Charbonneaux, Jean - Martin, Roland - Villard, François: Grèce Archaïque, 416 pages, 445 ill., cart., sous couv. ill., 195 x 234 mm. Collection L’Univers des Formes, nouvelle présentation (2008), Gallimard -étu. ISBN 9782070121618, 29 euros
(Gallimard, Paris 2008)
 
Compte rendu par Cécile Colonna, Bibliothèque nationale de France
 
Nombre de mots : 1472 mots
Publié en ligne le 2009-09-11
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=574
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Faisant suite à Naissance de l’art grec (compte rendu : http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=337), cet ouvrage est le deuxième des quatre volumes de l’Univers des Formes consacrés à l’art grec. Trois auteurs y traitent de l’art de la période archaïque, de 620 à 480 av. J.-C. : Jean Charbonneaux, Roland Martin et François Villard. Paru en 1968, cet ouvrage a été récemment réédité comme le reste de la collection, avec une présentation et une mise à jour bibliographique de Bernard Holtzmann.

Un certain nombre de volumes consacrés à l’art antique sont déjà sortis dans cette nouvelle édition mise à jour. Ces ouvrages sont certes devenus des classiques familiers de quiconque s’intéresse à l’histoire de l’art, mais leur approche et leur contenu remontent à plusieurs dizaines d’années (quarante ans pour ce volume) ; la question de la pertinence de les proposer à nouveau aujourd’hui dans une nouvelle maquette et avec une préface de mise à jour reste posée.

 

Comme de règle, le texte de l’ouvrage original a été entièrement conservé. Il est dû à trois spécialistes, chacun traitant de son domaine de prédilection : la sculpture pour Jean Charbonneaux, l’architecture pour Roland Martin et la peinture et la céramique pour François Villard. Ces trois éminents archéologues ont aussi écrit les deux volumes suivants, sur l’art grec classique et hellénistique. Si cela garantit une homogénéité entre les trois volumes, le projet est radicalement différent de l’approche tentée par Pierre Demargne dans La Naissance de l’art grec, un seul auteur traitant de toutes les manifestations artistiques d’une vaste période réunissant l’art préhellénique et celui du haut archaïsme. Alors que des rapprochements et des mises en contexte étaient ainsi favorisés, la juxtaposition des chapitres séparés selon les domaines rend le livre moins original dans son approche. Finalement, chaque auteur traite de son sujet sans que des correspondances explicites soient faites entre les arts. Les chapitres offrent des analyses sur l’évolution de chaque discipline, avec quelques renvois au contexte historique ; dans l’ensemble, l’ouvrage offre donc une vision moins synthétique de l’art archaïque, mais plus conforme à sa complexité. Le texte est dans l’ensemble très précis, assez dense et le style, parfois enlevé, rend l’ensemble très agréable à lire.

 

L’ouvrage est découpé en trois parties chronologiques où sont abordés successivement les trois domaines cités : « Les premières conquêtes (620-580) », « Équilibre et progrès (580-525) » et « Maturité de l’archaïsme (525-480) ». Une courte introduction replace l’art archaïque par rapport à la période précédente et une très courte conclusion résume les grands traits de la période abordée ; toutes deux sont dues à Jean Charbonneaux.

 

Deux ajouts complètent ce texte dans la nouvelle édition : une préface et une mise à jour bibliographique.

La préface (p. 6-13) de Bernard Holtzmann introduit l’ouvrage et le replace dans le contexte scientifique actuel. L’auteur constate que l’archéologie de la période archaïque grecque s’est principalement développée à partir du milieu du XIXe siècle et que la chronologie en a été fixée dès les années 1920 et 1930. Depuis, peu de changements ont été apportés, et ils concernent surtout le VIIe siècle. Les nouvelles découvertes effectuées après la publication en 1968 s’insèrent donc sans problème dans une évolution artistique finalement mieux connue que l’histoire politique de la période. Un des axes de recherche qui s’est développé a d’ailleurs été de déduire de l’analyse de l’esthétique des implications politiques, notamment en réfléchissant sur la place des styles locaux qui se développent, et leur lien avec les identités politiques qui s’affirment dans les cités. Les résultats ne sont pas toujours concluants, la période étant surtout marquée par sa grande hétérogénéité. En architecture, on parle aujourd’hui davantage de styles régionaux que de styles locaux, qui sont à la fois très différents dans tout le monde grec, mais témoignent d’influences réciproques très fortes, liées à l’itinérance des artisans, qui impliquent que l’on trouve du style ionique en Occident ou du dorique dans les Cyclades dès le dernier quart du VIe siècle. C’est d’ailleurs dans les Cyclades et en Occident que les connaissances de l’architecture monumentale ont surtout progressé depuis 1968, et la découverte de la planification urbaine visible dès l’installation des cités en Occident permet d’approcher un proto-ubanisme grec. Dans le domaine de la sculpture, quelques découvertes majeures ont été faites, dont certaines sont illustrées ici. Les études par sites se sont développées et l’approche est également renouvelée par l’analyse des techniques et matériaux, et l’essor des études plus fines de la polychromie. Enfin, les études stylistiques des figurines en terre cuite, qui complètent celles sur le bronze, montrent la variété des styles locaux. En céramographie, le même polycentrisme règne jusqu’à la fin du VIe siècle ; des ateliers ont été localisés, comme ceux de la céramique « rhodienne » à Milet ou celui de la céramique « mélienne » à Paros, et les études sur les différents styles (Chios, Thasos, Sparte) ont aussi fait avancer nos connaissances. De nombreuses études ont analysé la céramique attique, dont quelques nouveaux chefs-d’œuvre sont apparus, en exploitant sa richesse artistique comme iconographique, parfois de façon trop systématique selon B.H. Les plus originaux des céramographes ont fait ainsi l’objet de monographies. Dans le domaine de la peinture, quelques exemples périphériques isolés ont fait un peu avancer nos connaissances, comme les tombes de Kizibel et Elmali en Lycie, et celle du plongeur à Paestum.

