AA.VV.: Masques de Carpeaux à Picasso, expositions, Paris, Musée d’Orsay, 20 oct. 2008-10 févr. 2009 ; Darmstadt, Institut Mathildenhoehe, 8 mars-7 juin 2009. Broché. 256 p. 28 x 22 cm. ISBN : 978-2-7541-0348-0 ; EAN13 : 9782754103480. 49 €
(Hazan, Paris 2008)
Compte rendu par Elodie Voillot, École du Louvre, Paris
Nombre de mots : 3336 mots Publié en ligne le 2009-05-29 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=611
L’exposition Masques. De Carpeaux à
Picasso, organisée par Édouard Papet au musée d’Orsay, a choisi de
s’intéresser à un « objet », une forme plastique ayant investi ou
ayant été investie par des domaines artistiques divers, des arts décoratifs à
l’architecture, en passant par la photographie et, bien évidemment, la
sculpture. Il y a presque vingt ans, l’exposition Le Corps en morceau, organisée par ce même musée (Paris, musée
d’Orsay, 5 février – 3 juin 1990 ; Francfort, Schirn Kunsthalle, 23 juin –
26 août 1990), avait mis en lumière l’importance du masque mortuaire et de la
pratique du moulage sur nature. Édouard Papet a développé cette question dans
sa précédente exposition, À fleur de
peau, le moulage sur nature au xixe
siècle (Paris, musée d’Orsay, 30 octobre 2001 – 27 janvier 2002 ;
Leeds, Henry Moore Institute, 16 février – 19 mai 2002 ; Hambourg,
Hamburger Kunsthalle, 14 juin – 1er juin 2002 ; Ligornetto,
Museo Vela, office fédéral de la culture, 14 septembre – 19 novembre 2002, cat.
Paris, RMN, 2001). Loin de se limiter à un recensement formel, le masque est
envisagé dans ses multiples dimensions, notamment culturelles et littéraires. À
la fin du xixe et au début du xxe
siècle, le masque connut un renouveau et un succès considérable sous des formes
artistiques très diverses que l’exposition, prolongée par le catalogue, se
proposait d’explorer. S’il synthétise les différentes sections de l’exposition,
le catalogue ne présente pas, comme il est souvent de coutume, une succession
de notices commentant les œuvres exposées, mais privilégie des essais
thématiques et monographiques, alternant avec les analyses de quelques exemples
significatifs. La liste complète des œuvres exposées est renvoyée à la fin de
l’ouvrage.
L’ouverture, tant formelle que
chronologique, du masque comme support artistique mais aussi comme instrument
cultuel, scénique ou festif, imposait certaines limites qu’Édouard Papet,
conservateur au musée d’Orsay, prend soin de définir dans un ambitieux texte
introductif. Au cours de la période 1860-1914, dans une aire géographique
limitée à la France,
à l’Allemagne (essai de Renate Ulmer) et à la Belgique (essai de Xavier
Tricot sur James Ensor [1860-1949]), il est seulement question de
représentations humaines limitées au seul visage. L’exclusion des masques
d’animaux et d’hybridation tératologique, si elle apparaît comme regrettable
dans la perspective de rendre compte de manière exhaustive des voies explorées
par le masque, centre la problématique sur le questionnement identitaire, le
dévoilement et la dissimulation, et un certain jeu avec le « je ».
Tous les auteurs auront lieu de
rappeler que le masque articule une série d’oppositions : la fixité des
traits et la mobilité des expressions, le réalisme et l’invraisemblance, la
synthétisation et la stigmatisation, le dévoilement et la dissimulation. Dans
la partie introductive du catalogue, Jean-Luc Nancy tente de « démasquer »
le masque. Il insiste particulièrement sur la notion d’impénétrabilité, qui lui
apparaît comme la caractéristique principale de celui-ci. Si l’identification
et la reconnaissance donnent au masque l’essentiel de sa force et de son
pouvoir, la personne masquée, réellement ou symboliquement, joue
essentiellement le jeu de la dissimulation. À moins que la Vérité ne se cache pas
derrière le masque, mais en lui-même ? Le masque que l’on choisit de
porter nous révélant peut-être plus aux autres et à nous-mêmes.
