Viollet-le-Duc, Eugène: Histoire d’une maison, Collection Archigraphy Poche, Réédition, ISBN 978-2-88474-582-6, 346 pages, 10 euros
(Infolio éditions, Paris 2008)
 
Compte rendu par Pauline Piraud-Fournet, Institut français du Proche-Orient
 
Nombre de mots : 2147 mots
Publié en ligne le 2009-03-23
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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    Les éditions Infolio offrent la réédition d’un ouvrage du célèbre architecte Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, auteur de la restauration des monuments les plus prestigieux de France – Notre-Dame de Paris, la Sainte-Chapelle ou la basilique de Saint-Denis. Publié à Paris en décembre 1873, l’ouvrage fut vendu comme « livre d’étrennes » dans la Bibliothèque d’éducation et de récréation par Pierre-Jules Hetzel, l’éditeur des romans de Jules Verne. Il fut presque simultanément traduit en anglais et en italien et connut un grand succès jusqu’à la fin du XIXe siècle. Une préface bien documentée, un glossaire des principaux termes d’architecture employés et une biographie de Viollet-le-Duc complètent utilement cette réédition très attendue. Le nouveau format de poche et le prix de ce livre le rendent accessible aux étudiants en architecture, en histoire ou en lettres.


    Sous une forme romancée, Viollet-le-Duc ne raconte donc pas tant l’histoire d’une maison comme le titre l’indique, que celle de sa conception et de sa réalisation. La trame du roman et les intentions qui sont à l’origine du projet s’appuient sur des principes moraux qui, quoique laïcs, ne sont pas sans rappeler la morale chrétienne de Second Empire qui est au cœur des contes enfantins de la comtesse de Ségur. C’est naturellement à la suite de ceux-ci que l’on rangerait cet ouvrage destiné, par l’auteur d’un compte rendu de décembre 1873, « aux jeunes gens entre quatorze et dix-huit ou vingt ans ». Imaginez que le petit Paul d’Aubert, le héros des « vacances », le bâtisseur de huttes et de cabanes, a grandi. Il devient chez Viollet-le-Duc, Paul de Gandelau ou plutôt, tout au long de ce roman didactique, M. Paul, jeune lycéen que la guerre de 1870 consigne pour une année entière dans l’Indre, dans le château familial. C’est pour empêcher l’oisiveté et l’ennui qui ne conviennent pas à un jeune homme de bonne famille que son père encourage Paul à réaliser son projet de construire une maison sur un terrain voisin pour sa sœur et son beau-frère partis en voyage de noce à Constantinople. Le jeune homme - et le lecteur - sont accompagnés dans leur parcours initiatique, depuis la découverte des outils de la conception du projet d’architecture jusqu’à sa réalisation sur le chantier, par le « grand cousin », architecte docte et patient qui très certainement figure l’auteur lui-même. Le roman est émaillé des questions candides du lycéen, auxquelles son savant cousin apporte des réponses toujours pratiques, raisonnées, extrêmement précises et illustrées. L’ouvrage présente en effet plus de soixante gravures réalisées d’après les dessins de Viollet-le-Duc lui-même. Elles illustrent des scènes didactiques du roman, mais surtout le projet de maison, son implantation, les plans et les élévations, jusqu’aux détails de construction.
    L’auteur a partagé son ouvrage en vingt-huit chapitres, mêlant intimement le contexte social et historique au projet d’architecture, où la théorie et les principes moraux prennent toujours appui sur la mise en œuvre pratique du projet et sur les expériences de Paul.


- 1. M. Paul a une idée. Le contexte du projet est présenté et l’auteur en profite pour exposer ses idées sur la famille et sur le mariage. « Quand tu auras longtemps étudié et beaucoup vu, tu sauras que l’habitation doit être, pour l’homme ou pour sa famille, un vêtement fait à sa mesure (…) ». La famille définit les besoins auxquels la nouvelle maison devra répondre et le programme est élaboré.

- 2. Avec un peu d’aide l’idée de M. Paul se développe. Le terrain sur lequel le projet sera réalisé est exploré, ses qualités sont identifiées et leur exploitation est programmée. Enfin, on comprend que les différentes pièces de la maison sont distribuées selon une logique répondant à des normes sociales et à des raisons pratiques.

- 3. L’arbre de la science. Paul apprend à ne pas sous-estimer, malgré ses éventuels défauts, la valeur patrimoniale et sociale du bâti ancien. « Il ne vous est pas permis d’ignorer ce qui s’est fait avant vous, c’est une masse commune, un bien acquis (…) ; mais ajoutez-y l’apport de votre intelligence, faites un pas en avant, ne rétrogradez pas ».

- 4. Des idées de M. Paul en matière d’art, et comment elles furent modifiées. Paul a appris à dessiner le plan à partir des contraintes du programme et du site sur lequel sera édifié le bâtiment. Il apprend que le dessin de la façade doit répondre à des contraintes d’ordre pratique plus qu’esthétique et que le choix du mode de couverture revêt la plus grande importance.