La bibliographie originale, très abondante (418 entrées), est complétée par B. Holtzmann par une mise à jour qui propose 253 nouvelles références. Toutes deux classées selon les trois domaines de l’art abordés, elles constituent un outil de choix pour aborder la période ou approfondir l’analyse.

Cet ensemble, préface et bibliographie, est évidemment un précieux outil pour aborder l’art archaïque tout en saisissant les progrès historiographiques des 50 dernières années sur la question ; ils s’avèrent indispensables pour aborder l’ouvrage aujourd’hui sans risquer de passer à côté de recherches majeures.

 

Les changements généraux apportés à l’édition de 1968 sont communs à tous les ouvrages de la série : format réduit, nouvelle mise en page, changements iconographiques, en nombre et en qualité, et réduction de la documentation annexe.

L’ouvrage original comprenait 440 illustrations et 4 cartes, sa réédition n’en a gardé que 370. Les quatre cartes en grand format figurant sur des pages pliées, ainsi que les illustrations bénéficiant du même principe (par exemple, détail de la frise nord du trésor de Siphnos fig. 203, p. 162-163 ; détail de la colonnade du temple d’Héra I de Poseidonia, fig. 245, p. 207), ont été réduites pour tenir sur la page. Beaucoup d’illustrations ont été modifiées, proposant souvent une vue en couleurs à la place du noir et blanc. Certaines sont de qualité bien moindre, comme la tête du Dipylon, n° 18, p. 18 de l’édition de 1968 et n° 28, p. 48 de l’édition de 2008 ; parfois, leur qualité a été sensiblement améliorée, avec notamment un meilleur rendu des couleurs (l’exemple le plus frappant est le médaillon de la coupe de Sosias avec Achille soignant Patrocle blessé, n° 382, p. 333 dans l’édition de 1968, avec de nombreuses taches de manganèse perturbant la lecture, et n° 315, p. 337 dans l’édition de 2008, vue après nettoyage et nouvelle restauration). Les prises de vues d’architectures les plus dramatisantes, comme celle des chapiteaux et entablements du trésor des Athéniens de Delphes (n° 267, p. 229) n’ont pas été conservées, alors qu’elles s’accordaient aux analyses du texte. Dans l’ensemble, les images sont de taille bien inférieure. Le plus regrettable dans les changements iconographiques est la réduction du nombre d’images, qui entraîne la suppression d’œuvres pourtant commentées dans le texte, ce qui peut s’avérer très gênant pour suivre le raisonnement ; ainsi, aucune image ne vient plus illustrer le développement sur la céramique béotienne, alors que deux illustrations figuraient dans le texte original (n° 74 et n° 75, p. 69-70). Notons tout de même un point positif : l’introduction en marge du texte du numéro des illustrations en regard de leur commentaire, qui rend la lecture plus aisée.

Dans l’ensemble, la nouvelle maquette change le rapport texte / images au détriment de ces dernières qui étaient pourtant au cœur du projet malrucien pour l’Univers des Formes, et nous ne pouvons que rappeler que changer une maquette éditoriale influe sur le sens même de l’ouvrage et sur sa compréhension par le lecteur.

 

Outre l’iconographie, les annexes ont également été drastiquement diminuées ; cette partie documentaire était pourtant un des points forts de l’ouvrage. Dans l’édition originale, la documentation générale forme une importante quatrième partie avec plans et restitutions, tableau synchronique, bibliographique, documentation iconographique (légendes détaillées et parfois commentées de toutes les images), dictionnaire-index et cartes. Dans la nouvelle édition, cet ensemble reprend les plans, les restitutions et les cartes, mais ne contient plus la chronologie présentée en tableau synchronique, ni la documentation iconographique. Le dictionnaire-index est devenu un simple index, ce qui prive le non-spécialiste d’aborder un texte utilisant souvent des termes techniques sans explication.

 

Au final, nous tirerons les mêmes conclusions que concernant La Naissance de l’art grec : cette réédition dans un format pratique, et avec un bon rapport qualité / prix, permet de diffuser un texte classique de grande qualité. Cependant, elle ne remplacera sans doute pas l’ouvrage original, et ne peut se substituer à la lecture d’ouvrages plus récents pour mieux comprendre l’art grec archaïque aujourd’hui.