Sources
La première partie du catalogue
revient sur les pratiques antiques et médiévales du masque dans le monde
occidental, et leur rôle de modèle formel ou conceptuel. Les masques scéniques
grecs et romains avaient été popularisés dès le début du XIXe siècle par de nombreuses
publications, qui suivent les découvertes d’Herculanum et de Pompéi. Une
documentation plus large, composée de témoignages, de fresques, de céramiques
et de mosaïques était également accessible
aux amateurs et aux savants. Cependant Juliette Becq soulève l’épineux problème
de la projection des emplois modernes du masque sur des objets antiques,
phénomène accentué par l’absence d’original, qui orienta pendant tout le siècle
la lecture et la compréhension de ces objets dont le pouvoir qu’ils exerçaient
se lit dans les tentatives de recréation.
Diabolisé au Moyen Âge par
l’Église qui voyait dans le travestissement une transgression de l’ordre
établi, social ou divin, le masque fut progressivement revalorisé au cours du XIIIe siècle en raison de la
persistance des pratiques carnavalesques, de l’importance croissante des fêtes
dans les cours princières et du développement du théâtre, religieux puis
profane. La difficile distinction entre masque et visage dans l’art médiéval
met en évidence, pour Pierre-Yves Le Pogam, le passage, le transfert de la
valeur magique, apotropaïque du visage, de la tête dans son ensemble, au
masque.
La source la plus féconde pour le
renouvellement du masque à la fin du XIXe
siècle réside dans les exemples japonais. Le dernier quart du siècle marqua
l’apogée de l’engouement des collectionneurs, dont les pionniers avaient
découvert ces objets au cours de leurs voyages en Extrême-Orient, comme Henri
Cernuschi (1831-1896) ou Émile Guimet (1836-1918). Cette fascination, à
l’instar des autres arts japonais, s’exerça également sur les artistes, au
premier rang desquels figure le sculpteur Jean-Léon Gérôme (1824-1904). Cet
intérêt était stimulé à la fois par les qualités esthétiques et iconographiques
reconnues aux masques, mais aussi parce qu’ils permettaient d’établir des
parallèles entre les cultures occidentales et extrême-orientales. Cette
découverte de l’art des masques japonais, notamment celui des masques de no, genre théâtral réservé à la classe
militaire, fut facilitée par la restauration impériale de 1868. Cependant,
Christine Shimizu rappelle l’importance d’autres masques que ceux du no, comme les masques populaires et
prophylactiques, ainsi que ceux du kabuki,
diffusés également au moyen de l’estampe et des livres illustrés.
Dans l’atelier
Si, comme le rappelle Édouard
Papet, le masque eut toujours sa place au sein des ateliers de sculpteurs, la
fin du xixe siècle
opéra le passage de la simple note ou esquisse, prélude à une réalisation
future, à celle d’œuvre ayant conquis son autonomie. Privilégiant des approches
monographiques, cette partie articule, autour de la figure tutélaire d’Auguste
Rodin (1840-1917) (Le Normand-Romain ; Blanchetière) des études sur
Jean-Joseph Carriès (1855-1894) (Papet) et Antoine Bourdelle (1861-1929)
(Lemoine). Au-delà des différences de styles, ces trois artistes furent
sensibles à la force de concision et de concentration du portrait en masque.
Celui-ci fut par ailleurs un lieu privilégié d’expérimentations techniques, tant
dans la pratique de l’assemblage que sur la recherche de matériaux nouveaux ou
redécouverts, développé souvent en séries ou variations.
Rodin, tout en conservant au
masque sa fonction d’étude, ne s’interdit pas de le conserver, de le
multiplier, de l’exposer, voire d’en faire le surgeon d’une nouvelle création,
comme on l’observe pour le Masque dit du
Conducteur de Tours (1891, plâtre, Paris, musée Rodin / terre cuite, New
York, Metropolitan Museum of Art) qui, participant de l’élaboration de la
statue de Balzac [1], acquit une
vie propre et fut traduit dans des matériaux et des médiums différents. Les
textes d’Antoinette
Le Normand-Romain et de François Blanchetière permettent de
confronter les masques nés dans le sillon du Balzac et ceux inspirés par Hanako, une danseuse japonaise
rencontrée par le sculpteur au mois de juillet 1906 lors de l’Exposition
coloniale organisée à Marseille qui posa pour lui au début de l’année 1907. Le
masque du Balzac dépasse le
naturalisme pour caractériser le personnage, exprimer le génie de l’écrivain,
en faire « une grimace unique et définitive » et ainsi cristalliser
« toute la vie morale de la personne » (Henri Bergson, « Le
comique des formes », Le Rire,
Paris, Quadrige – PUF 1983 [1940, 1899], p. 19, cité p. 23). Cristalliser
l’expression de Hanako au cours de la scène de hara-kiri qui la rendit célèbre,
tel fut aussi le défi que se lança le sculpteur. La concentration sur le seul
visage permit à Rodin de restituer l’intensité d’une expression scénique
reniant toutes les conventions en usage. En portant une attention soutenue au
regard de la danseuse, Rodin « réactive le pouvoir du gorgoneion » : le masque cesse d’être un « simple
objet décoratif pour redevenir une effroyable image de la mort »
(Blanchetière, p. 109).
