| Polcari, Stephen (dir.): Pollock et le chamanisme. Exposition Pinacothèque de Paris, 15 octobre 2008 - 15 février 2009. 26 x 34 cm, ISBN : 9782953054682, 12,50 euros (Pinacothèque de Paris 2008)
| Compte rendu par Adrien Clerc, Université de Provence Nombre de mots : 1547 mots Publié en ligne le 2009-08-11 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=590 Les premières pages de cet ouvrage viennent confirmer l’impression
saisissante offerte par sa couverture – sur laquelle un masque amérindien vient
se marier à une toile de jeunesse de Pollock – et son titre intriguant. Ainsi
donc Jackson Pollock, connu essentiellement pour les drippings réalisés à la fin de sa carrière, aurait été toute sa vie
influencé par le chamanisme ? Si la
présence dans les toiles réalisées au début des années 40 par l’artiste
new-yorkais de réminiscences de sa connaissance de l’art amérindien était
depuis longtemps avérée, la thèse de Stephen Polcari est de faire de cette
connaissance le ferment des oeuvres de la maturité. Le dripping perd alors sa logique abstraite pour perpétuer la
tradition symbolique dans laquelle s’inscrivait le Pollock de Bald Woman With Skeleton, et l’acte de
création devient un prolongement actuel du rituel chamanique originel. La
proposition est audacieuse, comme le note Marc Restellini : « La
démonstration m’entraînait évidemment vers cette relecture complète de l’oeuvre
de Pollock. Dès lors, la logique abstraite s’effondrait au profit d’une volonté
délibérée de l’artiste de faire croire à la disparition du sujet pour, tout
comme le rituel initiatique chamane, accéder à des portails mystiques que tout
un chacun ne pourrait pas voir, mais qui seraient réservés à quelques
initiés. » (9) Nous comptons certainement au nombre desdits initiés, tant
la proposition de Polcari semble, au fil des pages, couler de sources,
s’appuyant sur de courts textes récapitulant le parcours intellectuel et
artistique de Pollock ainsi que ses références (Jung, Masson, les
muralistes mexicains,...) mais surtout sur des rapprochements entre toiles et
dessins de l’artiste et oeuvres traditionnelles amérindiennes.
Une analyse critique de William Rubin met en avant le lien souvent mis de
côté par les héritiers spirituels de Pollock que l’artiste entretenait avec le
Surréalisme. L’affinité privilégiée que Rubin met à jour est celle entre
Pollock et Masson, tout en se gardant bien de la qualifier d’influence :
« Bien que Pollock connût la peinture de Masson et fut stimulé par elle,
l’implacable logique de son propre développement empêche d’attribuer à l’oeuvre
de Masson tout effet critique sur le développement de Pollock. » (18). Les
tableaux automatiques du peintre français le rapproche en effet directement de
la ligne vive de son alter-ego américain, mais tandis que le retour dans un
Paris libéré de l’artiste le voit travailler à rebours vers une peinture proche
de Monet ; Pollock a prolongé le geste en en amplifiant la violence. À ce
titre une analyse de Rubin des Pasiphaé des
deux peintres schématise le gouffre qui les séparent malgré une proximité
thématique et stylistique : « Chez Masson l’application est lente et
subtile ; les nuances tonales sont raffinées et les formes remarquablement
variées. [...] Il semble qu’un cyclone vient de traverser le tableau de
Pollock. » (21)
D’utiles textes courts viennent ensuite donner les clefs nécessaires au
lecteur ne connaissant pas en détail la biographie de Pollock, ses influences
et son rapport à l’art amérindien. Les textes étant clairement séparés les uns
des autres sous des titres sans ambiguïté, on peut voyager aisément d’un
chapitre à un autre, prendre les informations selon nos manques plutôt que de
subir un bloc démonstratif. Ce dispositif parait particulièrement cohérent dans
le cas d’un catalogue d’exposition, dont le but est avant tout d’accompagner la
lecture des oeuvres proposées. Les allers-retours des sections visuelles aux
textes se font ici aisément, la qualité et la cohérence de l’ensemble appellant
le retour du plus éparpillé des lecteurs.
Si une recherche plus approfondie sera nécessaire pour celui qui voudra
construire sa propre réflexion sur les rapports entre l’art moderne et le
chamanisme, Stephen Polcari revient de la plus claire des façons sur le sens de
la pratique chamanique, ses origines et sa réception dans l’Amérique du XXe
siècle. La façon dont Pollock aurait découvert les arts amérindiens est ainsi
exposée, d’abord de façon général, puis par le détail, jusqu’à faire d’un seul
et unique objet, un panneau sculpté de la région du fleuve Sepik, le
déclencheur de la période ayant rendu Pollock célèbre. L’auteur voit dans cette
pièce l’ensemble des caractéristiques de la peinture de Pollock de 1946 à la
fin de sa vie : une volonté d’occuper tout l’espace disponible par des
entrelacs fluides, aboutissant dans une représentation primitive (ici les
arabesques se changent en un visage en bas du panneau, en un couple d’oiseaux
incarnant le renouveau en son sommet). L’influence d’Hans Hofmann, qui fit
découvrir le dripping à Pollock, serait
alors uniquement d’ordre technique, l’artiste ne l’utilisant que comme un moyen
d’atteindre sa propre version de la représentation Sepik. Cette proposition
audacieuse n’est malheureusement pas assez développée, certainement par manque
de place, et l’on aurait aimé pouvoir suivre une étude comparée de la sculpture
et des peintures qui en semblent proches.