- 5. M. Paul suit un cours de construction pratique. Une nouvelle visite du site est l’occasion pour Paul de s’initier à la géologie et d’aborder la question des fondations et de leur isolation. Cette visite est suivie de celle des caves du château paternel où l’architecte explique la fabrication et l’utilisation de la chaux pour les mortiers, puis la construction des voûtes et des arcs.

- 6. Comme quoi M. Paul est induit à établir certaines différences entre la morale et la construction. « Un traité de construction est bon pour habituer l’esprit à concevoir et à faire exécuter suivant certaines méthodes ; il vous donne les moyens de résoudre les problèmes posés ; mais ne les résout pas, ou du moins n’en résout qu’un seul sur mille. C’est donc à l’intelligence, à l’observation à suppléer, en ces mille cas présentés, à ce que la règle ne peut prévoir ». L’observation de la charpente du château donne lieu à un cours où les qualités du bois et les manières de l’utiliser sont exposées.

- 7. Plantation de la maison et opérations sur terrain. L’architecte veille à l’approvisionnement du chantier en matériaux de construction et à l’exploitation des ressources locales. Il explique l’usage du graphomètre, ancêtre du théodolite.

- 8. M. Paul réfléchit. « La tête est une merveilleuse boîte ; plus on la remplit, plus elle s’élargit ». Le grand cousin met en évidence les lacunes et les défauts des études qu’il a suivies et décrit le déroulement idéal qu’il souhaite pour celles de Paul : des études basées sur l’observation, la pratique, le raisonnement et le bon sens.

- 9. M. Paul, inspecteur des travaux. Où l’on apprend, après la fouille, à adapter le projet au terrain et à en exploiter les ressources.

- 10. M. Paul commence à comprendre. Et nous apprenons ici à réaliser les cintres nécessaires à la construction des voûtes de la cave. Le dessin des façades est l’occasion d’aborder la question de la symétrie dont les lois ne conviennent pas aux habitations privées car la « règle impérieuse est de satisfaire d’abord aux besoins de ses habitants ».

- 11. La construction en élévation. Il est question des harpes aux angles, de plancher et de structure.

- 12. De quelques observations adressées au grand cousin par M. Paul et des réponses qui y furent faites. « En architecture, il ne faut dissimuler aucun des moyens de structures, et (…) il est même dans l’intérêt de cet art de s’en servir comme de motifs de décoration ; en un mot (…) il faut être sincère, raisonner et ne se fier qu’à soi… ».

- 13. La visite au chantier. Où l’on apprend à choisir les pierres, les briques, le sable, à reconnaître leurs faiblesses et les malfaçons et à limiter les ravalements. - 14. M. Paul éprouve le besoin de se perfectionner dans l’art du dessin. « Il faut qu’un architecte arrive à se servir de la géométrie descriptive, comme on écrit l’orthographe, sans s’en préoccuper ».

- 15. L’étude des escaliers. Paul s’attache péniblement au dessin du plan et de la projection verticale des escaliers.

- 16. Le critique. Dans le roman, M. Durosay entre en scène, apportant un regard nouveau et de nouvelles questions sur le projet, offrant au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre l’occasion de se faire une fois encore les hérauts du bon sens, de l’authenticité et de la simplicité.

- 17. M. Paul demande ce que c’est que l’architecture et il apparaît que l’architecture est une enveloppe adaptée à ce qu’elle doit contenir.

- 18. Études théoriques. Vient pour l’architecte et son élève le temps de la théorie. « Plus vous saurez, plus vous reconnaîtrez qu’il vous manque de savoir ; et la limite de la science, c’est d’acquérir la conviction qu’on ne sait rien ». Il est question des ordres, de l’Antiquité, de la Renaissance, du mur et des baies.

-19. Suite des études théoriques. On rappelle que le dessin du profil des éléments d’architecture est conditionné par la destination, la nature des matériaux, l’usage et l’effet à obtenir.

- 20. Lacune.

- 21. Reprise des travaux – la charpente. Il est question aussi bien de combles, de lucarnes, de fermes, de cheminées que de flâches et de corbeaux.

- 22. La fumisterie.

- 23. Cantine.

- 24. La menuiserie.

- 25. Des nouvelles connaissances acquises par M. Paul pendant son voyage. Paul part à Châteauroux, à la rencontre de M. Victorien, ingénieur civil, qui regrette que la question d’art traitée par l’architecte ait été séparée de la question de science traitée par l’ingénieur. Le jeune homme est instruit sur la construction des écluses et des ponts.

- 26. La couverture et la plomberie. Paul est averti de l’importance des chéneaux, des écoulements d’eaux pluviales et de la couverture, en ardoise en l’occurrence, car « une maison mal couverte est comme un homme incomplètement ou mal vêtu. L’un et l’autre contractent des maladies incurables ». Il est question enfin des petits corps de métiers du bâtiment.