Pour Édouard Papet, le
portrait-masque serait peut-être le genre permettant d’approcher au mieux la
« transfiguration spirituelle » souhaitée par les artistes du XIXe siècle : « Le
masque, une fois ôté, est censé dévoilé le vrai Moi, mais le portrait en masque
devient portrait parfait, débarrassé de ses attributs traditionnels,
cristallisant la tension esthétique entre la réalité de l’objet et la
transcendance nécessaire du portrait » (Papet, p. 41). « Personnalité
complexe », Carriès modela des masques grimaçants d’après son visage,
pensés comme de véritables moyens d’introspection et d’exploration du Moi,
participant par ailleurs d’une « esthétique du débridement » (Papet,
p. 119). Sans s’attaquer à la structure formelle, Carriès renouvela néanmoins
le genre en exécutant ses masques dans un grès à glaçure claire à la manière
des céladons chinois ou coréens. Cette prédisposition du masque pour
l’expérimentation de nouveaux matériaux est rappelée dans la troisième partie
consacrée au Symbolisme par Jean-Luc Olivié dans son étude des masques en verre
d’Henry Cros (1840-1907). Cros multiplia les médaillons et les masques dans
cette matière délicate durant la fin du siècle, jouant sur les références
antiques, tant du point de vue technique qu’iconographique. Et dans la dernière
partie Philippe Thiébaut analyse les rapports entre modernité et antiquité au
début du XXe siècle,
évoquant également ces nouveaux « praticiens de la pâte de
verre » : Georges Despret (1862-1952), sa collaboratrice Yvonne
Serruys (1874-1953), François Décorchemont (1880-1971) et bien évidemment
René Lalique (1860-1945).
Le masque fut pour Antoine
Bourdelle une forme d’expression sculpturale parfaitement féconde, même si ses
réalisations sont à proprement parler des têtes. Le masque repose sur d’autres
systèmes, proches de la linguistique. Colin Lemoine met en évidence avec une
grande finesse « le rôle de synecdoque » qu’il occupe dans la « syntaxe » bourdellienne.
Parce qu’il avait parfaitement conscience des « pouvoirs » et des
« dangers » du masque, Bourdelle pouvait en faire un élément d’un
« je » également complexe et d’un jeu avec lui-même et avec le
spectateur, en s’appropriant les référents d’une culture hellénique
parfaitement maîtrisée.
Autour du symbolisme
Une des qualités de l’exposition
et du catalogue réside dans l’attention donnée au contexte littéraire et
culturel. Une exploration du mouvement symboliste ne saurait se départir de
cette approche multifocale. Le terme « masque » servait en effet à
désigner des séries de portraits littéraires, « assez libres et
personnels, ouvertement subjectifs » (Salé, p. 140), à l’instar de ceux
publiés par Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), Pierre Véron (1831-1900),
ou encore Félicien de Champsaur (1858-1934) [2], illustrés de portraits gravés
ou photogravés et publiés dans des journaux ou revues. Marie-Pierre Salé
s’intéresse à la commande passée par Rémy de Gourmont (1858-1915) à Félix
Vallotton (1865-1925) en novembre 1895 de 52 gravures sur bois pour illustrer
ses textes consacrés à des écrivains symbolistes, réunis sous le titre de Livre des Masques. Bien circonscrit dans
sa carrière, le modèle du portrait-masque apparut chez Vallotton en 1894 dans
la série des Portraits choisis de La Revue blanche et dans le premier numéro du Chasseur de chevelures, supplément
parodique de cette même publication. S’autorisant les déformations et les
exagérations, le masque participa pleinement de la caricature, un art qui
propose de révéler le vrai visage d’une personne par le truchement d’un masque.
