Losehand, Joachim: Häuser für die Herrscher Roms und Athens? Überlegungen zu Funktion und Bedeutung von Gebäude F auf der Athener Agora und der Regia auf dem Forum Romanum (Antiquitates 42), ISBN 978-3-8300-3397-4, kartoniert, 154 S., 15 schw.-w. Abb. - 21 x 15 cm Preisinfo: 58,00 Eur[D] / 59,70 Eur[A]
(Dr. Kovac, Hamburg 2007)
 
Compte rendu par Sylvie Rougier-Blanc, Université Toulouse II-Le Mirail
 
Nombre de mots : 1361 mots
Publié en ligne le 2010-04-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=600
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           Ce petit ouvrage se propose de revenir sur la nature et la fonction de deux édifices souvent rapprochés : la Regia du Forum Romanum à Rome et le bâtiment F de l’agora d’Athènes. Situés à plus de 1000 km l’un de l’autre, ces deux bâtiments  présentent une organisation planimétrique trapézoïdale d’apparence très similaire et sont tous deux situés au centre du cœur politique de chacune des villes en question. Cette similitude n’a cessé d’intriguer les chercheurs, d’autant plus que se pose la question de la date de leur édification et de leur fonction. Le sujet n’est pas nouveau et a déjà fait l’objet d’articles, notamment de la part de  C. Ampolo (« Analogie e rapporti fra Atene e Roma arcaica. Osservazioni sulla Regi, sul Rex sacrorum e culto di Vesta », La Parola del Passato 26 (1971), p. 443-460) puis dans les années 1990, sous la plume de Ch. Scheffer (« Domus Regiae – a greek Tradition ? », Opuscula Atheniensa 18 (1990), p. 185-191). Depuis, peu de nouvelles avancées ont été faites (aucune fouille nouvelle n’a été menée), même si la décoration du toit de la Regia de Rome a fait l’objet d’une publication d’ensemble qui a contribué à mieux dater les différentes phases du bâtiment (Susan B. Downey, Architectural Terracottas from the Regia, Papers and monographs of the American Academy in Rome 30, 1995).

 

           L’objectif de l’auteur est de présenter un inventaire des données à disposition, « un état des lieux » de la question (introduction p. 7-10). L’ouvrage se présente donc plus comme une synthèse que comme une thèse. Les deux premières parties, très descriptives, sont consacrées respectivement à la Regia de Rome (p. 11-84) puis au bâtiment F de l’agora d’Athènes (p. 85-126). L’exposé se veut systématique (sources littéraires, données archéologiques, datations, fonctions possibles de l’édifice, contexte historique et politique) dans chacune des sections, et exhaustif. Il présente aussi la superposition en plans des différentes phases de chaque édifice et s’accompagne de bilans et de résumés transitoires. La méthode consiste à exposer toutes les caractéristiques de chaque édifice avant de procéder à l’inventaire des similitudes et différences qui occupe une troisième partie relativement maigre (p. 127-139). Une brève bibliographie aux références souvent incomplètes – l’éditeur et le lieu d’édition manquent ainsi que la pagination très précise des articles – clôt l’ensemble.

 

           Les fouilles de la Regia de Rome, située à l’angle sud-est du Forum Romanum ont été publiées par Frank E. Brown en 1975 ; l’histoire des différentes phases de l’édifice est mieux connues et F. Coarelli en a présenté un résumé et une reconstitution convaincante en 1983 dans Il Foro romano. Periodo archaico, p. 56-79, que Losehand reprend en partie seulement. Au cours des premières phases (Regia 1 et 2, respectivement 640/630 av. J.-C. et après 630), l’édifice se présente sous la forme d’une cour de plan trapézoïdal flanquée à  l’ouest de deux pièces jumelles séparées par un couloir qui semble correspondre au modèle des temples géminés étrusques à plusieurs cellae.  Il est reconstruit à la suite d’un incendie selon un plan différent (état 3 et 4) avant de faire l’objet d’un remaniement d’ensemble (Regia 5) qui lui donne la forme la plus proche de l’édifice F de l’agora d’Athènes et qui date des débuts de la République. La cour trapézoïdale comporte alors sur son aile sud trois pièces dont une qui sert d’entrée alors que l’aile nord est mal connue. La question de savoir si la Regia était une résidence royale, si elle abritait le pontifex maximus ou le rex sacrorum ou s’il s’agissait d’un édifice à vocation plus publique reste pour lui entière. Mais malgré toutes les questions en suspens sur la fonction de l’édifice de l’état 5, il abrite bien un sanctuaire à Ops Consivia et à Mars. Cependant, Losehand insiste surtout sur l’organisation planimétrique : la Regia a des parallèles dans l’architecture privée étrusque du VIe s. et il ne veut pas y voir à l’origine un édifice proprement sacré.

