3,55 m). En revanche le portrait est intensément exploité (12 pièces), en mobilisant des supports aussi variés que le marbre, l’argile, le bronze ou bien encore le bois. Les nombreux portraits de femmes montrent l’importance attachée à l’apparence physique, notamment à la coiffure. Plusieurs éléments de parures sont exposés : collier en or  (cat. 60), bagues en or (cat. 61 à 65), boucles d’oreilles (cat. 66-67), épingles (cat. 68-69), fibule (cat. 70) etc. Des flacons en verre renvoient à l’utilisation des parfums et onguents ou tout autre produit utilisé pour le soin du corps (cat. 73 à 75).

 

Domi militiaeque, en temps de paix et en temps de guerre

          Le lecteur pressé, qui aurait l’idée de regarder les objets cat. 80 à 123 sans parcourir la très bonne introduction du chapitre, serait sans doute très étonné. Comment comprendre la juxtaposition d’une lampe, d’un panneau de mosaïque, d’une Vénus en marbre, d’une patère en bronze, d’un mortier en céramique, d’une cuillère, des fameux reliefs des prétoriens et du Dace, d’un autel de vétérans ou encore du buste d’un jeune Gaulois (cat. 92, 81, 83, 97,104, 114, 115, 116, 121,122) ? Heureusement, il aura forcément lu l’introduction, véritable exercice de style pour tenter de trouver une cohérence à la juxtaposition de différents thèmes. On appréciera d’ailleurs la transition « la population civile qui évolue dans ce type de décor a oublié le rythme annuel qui transformait le citoyen de la République en soldat en campagne dès la venue de l’été » (p. 169) pour justifier le rapprochement entre les objets de décoration des demeures (peinture murale, mosaïque, statuaire…) et l’évocation des militaires.

          Pourquoi ne pas avoir scindé ce chapitre en deux, voire trois parties ? Le catalogue aurait indiscutablement gagné en cohérence et pertinence. C’est d’autant plus dommage que les notices, elles, sont toujours aussi excellentes et bien documentées.

 

Étrangers, affranchis, non-citoyens, esclaves : les loisirs et le travail

          Cette partie, un peu artificielle et « fourre-tout » (otium et negotium ! vaste programme…) permet de plonger dans des univers aussi variés que le théâtre, les acticités agricoles, les activités artisanales, les jeux du cirque… Le lecteur a l’impression qu’il s’agit d’un passage obligé, d’ailleurs bien moins fourni que les parties précédentes.  Les liens avec la thématique abordée ne sont pas toujours très clairs (on reste un peu dubitatif sur la balance présentée en cat. 144) et on peut regretter que le monde des artisans, par exemple, ne soit vu qu’au travers du bloc de marbre cat. 143 (« Les Forges de Vulcain »), qui est d’ailleurs plus porteur d’enseignements sur la mythologie que sur une activité artisanale à proprement parler. Où sont, par exemple, les potiers ? Métier incontournable du monde romain (et tellement facile à mettre en scène !), mais dont la production reflète peut-être trop le quotidien et qui peut apparaître comme peu prestigieuse.

          Ce chapitre, avec un titre aussi vaste, laissait présager un développement beaucoup plus important. Il s’agit sans doute de la faiblesse de l’ouvrage. On notera tout de même la diversité des supports exploités : autel en marbre, statues et statuettes (marbre, bronze, argile), mosaïque…

 

La religion romaine

          Néguine Mathieux introduit les œuvres cat. 148-184 par une brève synthèse sur la religion romaine. Sont présentées de nombreuses statues (Jupiter, les Dioscures, Mars, Aphrodite, Bacchus, Mercure, Minerve…). Les notices sont toujours aussi riches et bien documentées. On signalera simplement que  pour la statuette cat. 156 de Mercure, la notice fait référence à la « statue colossale en bronze, créée par le sculpteur grec Zénodore en 50-55 ap. J.-C., pour le sanctuaire des Arvernes sur le puy de Dôme ». On met très souvent en rapport cette statue et le temple de Mercure découvert au sommet du puy de Dôme, mais aucune attestation archéologique ou historique ne permet de franchir ce pas. Si on relit attentivement Pline l’Ancien (Histoire Naturelle, XXXIV, 18, 45-47), aucune mention de localisation de la statue n’est donnée et les nombreuses campagnes de fouilles menées sur le volcan n’ont jamais livré le moindre élément de statue monumentale en bronze.

          Les dernières notices du catalogue prolongent le thème de la religion avec celui de la mort (qui aurait gagné à être traité séparément), en présentant des urnes cinéraires en marbre et en verre, ainsi que quelques objets retrouvés en contexte funéraire. Deux sarcophages sont enfin exposés (marbre et plomb), ainsi qu’une couronne funéraire (cat. 181-183).

 

Bilan

          Ce catalogue d’exposition fera date pour les collections romaines du musée du Louvre. Les notices, très riches, sont excellentes. Incontestablement, cet ouvrage va faire figure de référence.

          On regrettera simplement l’aspect un peu « fouillis » des thèmes abordés, avec un plan qui aurait gagné à être plus précis et mieux décliné. Le titre même de l’ouvrage, accrocheur, ne reflète pas exactement le contenu. Ces remarques mises à part, du simple curieux au chercheur, chacun trouvera son compte dans ce catalogue à l’iconographie parfaite et au prix irréprochable (35 €).