Poursuivant cette incursion
littéraire, Geneviève Lacambre approfondit l’analyse des discours symbolistes
sur le masque, et plus particulièrement chez Charles Baudelaire (1821-1867).
Dans son Salon de 1859, Baudelaire
mit en exergue les deux sculptures d’Ernest Christophe (1827-1892), la Danse macabre et la Comédie humaine
[3], auquel il dédia par la suite deux poèmes, Le Masque (« Le Masque, statue allégorique dans le style de la Renaissance », Œuvres complètes, I, 1975, p. 23-24
[« Spleen et Idéal », n° XX]) et Danse
macabre dans l’édition de 1861 des Fleurs
du Mal. Chez Baudelaire, le masque acquiert la dimension d’un
« monstre bicéphale », symbole paradoxal, emblématique de la Vie et de la Mort [4]. La pièce Henriette Maréchal des frères Goncourt,
qui débute par une scène de bal masqué, offre un contrepoint réaliste non moins
intéressant. Geneviève Lacambre voit dans le premier acte une illustration de
l’album de Paul Garvani (1804-1866), Carnaval
à Paris. Si la pièce suscita la contestation en décembre 1865 à la Comédie-Française,
elle remporta un succès honorable lors de sa reprise à l’Odéon en 1885 mais, à
cette époque, le naturalisme ne suscitait plus un tel émoi. Ces deux tendances,
symboliste et naturaliste, donneront naissance à la fin du siècle à un genre
« vénéneux », alliant fantastique, ésotérisme et fantasmagorie, dont
« Le Roi au masque d’or » (Paris, 1893) de Marcel Schwob (1867-1905)
et Histoire de masques (Paris,
Société d’éditions littéraires et artistiques, 1900) de Jean Lorrain (1855-1906)
sont deux exemples particulièrement éloquents.
Les contributions de Renate Ulmer
(« Allemagne ») et de Xavier Tricot (« James Ensor, prince des
masques ») ouvrent la réflexion en apportant des exemples européens. En
Allemagne, le moulage sur nature, ayant pleinement acquis son autonomie et sa
valeur artistique, participe des phénomènes de vénération quasi cultuelle
portée à des personnages emblématiques de la vie artistique, tels que Goethe
(1749-1832), Franz Liszt (1811-1886) ou Beethoven (1770-1827). Dans le domaine
des arts décoratifs, le masque trouve dans la céramique architecturale un
terrain fécond. En peinture, la figure mythologique de la Gorgone devint chez Arnold
Böcklin (1827-1901), Franz von Stuck (1863-1928), Fernand Khnopff (1858-1921)
et Carl Kornhas (1857-1931), une « femme fatale moderne masquée sous des
traits antiques » (Ingrid Ehrhardt et Simon Reynolds, Seenlenreich.Die Entwicklung
des deustchen Symbolismus 1870-1920, cat. exp. Francfort-sur-le-Main,
Schirn Kunsthalle, 2000, p. 161). Une nouvelle approche se dessina réellement
avec les peintres expressionnistes et leur découverte des masques
« primitifs ». Les traits humains prennent des allures de masques
chez Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938) et Emil Nolde (1867-1956) intègre des masques
cultuels dans ses compositions. August Macke (1887-1914) consacre au masque un
essai, publié dans l’Almanach du Blaue Reiter en 1912, simplement
intitulé « Les Masques ».
Modernité et renouveaux
Comme le remarque Philippe
Thiébaut, « à l’aube du XXe
siècle », le désir d’un renouveau artistique, passant par une synthèse du
symbolisme et du classicisme, offre au masque de nouvelles et riches
perspectives, abandonnant les registres réalistes ou fantastiques et leur
cortège de déformations au profit d’une conception claire, symétrique et
harmonieuse. Dans ce retour à l’hellénisme, préoccupé par des questions de
structure, de concision graphique et de rigueur formelle, le masque antique
devient rapidement un motif privilégié du répertoire des artistes de la Sécession viennoise.
Inspirant également les architectes modernes du tournant du siècle, il survivra
sous cette forme jusque dans les années trente sur les façades des immeubles
parisiens.