- 27. L’ordre dans l’achèvement des travaux. Paul rentre au lycée et doit abandonner son chantier à son cousin qui prend en main l’exécution du second œuvre et de la décoration.

- 28. L’inauguration de la maison.


    Une contradiction apparaît de façon latente tout au long du roman. Le décalage entre certaines intentions et les réalisations de Viollet-le-Duc, les unes exprimées par la voix du cousin architecte, les autres illustrées par les dessins de l’auteur, est frappant. L’auteur qui prône dans ce manifeste une architecture fonctionnelle et rigoureusement rationnelle, débarrassée du superflu, ne répondant qu’à des exigences sociales et pratiques, illustre ces principes par des exemples paradoxalement chargés de fioritures, là où on attendrait la plus grande sobriété. Aucune contrainte fonctionnelle n’impose l’étroite tourelle d’escalier saillante en façade de la nouvelle maison ou, à une autre échelle, le dessin des meneaux, des corbeaux et la forme ourlée et végétale des gargouilles par exemple. L’architecte chargé de la restauration des monuments les plus prestigieux de France – Notre-Dame de Paris, la Sainte-Chapelle ou la basilique de Saint-Denis, s’inscrivant dans un mouvement esthétique fort du XIXe siècle – conçoit une architecture néo-gothique fortement marquée par les citations historiques, qui peut dans le cas de la restauration trouver une certaine légitimité. Dans le cas du projet exposé dans ce roman, elle peut sembler, si on la confronte à ses recommandations, manquer d’authenticité. À la fin du roman et à l’occasion de l’inauguration de la maison, l’ami de la famille M. Durosay relève en une phrase cette contradiction : « C’est un charmant manoir seigneurial ! » et Viollet-le-Duc de se défendre par la voix de la sœur de Paul : « Mais (…) pourquoi cher Monsieur, appelez-vous cela un manoir, et seigneurial ? Je n’ai pas de vassaux, et je n’ai pas envie d’en posséder. Dites donc que c’est une maison, faite pour moi par ceux qui m’aiment, et qui sera toujours ouverte à nos amis, toujours accessible à ceux qui auront besoin de nous ». Dans sa forme en tout cas le projet répond fidèlement à l’un des principes de l’auteur : à n’en pas douter, la maison d’allure ancienne et puissante, sûre de sa valeur, est à l’image de ses destinataires.


    Par de nombreux aspects, cet ouvrage est bien plus qu’un manuel de construction. Faire de l’architecture ou analyser l’architecture existante, c’est trahir ou s’attacher à comprendre le mode de vie et les aspirations de la société qui la réalise. Tout au long de ce roman didactique, Viollet-le-Duc décrit parallèlement l’objet – la maison – et son destinataire – la famille, insistant sur la nécessité de construire et de favoriser le développement de l’un comme de l’autre selon les mêmes principes. Ainsi, tout en distribuant ses conseils pour la construction de la maison idéale, l’auteur brosse, d’une façon qui nous paraît caricaturale, un portrait de l’aristocratie, de la bourgeoisie et des paysans de la France républicaine de la fin du XIXe siècle. Le sens pratique, la simplicité, l’économie, le travail honnête et bien fait, la famille et ses valeurs, la patrie enfin, sont mis à l’honneur et âprement défendus tout au long de cette histoire. Alors que M. de Gandelau et son cousin prônent l’utilité, l’économie et la simplicité en matière d’art, leur ami « honorable bourgeois », M. Durosay vit dans le paraître. Le père Branchu, maçon, « intelligent, laborieux et probe », et le charpentier Jean Godard mettent, quant à eux, leur bon sens populaire au service du projet. Outre le fait que ce manuel pratique déguisé en roman constitue une intéressante et originale source historique, le choix de le rééditer aujourd’hui peut s’expliquer par la pertinence, la qualité et le caractère intemporel des conseils dispensés par l’auteur en matière d’architecture. Il convient d’estimer à leur juste valeur ces informations pratiques et théoriques qui sont à même de contribuer à la formation des architectes dont une part importante de l’activité consistera, dans les décennies à venir, à restaurer, réhabiliter, exploiter, adapter à de nouvelles destinations le patrimoine bâti du XIXe siècle. Et quand bien même le programme, les éléments de construction et leur mise en œuvre, décrits dans ce traité, pourraient paraître obsolètes, le processus d’élaboration du projet et la méthode préconisée par Viollet-le-Duc, basés sur l’observation et le raisonnement, demeurent adaptables à toute situation. Cet enseignement rédigé il y a plus d’un siècle exhorte les architectes, grâce à cette heureuse réédition, à la réalisation d’une architecture organique et fonctionnelle, mettant en œuvre les ressources locales pour plus d’économie, et adaptée pour plus d’efficacité et de rendement à son contexte climatique et à la fonction qu’elle doit remplir.