Papier-Lecostey, Catherine - Camino, Luc - Blanchegorge, Eric: Collections égyptiennes du musée Antoine Vivenel de Compiègne.
301 pages, illustrations couleurs, 30cmx24cm. ISBN : 2-9524381-1-0. 32 €
(Association des Amis des musées Antoine Vivenel et de la Figurine historique de Compiègne, Compiègne 2007)

 
Compte rendu par Ludovic Lefebvre, Université de Rouen
 
Nombre de mots : 1844 mots
Publié en ligne le 2009-03-16
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=609
 
 

Ce beau livre fait suite à un premier catalogue, paru en 2001, consacré aux vases grecs du musée de Compiègne, ainsi qu’à la publication d’un ouvrage traitant des dessins français antérieurs à 1862, année de la mort du mécène du musée, Antoine Vivenel (né à Compiègne en 1799).

 

Il faut en effet rappeler en guise d’introduction qu’Antoine Vivenel a fondé le musée de Compiègne et qu’il s’est investi avec passion pour enrichir les collections de celui-ci (voir le portrait par Dominique Louis Papety, p. 10) et, très vite, il s’est impliqué dans l’accroissement des œuvres égyptiennes. En 1877, comme le rappelle Éric Blanchegorge (p. 13), conservateur en chef des musées des villes de Compiègne et Crépy-en-Valois, le musée détient déjà « 271 pièces égyptiennes ou crues telles », dont seules deux ne sont pas le fruit de ses dons. La collection est exposée dans sa presque totalité, soit trois cent trente-six pièces provenant essentiellement de la Basse Époque et, pour la majorité de celles-ci, il s’agit d’amulettes. Le catalogue reproduit donc trois cent trente-trois pièces accompagnées naturellement de notices techniques et de commentaires (rédigés par Luc Camino et Christine Papier-Lecostey). Le catalogue est composé de quinze parties que nous nous proposons de retracer ici, chaque partie étant précédée d’une introduction.

 

La première est consacrée aux statuettes de bronze, bois et pierre (soixante-huit pièces). Si le bronze reste le matériau de prédilection des artisans, le panthéon entier est représenté avec une attirance nette toutefois pour la fameuse triade osirienne : Osiris, Isis et Horus. Le musée détient ainsi plusieurs exemplaires d’Osiris, dont un fragment (buste et tête) de Grand Osiris (p. 25) qui proviendrait peut-être des sous-sols du temple de Ramsès III à Medinet Habou. Autre exemplaire digne d’intérêt, celui intitulé « Harpocrate au pot » (p. 63) figurant la jeune divinité, joufflue et rieuse, façonnée en terre cuite, qui tient un pot symbolisant la fertilité et la fécondité.

 

La deuxième partie du catalogue traite des stèles (dix exemplaires). Il est rappelé le soin que les artisans accordaient à leur fabrication dans le choix des couleurs (avec un code) et dans la taille des matériaux utilisés. Trois grandes catégories de stèles existent : les votives (dédiées à une ou plusieurs divinités) déposées dans les chapelles et les temples, les funéraires (qui sont classées en stèles à scène de repas funéraire et en stèles familiales) placées à l’intérieur du tombeau ou dans la chapelle et enfin les solaires (représentant le soleil dans sa barque) placées à l’extérieur de la tombe. Le musée dispose d’un très bel exemplaire, dit « Stèle de Hapou et Iou-ouri », qui appartient vraisemblablement au début de la XVIIIe dynastie et où l’on peut observer deux époux respirant une fleur de lotus (p. 76-77).

 

Ensuite, l’ouvrage recense les statuettes appartenant au mobilier funéraire, destinées à protéger la momie ou à rappeler son destin. Cette vogue apparut au Nouvel Empire et se diffusa à la Basse Époque. Ptah (patron des artisans), Sokar (divinité de la végétation) et Osiris (dieu des morts) étaient unis en une même représentation par leurs attributs propres (donc appelée Ptah-Sokar-Osiris) . Compiègne dispose de quatre pièces ainsi que dix autres figurant des oiseaux, des divinités ou tout simplement une femme couchée sur un lit (p. 104).