 

           La situation du bâtiment F de l’agora d’Athènes se distingue de celle de la Regia de Rome. Tout d’abord parce qu’aucune source littéraire ne nous renseigne sur la façon dont les Anciens ont par tradition interprété le bâtiment ; ensuite parce que F fait partie d’un complexe architectural C-K dont l’articulation est encore moins certaine que celle de la Regia du Forum Romanum. Enfin, dans les années 470/460 et à la suite des destructions perses, la tholos est implantée sur une partie des fondations du bâtiment F arasées. L’édifice ne connaît pas la continuité d’existence de la Regia, encore en usage sous Hadrien. Les fouilles des années 1940 permettent de reconstituer partiellement l’histoire de l’ensemble du complexe F. Si les premiers indices datent des années 600-575, le bâtiment F a été érigé dans les années 550, pendant la période de l’exil du tyran Pisistrate. Il se compose d’une grande cour trapézoïdale, d’une aile sud dotée de trois pièces et d’une aile nord dotée d’une entrée et d’une série de pièces. Là encore, la question de la fonction reste entière : résidence des Pisistratides, lieu public, atelier artisanal…  L’auteur passe en revue toutes les hypothèses pour privilégier, en s’appuyant sur l’organisation planimétrique, celle de la demeure aristocratique.

 

           L’ouvrage insiste, dans la dernière partie, sur certaines implications historiques d’une approche comparative : la Regia de la phase 5 est contemporaine du bâtiment F. La correspondance entre la chute de la royauté étrusque et la mise en place du régime clisthénien est en effet troublante ; on pourrait envisager que la toute nouvelle République s’inspire de l’architecture du pouvoir de la toute nouvelle Athènes isonomique. Mais au-delà de ces questions d’influence, impossibles à trancher et que l’auteur place avec raison au second plan, le mystère de la fonction du bâtiment F est déterminant dans tout rapprochement avec la Regia et l’auteur pose, à plusieurs reprises, la question passionnante des rapports entre forme et fonction d’un édifice. Si la Regia 5 est de toute évidence un sanctuaire, son plan correspond à l’architecture domestique et aristocratique étrusque. Malgré les éléments soulignés par St. G. Miller (The Prytaneion. Its Function and Architectural Form, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 1978), le bâtiment F ne possède pas les caractéristiques d’un prytanée ni d’un prytanikon mais se rattache  plutôt à l’architecture domestique aristocratique. Sans en faire le palais des Pisistratides, plus logiquement placé sur l’acropole d’après la tradition, l’auteur envisage une demeure d’un aristocrate (mais lequel ?) dotée ensuite de fonctions publiques.

 

           Même s’il a le mérite d’avouer les limites des différentes hypothèses, l’ouvrage laisse souvent une impression d’inachevé. Certains points de l’analyse mériteraient de plus amples développements : si le rapprochement entre l’édifice romain et le bâtiment athénien n’est pas déterminé par des raisons politiques, il pourrait résulter d’une influence conjointe de l’architecture domestique de prestige sur l’architecture religieuse et publique. On pourra surtout regretter que les débats historiographiques, dont l’ouvrage se fait partiellement l’écho au détour du texte (fonction religieuse/fonction domestique de la Regia, nature et fonction d’une architecture du pouvoir à Rome comme à Athènes, lien entre organisation planimétrique et fonction d’un édifice, influence entre architecture domestique grecque et étrusque…), ne fassent pas l’objet de développements d’ensemble et ne soient pas davantage mis en perspective ; l’auteur propose parfois une analyse générale du processus de réflexion scientifique mais sans établir de rapprochement avec le contexte de production du raisonnement. C’est le cas par exemple dans l’étude des articulations possibles entre la Tholos et l’Ancien Bouleutérion (p. 112-113) : Losehand schématise les analogies induites par les reconstitutions des archéologues et en montre à juste titre les limites. Dans les deux cas, il s’agit de deux bâtiments exemplaires dans l’histoire des relations entre architecture et politique à Rome et à Athènes qui demanderaient une remise en contexte plus large. Une telle approche permettrait de renouveler le questionnement méthodologique et d’opter pour une lecture plus constructive.

 

           Le travail de compilation proposé par J. Losehand sera certes utile à plus d’un lecteur, car il offre une histoire relativement complète des fouilles et des interprétations de ces deux bâtiments énigmatiques. On regrettera cependant la tendance à la juxtaposition des points de vue qui contribue souvent à segmenter la réflexion, la forme de la bibliographie, le recours systématique aux plans restitués sans les plans de fouille et l’absence d’indices (thématique et géographique mais aussi des auteurs anciens et modernes) qui auraient fait de ce volume un meilleur outil de travail scientifique. De nombreux plans (plan d’ensemble d’Athènes et de Rome pour comprendre l’évolution urbanistique au VIe s., plan des maisons de Satricium ou d’Acquarossa, notamment, sur lesquels s’appuie une partie de la réflexion…) auraient permis d’illustrer et de compléter le propos.