Gros, Pierre: La Gaule narbonnaise. De la conquête romaine au IIIe siècle après J.-C., 30 x 24 cm, 166 pages, ISBN : 978-2-7084-0833-3, 55 euros
(Picard, Paris 2008)
 
Compte rendu par Alexandra Dardenay, Université Toulouse 2
 
Nombre de mots : 1623 mots
Publié en ligne le 2009-02-07
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=614
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    Si les études abondent sur différents dossiers – historiques, archéologiques, artistiques, économiques, etc. – qui relèvent des limites géographiques de la Gaule Narbonnaise, nul n’avait offert jusqu’à ce jour une monographie d’une telle qualité sur la plus ancienne province de Gaule romaine. Non pas que l’ouvrage se caractérise par son ampleur – il s’agit d’un ouvrage très condensé, dont le volume hors annexes atteint 140 pages, illustrations comprises – ni par son exhaustivité ; il force au contraire l’admiration par la concision, la clarté et la densité des connaissances transmises. L’universitaire sera peut-être, dans un premier temps, surpris de ne pas rencontrer de notes de bas de page au fil du texte. Il est possible que l’auteur ait dû se plier ici à des contraintes éditoriales. Cependant ce défaut est en grande partie pallié par la bibliographie raisonnée, présentée chapitre par chapitre, à la fin de l’ouvrage, dont l’auteur regrette toutefois d’avoir été forcé de réduire le volume pour répondre à la demande de l’éditeur. Cet ouvrage s’organise en trois parties. Une première partie, historique, revient sur les circonstances de la naissance de la province romaine de Narbonnaise et de son organisation territoriale et administrative. La seconde partie concerne des aspects plus proprement archéologiques et architecturaux ; l’auteur porte en effet son regard sur l’urbanisation de la province et les différentes structures d’établissements humains, des colonies aux habitats dispersés, des centres urbains aux villas. Quant à la troisième partie, elle offre un visage moins homogène que les deux premières, dans la mesure où elle aborde des questions aussi diverses que l’art funéraire, l’économie, la religion et la société. Malgré son hétérogénéité, cette dernière partie s’avère indispensable puisqu’elle offre des clés de lecture fondamentales pour la deuxième partie en particulier.

 

    Ainsi que le rappelle l’auteur, la partie de la Gaule que les Romains désignaient sous le nom de Transalpine était une région fort vaste, aux limites assez floues, ne présentant pas, par ailleurs, de réelle unité ethnique. Dans ce vaste territoire, l’implantation romaine prendra la place, dans certaines zones, d’une présence grecque, qui contribuera à faciliter, pour les populations concernées, leur intégration au monde romain. Après avoir abordé les différentes étapes de la conquête du sud de la Gaule, l’auteur examine les premières fondations romaines. L’aménagement du territoire constitua, en effet, pour Rome une priorité absolue, qui se concrétisa notamment, dans un premier temps, par le développement du réseau routier et la déduction de colonies. Ces structures formeront en effet la « colonne vertébrale » d’une province qui ne connaîtra pas d’organisation administrative définitive avant l’époque augustéenne.

 

    La question de l’organisation urbaine des colonies est abordée en ouverture de la deuxième partie. Les chapitres qui suivent, et qui constituent le cœur de l’ouvrage, présentent en effet les établissements selon une « hiérarchie » basée sur leur statut. C’est ainsi que les deux premiers chapitres envisagent l’urbanisme des communautés de droit romain, puis de droit latin ; suit un chapitre sur les agglomérations secondaires et l’habitat dispersé et enfin, après une synthèse sur la domus, un dernier chapitre présente le paysage rural en abordant la question des centuriations et la place des villas. Cette deuxième partie est ainsi, pour l’auteur, l’occasion de présenter les dernières découvertes et hypothèses de travail et de discuter des problématiques actuelles. Le lecteur appréciera sans doute de bénéficier de son point de vue éclairé sur des questions dont il est, de toute évidence, l’un des meilleurs spécialistes contemporains. Par ailleurs, on observera que l’auteur a choisi, dans la plupart des cas, de se concentrer dans cette partie sur l’évolution de ces structures pendant les deux premiers siècles de l’empire, qui correspondent à la période de leur expansion et de leur apogée. Quant à la question de la « mutation » des établissements urbains et ruraux au cours du IIIe siècle, elle est envisagée dans un chapitre offert en guise de conclusion. L’ouvrage est d’une telle densité en ce qui concerne la quantité des thèmes discutés qu’il serait vain d’en envisager ici une recension exhaustive : chaque phrase, ou presque, apporte un lot considérable d’informations, d’autant plus que l’auteur montre de manière très claire que les structures urbaines conservées révèlent une diversité de visages telle que leur organisation n’offre pas prise à la généralisation : c’est ainsi qu’il n’existe pas de « type canonique » de la colonie romaine, pas plus que de la colonie latine, ni en ce qui concerne l’organisation de la trame urbaine, ni pour ce qui est de l’érection de monuments publics, administratifs ou religieux. C’est pourquoi – fuyant toute vaine tentative de typologie – l’auteur nous présente de manière raisonnée les structures envisagées à travers l’étude successive des établissements les plus significatifs ou les mieux documentés. Une autre des grandes qualités de ce texte est d’avoir su nourrir l’étude des structures architecturales par celle des manifestations artistiques. Groupes statuaires, reliefs, programmes ornementaux sont mis à contribution dans l’identification des monuments présentés et dans l’interprétation de leur fonction, voire de leur évolution. Comme ces analyses sont étayées par une documentation iconographique abondante et d’une excellente qualité, le lecteur bénéficie dès lors d’une argumentation à la fois subtile et convaincante. C’est ainsi que l’on observe l’influence précoce et intense des programmes architecturaux et ornementaux impériaux sur les constructions commanditées en Narbonnaise. Les temples, les théâtres et l’ensemble des monuments publics d’une cité offrent un reflet évident des monuments de l’Vrbs. Ce phénomène illustre de manière explicite l’intensité des relations entre ces établissements urbains et le pouvoir. À cet égard, il convient de rappeler que les élites de Narbonnaise se sont très vite impliquées dans la diffusion du culte impérial, comme en témoignent les nombreux temples consacrés à Auguste, puis à ces successeurs, tout comme aux membres de leurs familles, mais également les galeries de portraits impériaux et dynastiques qui ornaient les espaces publics des cités.