Le début du XXe siècle marqua également
le retour du masque sur les scènes de théâtre. Si Renate Ulmer évoque
brièvement l’introduction des masques au Bauhaus à l’initiative du peintre
Oscar Schlemmer (1888-1943), Patrick le Bœuf analyse le rôle du masque chez
Edward Gordon Graig (1872-1966). Le metteur en scène assigne au masque une
véritable valeur mystagogique et articule son esthétique autour de trois
valeurs sémantiques assignées au masque : liant le monde physique et le
monde surnaturel, il permet de représenter de manière allégorique l’espèce
humaine ainsi que de signaler aux spectateurs qu’ils assistent à une
« mise en abyme ». Articulant sa réflexion autour de l’argument
théorique suivant : « puisque
l’expression est changeante, alors le
visage, lui, doit demeurer figé. » (Le Bœuf, p. 201), l’immuabilité du
masque lui confère sa supériorité sur le visage nu. Il développe cette idée
dans un article du premier numéro de la revue qu’il a fondée, The Mask (mars 1908, vol. 1, n° 1, p.
9-12).
La découverte des arts non
occidentaux par la génération des avant-gardes opéra le passage, dans le
domaine de la représentation de la figure humaine, du visage au masque. Ces
nouveaux modèles vinrent revivifier les principes de synthèse et de
stigmatisation propres aux masques et permirent aux sculpteurs de s’affranchir
du modèle rodinien, de refuser la psychologie, d’abandonner le plâtre ou la
terre en faveur de la taille directe, du bloc naturel ou du métal, de
promouvoir « l’objet » et l’abstraction. La série des têtes réalisée
par Pablo Picasso (1881-1973) en 1906-1907 est caractéristique de ce processus
« d’élimination de tout indice psychologique ou réaliste » du visage
réduit au seul masque (Léal, p. 209). Du visage au masque, du masque au crâne, la Première Guerre
mondiale, période de souffrance et de désarroi confrontant l’artiste aux
mutilés, marqua une nouvelle étape dans la déconstruction de la figure
traditionnelle.
Au cours des années 20, les
différents courants d’avant-garde s’approprièrent le masque sous toutes ses
formes. La photographie y fut particulièrement réceptive, Quentin Bajac
n’hésitant pas à le qualifier « d’accessoire indispensable » (Bajac,
p. 216) des photographies modernes. Les artistes l’intégrèrent dans leurs
différentes techniques, celles-ci relevant souvent des principes de l’hybridation,
tels que le collage, la surimpression ou l’exposition multiple. Pour Quentin
Bajac, cette présence renforcée du masque dans le portrait et l’autoportrait
souligne le symbolisme qui lui est attaché et la prégnance de la question
identitaire lue au travers du prisme de la psychanalyse. Le masque serait
valorisé pour « son pouvoir de dissimulation et de révélation »
(Bajac, p. 216). Par ailleurs, il participa activement au mouvement de
constitution des figures modernes de la féminité qui redonna à la Muse son pouvoir symbolique
et évocateur. Cette nouvelle féminité, une féminité moderne, trouva dans le
visage de Kiki de Montparnasse, placé par Man Ray (1890-1976) à côté d’un
masque yorubaune de ses expressions les
plus vibrantes [5].
Proposant une vision, si elle
n’est complète, très exhaustive de l’art du masque de la seconde moitié du XIXe siècle au début du XXe siècle, l’exposition
organisée par le musée d’Orsay a permis la réunion dans un ouvrage original et
ambitieux, de contributions érudites et pluridisciplinaires. Dépassant la
stricte nomenclature formaliste, il rend compte avec pertinence des composantes
symboliques, culturelles et sociologiques du masque, de leur extension et de
leur pérennité, pour ne pas dire de leur actualité. Certes, cette primauté donnée
à l’analyse a pour corollaire la moindre place accordée à l’étude spécifique
des objets qui, par ailleurs, bénéficient de reproductions de qualité mais
souvent de dimensions réduites ne permettant pas toujours d’apprécier
pleinement la qualité plastique de ces « œuvres d’art ». Cet
ouvrage constitue une précieuse synthèse sur le sujet qui ne saurait passionner
les seuls historiens d’art.
NOTES
[1] Commandée en 1891 par la Société des gens de lettres et exposée en 1898.
