| Ramond, Sylvie: Ramond, Sylvie - Coudrain, Brigitte - Jaron, Steven - Cahn, Isabelle, Johnny Friedlaender (1912-1992). Le graveur dans son temps. Exposition INHA, Paris, 18 septembre 2008 - 3 janvier 2009 (du 18 septembre au 8 novembre 2008, L’artiste et son oeuvre ; du 18 novembre 2008 au 3 janvier 2009, Autour d’un atelier). ISBN : 978-2-917902-00-4 (INHA, Paris 2008)
| Compte rendu par François Fossier, Université Lyon 2 Nombre de mots : 1070 mots Publié en ligne le 2011-03-28 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=591
Cette
exposition consécutive à une importante donation faite par Brigitte Coudrain,
compagne de l’artiste, à la bibliothèque Doucet, aujourd’hui de l’Institut
national d’histoire de l’art (INHA), justifiait une rétrospective sur un
praticien qui joua un rôle central dans la pratique de la gravure en couleurs
après 1950.
La première
question que le lecteur de ce petit catalogue d’une quarantaine de pages peut
se poser est l’opportunité d’avoir monté une exposition en deux temps, ainsi
que cela figure, fort discrètement, sur le second rabat de la couverture (18
septembre-8 novembre 2008, puis 18 novembre-3 janvier 2009), faute de place
dans la salle Roberto Longhi, paraît-il, pour présenter d’emblée l’ensemble de
la donation faite par la compagne de l’artiste, Brigitte Coudrain, à la
bibliothèque de l’INHA. N’aurait-il pas été plus opportun de faire appel à la
collaboration du cabinet des Estampes de la BnF, pourtant si proche, possédant lui-même de
nombreuses planches de Friedlaender et disposant d’espaces plus larges pour
monter une vraie rétrospective ? De manière générale, si l’INHA a parmi ses
vocations, celle d’aider au montage d’expositions, il est un fait qu’il ne peut
guère en réaliser lui-même que de très réduites et, de ce fait, toujours un peu
décevantes ; quand, véritablement, il considère qu’elle doit revêtir une
certaine ampleur, c’est vers l’extérieur qu’il se tourne (Focillon à Lyon,
Roger-Marx à Nancy).
Par
ailleurs, le choix des auteurs voulu par Mme Coudrain elle-même est un peu
déroutant, puisqu’il élimine les deux commissaires de l’exposition Isabelle
Cahn et Fanny Lambert (qui ne sont, il est vrai, ni l’une ni l’autre
spécialistes de la gravure surtout contemporaine) ; autant l’introduction
biographique de celle-ci et l’interview accordée par Bernard Gheerbrandt,
fondateur de La Hune,
étaient opportunes, autant celles d’un ophtamologue des Quinze Vingt, le dr
Steven Jaron, et de Sylvie Lecoq Ramond, directrice du musée de Lyon, ne
sont que des points de vue ; le premier semble bien connaître et apprécier la
dernière partie de l’œuvre de l’artiste, met en exergue deux des obsessions de
celui-ci, « la traque du poisson » et l’oiseau : c’est un peu
réductif, bien que finement analysé. La seconde, ancienne conservatrice au
musée d’Unterlinden, avait déjà reçu de Mme Coudrain le don d’un
certain nombre de planches (il est dommage qu’elles n’aient pas pu figurer à
l’INHA) et participé à l’élaboration du tome V du catalogue raisonné de
Friedlaender entrepris, dès 1973, par la galerie Schmücking de Brunswick
(transférée à Krefel en 1988) ; ce dernier tome recensait les œuvres de l’artiste
produites entre 1988 et 1992, à dire vrai les moins bonnes (il avait déjà
soixante-quatorze ans). Aussi, le parti adopté par Mme Ramond a été
d’envisager la question des « ateliers de Johnny Friedlaender », qu’elle
semble confondre avec celle des imprimeurs (Desjobert dans un premier temps qui
avait tiré Braque, Miro, Dufy, puis celui de Georges Leblanc) ; elle passe
ensuite à ce cours de gravure créé en 1949 avec Albert Flocon, rue
Saint-Jacques (l’Atelier de l’Ermitage) où vinrent se perfectionner Zao Wou-Ki,
Vieira da Silva et Music, qui se transportera au sein du propre atelier de l’artiste,
impasse du Rouet, puis impasse Cœur-de-Vey. En découle un flou entre l’activité
de l’artiste comme graveur d’un côté, son rapport avec imprimeurs et éditeurs
de l’autre (pas un mot sur La
Hune, sur Zervos, ni sur Sagot Le Garrec, ni sur les
marchands d’estampes d’aujourd’hui qui présentent régulièrement des planches de
Friedlaender). En fait, on ne peut que regretter l’absence d’une contribution
scientifique par un véritable historien de la gravure contemporaine qui aurait
constitué le noyau dur du catalogue, en aurait fait un utile instrument de
travail et aurait permis de replacer Friedlaender parmi les artistes de son
époque.