 

La quatrième partie reste dans le mobilier funéraire avec les chaouabtis et les oushebtis (ce second terme remplaçant le premier à la Troisième Période Intermédiaire), statuettes placées avec les défunts. Nombre d’entre elles datant des XXIe et XXIIe dynasties ont été retrouvées sur le site de Deir-el-Bahari et se caractérisent par une glaçure bleue (la faïence étant le matériau le plus employé). Quarante-cinq figurines funéraires sont photographiées dont certaines anépigraphes.

 

Après ces pages consacrées aux objets liés aux morts, la section suivante traite des amulettes : objets à caractère prophylactique devant protéger ici-bas leur porteur. Cependant, là encore, on rejoint l’au-delà comme pour tout ce qui touche à la civilisation de l’Egypte antique, car ces amulettes pouvaient accompagner les défunts dans leur dernier voyage. Constituées des matériaux les plus divers (mais codifiés dans le Livre des Morts), celles-ci renseignent le spécialiste sur les coutumes funéraires et le panthéon. Les amulettes compiégnoises sont essentiellement en céramique siliceuse glaçurée. Cette partie est la plus dense du catalogue, car cent quarante-sept objets sont représentés avec de très beaux exemplaires, tels le Grand pilier Djed (p. 148) dont l’origine n’est pas assurée, mais qui est le fétiche du dieu Osiris. Intéressant également l’œil Oudjat (p. 157), symbole de l’œil divin et qui « évoque la santé physique pour le vivant comme pour le défunt ». Cet œil est en effet celui du dieu Horus, arraché par Seth, puis reconstitué par Thot. Cette amulette fut très en vogue à la Basse Époque. Autre talisman en usage, la colonnette Ouadj (p. 162) appréciée des vivants comme des morts. Le musée comprend également de nombreuses statuettes du dieu Bès (p. 184s.), dieu à la face grotesque, au physique ingrat dans sa totalité, qui avait de nombreuses attributions, bénéficiant en outre d’une grande popularité, protégeant aussi bien les femmes que les enfants et devenant à l’époque ptolémaïque protecteur des soldats. 

 

On s’aperçoit à la lecture de ces pages de l’importance de ces amulettes, puisqu’on peut y contempler des représentations de divinités masculines léontocéphales, des déesses Sekhmet ou Mout, d’Anubis, de Thot, mais également de multiples animaux : bélier, ibis, chatte, truie… On connaît l’importance des animaux dans le quotidien égyptien et leur assimilation aux divinités. À titre d’exemple : la chatte, animal fétiche de la déesse Bastet (p. 202) ou la truie associée aux déesses Nout et Isis (p. 203), mais encore la grenouille (p. 210), moins connue du profane, car c’était l’animal de la déesse Heqet qui assistait les femmes en couches (y compris pour les naissances divines et royales), symbolisant fertilité et résurrection.

 

On peut être étonné aussi par la présence d’une « amulette bombée et allongée » représentant le cœur (p. 211), qui n’est pas en faïence, mais en pierre dure de couleur noire, peut-être de l’hématite. Le cœur avait une grande importance dans le processus de l’embaumement et le Livre des Morts consacre d’ailleurs au cœur du défunt cinq chapitres.

 

Cette cinquième partie se conclut par des représentations d’un moschophore agenouillé (« porteur de veau »), d’un élément de colonnette à double tête (déesse Sekhmet ou Bastet), d’un fragment d’hypocéphale (disque en fibres de papyrus, en bois, en tissu dont le bord portait généralement un passage du chapitre 162 du Livre des Morts) et d’un pectoral.

 

La sixième partie est consacrée à la grande amulette sacrée : le scarabée (douze exemplaires), symbole de la réincarnation ou plutôt de la transformation (assimilé à Kephri, Rê, Atoum et Nout). Ceci en raison du mode de reproduction de cet animal (les œufs éclosant dans une boule roulée par l’animal). Dans ce catalogue, une place est accordée plus particulièrement aux scarabées du cœur, dont la taille était supérieure aux autres amulettes et aux autres scarabées. On pouvait lire sur le plat de ce genre de spécimens le texte du chapitre XXXB du Livre des Morts. C’est le cas aux p. 222-223 du Scarabée de cœur de Nebmeroutef (ou Nebmertouf), en pierre dure grisâtre et cerclage de 5,2 cm. Les autres scarabées sont principalement des scarabées à inscriptions ou anépigraphes, ou encore des cachets et figures.