Voir cat. expo. 1898. Le Balzac de Rodin,
Paris, musée Rodin, 1998.
[2] Masques modernes,
Paris, Dantu, 1889. Hélène Védrine consacre une notice au frontispice de cet
ouvrage, Masque parisien par Félicien
Rops (1833-1898) héliogravure, H. 17,5 ; L. 24,9 ; collection
particulière).
[3] Plâtre patiné, Loches, musée Lansyer. Baudelaire n’a pas
connu la version en marbre acquise par l’État en 1876, conservée aujourd’hui au
musée d’Orsay.
[4] Voir à ce sujet Stéphane Guégan, « À propos d’Ernest
Christophe : d’une allégorie l’autre », Les Fleurs du Mal, Colloque de la Sorbonne, textes réunis par André Guyaux et
Bertrand Marchal, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2003, p. 95-106.
[5] Noire et Blanche,
1926, épreuve gélatino-argentique négative sur papier non baryté, Paris, Musée
national d’art moderne-Centre Georges-Pompidou.
SOMMAIRE
Préface – Guy Cogeval : p. 9
Un regard sur le masque – Édouard
Papet : p. 10
Masque, démasqué – Jean-Luc Nancy :
p. 12
PRÉLIMINAIRES : p. 16
Pour une histoire du masque au xixe siècle – Édouard Papet :
p. 18
Bouclier avec le visage de
la
Méduse d’Arnold Böcklin – Édouard Papet : p. 58
SOURCES : p. 60
Masques antiques ; études au
xixe siècle – Juliette
Becq : p. 62
Le masque dans l’art du Moyen Âge
– Pierre-Yves Le Pogam : p. 68
Les masques japonais en France au
xixe siècle – Christine
Shimizu : p. 74
Allégorie de
la
Simulation de Lorenzo Lippi – Christine Besson : p.
74
DANS L’ATELIER : p. 88
« Trouver
l’homme », masques et visages chez Rodin –
Antoinette Le Normand-Romain :
p. 90
L’Homme au nez cassé d’Auguste Rodin –
Antoinette Le Normand-Romain :
p. 102
Hanako, la mort dans les yeux –
François Blanchetière : p. 104
Masque de Hanako d’Edward Steichen – Hélène Pinet : p. 110
« Seulement une gueule de
Bouledogue » : Carriès, portrait de l’artiste en masque – Édouard
Papet : p. 112
« Ce que nous avions tenu
pour fantastique s’offre à nous comme réel » le masque chez Antoine
Bourdelle – Colin Lemoine : p. 124
AUTOUR DU SYMBOLISME : p. 134
Le Livre des Masques :
« Je ne vois pas ce qui est : ce qui est, c’est ce que je vois »
- Marie-Pierre Salé : p. 136
Masques parisiens, frontispice pour Masques modernes de Félicien Rops – Hélène Védrine : p. 146
Allemagne – Renate Ulmer : p.
148
Mascaron « Bacchus » de Ludwig Habich – Renate Ulmer :
p. 160
James Ensor, prince des masques –
Xavier Tricot : p. 162
L’Emprise de Fix-Masseau – Cédric Carré : p. 168
Discours symbolistes sur le
masque – Geneviève Lacambre : p. 170
Un masque de Fernand Khnopff – Geneviève Lacambre : p. 178
Les masques en verre d’Henry Cros
– Jean-Luc Olivié : p. 180
Masque de l’Automne de Niels Hans Jacobsen – Teresa Nielsen : p.
186
RENOUVEAUX : p. 188
La Modernité et l’Antique à l’aube du xxe siècle – Philippe
Thiébaut : p. 190
Edward Gordon Graig et le renouveau du masque théâtral au début du xxe siècle – Patrick Le
Bœuf : p. 198
Du visage au masque – Brigitte Léal : p. 206
Photographie du Masque d’Antoine Pevsner de Marc Vaux – Brigitte
Léal : p. 214
Les femmes aux deux visages – Quentin Bajac : p. 216
LISTE DES ŒUVRES EXPOSÉES : p. 226
ANNEXES : p. 248
Bibliographie sélective : p.
250
Index des noms propres : p.
252
Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris Site conçu par Lorenz Baumer et François Queyrel et réalisé par Lorenz Baumer, 2006/7