Car Friedlaender
est une figure majeure de la gravure du XXe siècle dans les pays de
l’Est, tant par sa maîtrise technique de l’aquatinte et de ce que le mince
catalogue appelle « estampe en couleurs », faute de savoir ce dont il
s’agit exactement, que par son parcours. Il fait partie de ces artistes
frontaliers, pourrait-on dire ; Pless, sa ville natale de Haute-Silésie (ce qui
ne veut rien dire), passa, comme le reste de la Pologne, sous la tutelle
russe, puis nazie et enfin soviétique ; il découvre à Dresde cette peinture
allemande qui le marque si fort, étudie à Breslau (encore en Pologne à l’époque)
sous la houlette de Carlo Mense et d’Otto Müller, mais on connaît si peu en
France l’art de la gravure en Europe centrale qu’il a certainement dû
rencontrer bien d’autres artistes, ne pas se limiter à la Neue Sachlichkeit de Dix et sans doute trouver un écho dans ses recherches chez
Kandinsky par leur sensibilité musicale commune. La suite de son existence, du
moins jusqu’en 1945, est jalonnée par la fuite et l’internement de 1942-1944 au
camp des Mées dit des « Mille » (qui n’était tout de même pas
Auschwitz où il ne fut pas expédié, n’étant pas juif) ; s’y trouvaient aussi
Éluard et Chagall. Il existe, hélas, une hiérarchie dans l’horreur et l’expérience
atroce de Music n’est pas comparable à celle Friedlaender et son recueil Images du malheur publié dès 1945 aux
éditions Sagile prouve qu’il n’appartenait pas au monde de ces déportés dont le
souci premier était d’oublier avant tout. L’idée très à la mode du
« redépart à zéro » après la guerre, lancée sous forme de boutade par
Barnett Newman n’était recevable que par ceux qui avaient modérément souffert
(n’oublions pas que le syndrome de la
Shoa n’apparut qu’en 1962 avec le procès d’Eichmann). C’est
plutôt à l’image de ce « Wanderer » dont le tableau de Friedrich l’avait
tant ému, qu’il faudrait l’assimiler ; qu’il ait pris ses distances vis-à-vis
du surréalisme, qu’il soit par moments proche de Klee ou de Bellmer (jamais de
Masson ou de Poliakoff), que l’abstraction l’ait rebuté, qu’il ait au fil des
ans perfectionné sa technique au point de donner des cours tout en glanant ce
qui lui convenait, au risque de donner une image disparate de son œuvre, est
perceptible chez pratiquement tous ses compatriotes issus des pays de l’Est.
Comme on ne les connaît pas ou peu, il paraît dangereux de lui attribuer une
quelconque singularité, à moins de considérer, selon les sacro-saints principes
de la modernité, que tout artiste est original. En revanche, sa maîtrise est
incontestable mais là encore, comment en apprécier les mérites hors
contextualisation avec ce qui se faisait en la matière de part et d’autre du
rideau de fer ?
Au fond, la
bien modeste exposition de l’INHA ne sert pas vraiment cet artiste si important
dans la galaxie de l’Europe centrale au XXe siècle ; il y a toutes
sortes d’excuses à cela, mais peut-être l’expérience n’est-elle pas à
renouveler, alors que manque une grande exposition internationale sur les
écoles de gravure des pays de l’Est ; hélas, manque aussi un travail de
synthèse sur cet art, pourtant moins méprisé aujourd’hui que jadis… d’où cet
effet d’isolement disparate quand on en tire un du lot pour des motifs qui ne
relèvent pas de l’histoire de l’art.
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