 

Les coffrets funéraires et vases canopes ne sont pas absents (septième partie) avec six exemplaires. Il est rappelé (p. 236) que l’usage du vase canope, qui recevait les viscères, ne disparut jamais totalement, même s’il déclina après la Troisième Période Intermédiaire où la pratique de replacer les entrailles (enveloppées dans de la toile) dans le corps du mort fut de plus en plus répandue (avec une figurine représentant un fils d’Horus). Des vases canopes factices étaient alors en vogue.

 

La huitième partie traite des éléments de sarcophages, le musée détenant cinq exemplaires de ceux-ci dont une belle semelle du sarcophage (cuve extérieure) de Ptahmes datant de Ramsès II  en granit noir et gris (p. 242-243). Ce Ptahmes était un fonctionnaire de haut rang sous Ramsès, puisqu’il occupa le poste de gouverneur de Memphis et qu’il fut intendant du temple de Ramsès-Meriamon dans le domaine de Ptah, le temple funéraire de Ramsès II. Il eut  d’autres fonctions et bien d’autres titres encore. Son nom est par ailleurs connu grâce à un oushebti conservé au Musée du Louvre. On relève également un fragment de sarcophage de Ramsèsnakht, en bois de cèdre ou du Liban sculpté en relief, et datant de la même époque que le précédent (p. 244-245).

 

Momie et momification occupent naturellement un chapitre du catalogue (neuvième partie). Regarder des parties de corps momifiés est toujours assez émouvant. Les auteurs rappellent l’origine de la momification (IVe millénaire) et sa diffusion progressive dans toutes les couches de la société. Il est par ailleurs pittoresque et intéressant de rappeler que sur la technique de la momification, notre « meilleure source reste Hérodote », un Grec du Ve siècle. Quatorze momies ou parties de momies incluant adultes, enfants ou animaux sont représentées dont, p. 257, une main de momie portant scarabée.

 

La dixième partie est consacrée aux vases. Le musée en possède peu puisque sept modèles sont recensés, dont trois situles, petits vases de métal contenant de l’eau lustrale destinée aux rites. À noter un aryballe d’origine rhodienne, qui témoigne donc de l’insertion de l’Egypte dans les échanges économiques entre les VIIe et Ve siècles.

 

Les onzième et douzième parties du catalogue recensent les éléments de parure et de décoration (cinq objets), dont une boule en forme de fleur de lotus, en faïence bleue et noire datant peut-être du Nouvel Empire à usage incertain, ainsi que les livres funéraires mis à la disposition du mort et autres papyrus. Dans ce douzième chapitre, des fragments du livre des morts de Pa-Heb (époque ptolémaïque), un fragment de papyrus funéraire de Hori (fin du Nouvel Empire ?) et des bribes de papyrus grecs datant des époques ptolémaïque et romaine sont commentés avec, dans les deux premiers cas, des traductions (les exemplaires grecs étant trop lacunaires).

 

Enfin, ce catalogue exhaustif rappelle les objets non localisés ou disparus (cinq pièces) et les faux (cinq également), avant la conclusion du livre par un chapitre d’expérimentation scientifique très instructif, car il s’agit d’une contribution ayant pour sujet l’examen scannographique d’une momie d’enfant d’époque romaine. Quelques rappels sont faits quant à l’examen radiographique dont l’origine se trouve au Musée Guimet en 1926, mais la première autopsie fut accomplie à Manchester en 1907. La momie analysée ici fut offerte par le mécène, Antoine Vivenel, entre 1839 et 1847.

 

Comme nous avons pu le constater au fil de ces lignes, le catalogue est riche, même si ses parties ne sont pas proportionnées en raison de la nature diversifiée et inégale de la collection. Comme il a été dit en introduction, les objets datent essentiellement de la Basse Époque. Ce catalogue témoigne de la richesse du patrimoine d’un musée de province et de la vigueur d’un mécène, qui se consacra pleinement à l’accomplissement de cette œuvre. Ce livre, admirablement écrit et documenté, avec de très belles reproductions, est un hommage à son fondateur, Antoine Vivenel.