    Le chapitre sur l’évolution des centres urbains entre l’époque flavienne et l’époque sévérienne est l’occasion pour l’auteur de bouleverser l’idée communément admise selon laquelle ce que l’on appelle parfois les « villes d’Auguste » aurait « vécu sur leurs acquis » jusqu’à la fin du IIe siècle. L’auteur montre en réalité que, fortes d’une vitalité constamment renouvelée, ces villes entretenaient et complétaient leurs complexes monumentaux. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple, que le théâtre, fleuron de la cité julio-claudienne, est détrôné avant la fin du Ier siècle par l’amphithéâtre, nouvel épicentre de la mise en scène du pouvoir impérial. Nombreuses seront alors les villes qui grâce à l’intervention de généreux évergètes se verront pourvues de ce nouvel édifice de spectacle : l’émulation qui régnait alors entre commanditaires, comme entre cités, aura de toute évidence accéléré la diffusion de ce nouveau symbole de l’urbanitas. À la suite de l’analyse du développement des villes du point de vue des aménagements publics et des centres monumentaux, l’auteur se concentre sur l’habitat. Sont alors étudiés divers exemples de domus permettant d’envisager l’évolution de cette structure depuis l’époque républicaine. C’est ainsi qu’il apparaît notamment que la domus ne présente le plus souvent pas de grande originalité dans son plan ou son décor ; on observe par ailleurs que le type de la maison à péristyle sera une formule particulièrement appréciée en Narbonnaise à partir du IIe siècle. Une telle confusion entre le schéma de la domus et celui de la demeure de campagne pourrait être le fait de « nouveaux riches », issus du monde rural et habitués à vivre dans des demeures offrant espace et lumière. C’est d’ailleurs sur le paysage rural, la question des centuriations et des villas que porte le dernier chapitre de la deuxième partie.

 

    L’auteur propose ensuite, dans une dernière partie que nous avons qualifiée de « plus hétérogène » une mise en perspective de toutes ces données archéologiques en replaçant les vestiges au cœur des questions d’économie et de société. Quatre thèmes sont alors abordés : art funéraire, économie, religion et société. Un phénomène déjà observé dans la sphère publique se répète en contexte funéraire : l’adéquation entre les types architecturaux et décoratifs provinciaux et les modèles émanant de l’Vrbs. Une même précocité s’observe en ce qui concerne la diffusion en Narbonnaise du culte impérial. Comme le rappelle l’auteur, celui-ci est l’occasion de célébrer la cohésion sociale et les bienfaits de la paix romaine. C’est par ailleurs dans le cadre de ce culte très particulier que nombre de monuments publics – certains temples ou édifices de loisirs notamment – prennent toute leur dimension politique. Rappelons notamment que les spectacles sont placés sous l’invocation de l’empereur et que les jeux de l’amphithéâtre apparaissent comme une métaphore d’un pouvoir invincible et protégé des dieux. Il apparaît par ailleurs que les notables de Narbonnaise ont su, dès la fin de l’époque républicaine, tisser des liens étroits avec le pouvoir central, ce qui explique pour partie l’écho donné dans les cités de Narbonnaise, au culte impérial, mais aussi aux prototypes architecturaux et ornementaux. Il est certain, d’autre part, que la diffusion de la culture gréco-romaine par le biais du théâtre et de la littérature en particulier, a facilité l’adoption de ces modèles de la part des populations. Quant aux notables, nombreux sont ceux qui ont su faire profiter leur progéniture de l’éducation prodiguée dans les collèges et universités de Narbonnaise, au premier rang desquels on pourrait citer le pôle de Marseille, dont le renom dépassait largement les frontières de la province. C’est ainsi que certains natifs du sud de la Gaule eurent l’opportunité de briller dans des carrières tant politiques que littéraires ; quelques-uns sauront même faire bénéficier de leur gloire leur patrie d’origine.


    Quelques annexes viennent compléter ce texte très riche, qui offre enfin une vision d’ensemble sur une documentation le plus souvent dispersée. Nous ne pouvons qu’espérer que l’initiative de Pierre Gros suscitera des émules, et que de telles monographies sur les autres provinces de Gaule romaine viendront bientôt s’inscrire dans cette perspective.