Avant cela Stephen Polcari s’attache à proposer, dans une suite de courts
textes remarquablement illustrés de dessins issus des carnets de Jackson
Pollock, un répertoire des différentes figures fondatrices de la peinture de
l’artiste. En revenant aux sources de l’inspiration de Pollock, en schématisant
rapidement les significations possibles d’une figure et l’évolution stylistique
de sa représentation, Polcari offre la possibilité d’un regard plus ouvert sur
les toiles de la fin de carrière. On se surprend en effet, malgré les limites
apparentes du procédé, à utiliser ces pages comme nouvelles portes dans des
toiles vues, connues et reconnues trop directement. On chemine alors autrement
dans des contrées qui, on le croyait, avaient perdues depuis longtemps le
charme de la découverte. Cette section revenant constamment sur les
équivalents, dans l’art amérindien, des figures employées par Pollock, la démonstration
dévoile une clarté insoupçonnée.
La seconde grande partie du livre présente l’ensemble des oeuvres réunies
durant l’exposition proposées à la Pinacothèque de Paris durant l’hiver 2008-2009.
La présentation, très aérée, se focalise sur des reproductions des tableaux et
des photographies des sculptures de qualité, occupant un espace important, du
quart de page à la double page. De nombreux détails sont aggrandis, guidant
l’oeil dans la reconnaissance des ponts entre l’art des indiens d’Amérique et
la peinture de Pollock. L’influence d’André Masson sur le peintre américain est
aussi abordée, via la reproduction d’un certain nombre de ses oeuvres. Quelques
oeuvres des muralistes mexicains, qui ont aussi marqué le jeune peintre, sont
aussi reproduites ; tout comme un certain nombre des peintures de Thomas
Hart Benton couvrant la période durant laquelle il fut le maître de Pollock. On
découvre alors un Pollock peintre de bords de mer semblant donner sur les
précipices de la fin du monde, plombés par un ciel lourd, noir d’encre traversé
de nuages flamboyants, toute matière dehors, la pâte s’agrippant en blocs
denses à la surface de la toile. L’Impressionisme n’est pas loin, mais
rapidement il est chassé par le cubisme, les compositions de Pollock se font
plus planes, plus exaltées aussi, les couleurs courent dans un silencieux jeu
de trappe-trappe, formant un agréable chausse-trappe du regard qui préfigure
difficilement l’explosion frénétique des drippings.
Les thèmes deviennent de plus en plus précis à mesure que la peinture se
fait plus brute, les figures squelettiques se succèdent, dans des mises en
scènes de rituels n’ayant – comme le rappelle Polcari – rien de macabre. Si le
chaman est désossé au cours du rituel, voit son corps nu dans un cercle de
flammes invisibles, c’est avant tout car sa renaissance est proche, une
renaissance qui lui offrira un regard vierge sur le monde : « Il doit
murir pour renaître afin d’être neuf, réceptif, autre. Les souffrances font
partie du voyage, non pour se mortifier mais pour s’élever vers les mondes
invisibles, souterrains ou célestes, à la quête de visions que lui seul saura,
à son retour, expliciter. » (132). C’est ce regard que tente de saisir
Pollock, ce regard brut, nu, direct sur les choses ; un regard hors des
présupposés culturels. Une même toile peut faire l’objet, dans Jackson Pollock et le Chamanisme, de
plusieurs reproductions qui offrent au lecteur un parcours libre, employant
comme jalon des descriptions des différents rites pratiqués par les tribus
indiennes.
Ce catalogue d’excellente facture est donc une formidable banque visuelle,
assortie d’une entrée en matière efficace dans le monde du chamanisme, de ses
caractéristiques, de ses règles et des représentations qui y sont associées. Il
parait cependant étonnant que Polcari ne prenne pas le temps de faire un lien
entre sa théorie et celles des mathématiciens qui dans l’oeuvre tardive de
Jackson Pollock révèlent la présence récurrente de fractales structurant les
surfaces des toiles. Si ces propositions sont pour certains sujettes à caution,
force est de constater qu’elles tendent à valider la thèse de l’auteur
concernant la présence dans les drippings
d’une forte influence du rituel chamanique, dans lequel les fractales
tendant vers la spirale sont au centre de l’expérience, précédant directement
le désossement psychique et la renaissance du chamane au monde. Jackson Pollock et le Chamanisme offre
néanmoins un panorama fascinant de la capacité d’un artiste à trouver dans une
culture oubliée les clefs de sa libération, de la façon dont une influence peut
être transcendée, transfigurée par l’honnêteté d’une démarche.
Sommaire :
10. Contextes, influences, références - Stephen Polcari
18. Notes sur Masson et Pollock – William Rubin
24. L’idée du chamanisme de Jackson Pollock - Stephen Polcari
26. Qu’est-ce que le chamanisme ? – Mickie Klein
28. L’idée du chamanisme de Jackson Pollock (suite) - Stephen Polcari
38. L’impact de la seconde guerre mondiale Stephen Polcari
42. La recherche : Pollock et la renaissance de l’homme Stephen
Polcari
72. L’aboutissement : Le dripping ou l’image de l’invisible Stephen
Polcari
Catalogue
Notices de Stephen
Polcari et Mickie Klein
98. Débuts – L’oeuvre de Jeunesse
108. Le Sacrifice et la mort
136. La fusion de l’homme et de l’animal
164. La fusion de l’homme et de la femme
180. Germinaison et naissance
200. La peinture graphique – Les pictogrammes
222. Les abstractions
232. La danse – l’oeuvre tardive
250. La quête de la transformation magique – L’extase
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