Agosti, Giovanni: Récit de Mantegna, 14x21 cm, 98 pages, 12 ill. en couleur, ISBN 9782754102933, 19 euros
(Hazan / Musée du Louvre, Paris 2008)
 
Compte rendu par Jan Blanc, Université de Lausanne
 
Nombre de mots : 3000 mots
Publié en ligne le 2009-07-13
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=617
 
 

Peut-on encore écrire des biographies d’artistes ? La monographie n’est-elle pas devenue, avec le temps et les brillants exemples, le genre scientifique par excellence de notre discipline, mais aussi le plus légitime dès lors qu’il s’agit de présenter et d’analyser la vie et les œuvres d’un peintre ? La vie des artistes – le plus souvent romancée, pour amorcer ou faciliter les processus de projection et d’identification des lecteurs  – ne cessera sans doute jamais d’alimenter le genre biographique. Mais elle n’intéresse réellement les historiens d’art que dans la mesure où elle permet de mieux comprendre les œuvres qu’ils ont produites – les raisons, en principe, pour lesquelles ces artistes nous sont connus aujourd’hui encore. C’est dire, dans cette perspective, que la très grande majorité de la vie d’un artiste, y compris lorsqu’il a été très actif et prolifique, ne présente aucun intérêt pour comprendre ses œuvres, mais aussi que les quelques informations réellement utiles – et encore disponibles – que sa vie peut livrer supposent un travail considérable de déchiffrage et d’interprétation afin de leur donner sens en les inscrivant dans un contexte. Dans ce cadre, et alors qu’à plusieurs reprises la « mort de l’auteur » a été décrétée, quelle place peut-on encore accorder au genre littéraire de la biographie, traditionnellement attaché au récit diachronique et total d’une vie et fondé sur le fantasme de la reconstitution « intime » d’une « personnalité » ?

Depuis une vingtaine d’années, le genre biographique, longtemps considéré avec scepticisme en raison de son caractère anecdotique, de son manque supposé d’originalité et de « scientificité », mais aussi de son succès commercial auprès des lectrices et des lecteurs, refait lentement surface. La biographie consacrée par Jacques Le Goff à saint Louis (Saint Louis, 1996) a montré que les sévères critiques adressées par les historiens de l’École des Annales aux « vieux genres » de leur discipline n’excluaient pas de revisiter celui de la biographie, tandis que les essais biographiques de Timothy Clark (Image of the People : Gustave Courbet and the 1848 Revolution, 1973), de Carlo Ginzburg (The Enigma of Piero, 1985), de Stephen Bann (Paul Delaroche : History Painted, 1997) ou de Rémi Labrusse (Miro : un feu dans les ruines, 2004) ont permis de montrer qu’il existait encore une place pour des renouvellements du genre biographique au sein de l’histoire de l’art.

 

Initié par l’édition, en 2005, d’un premier volume intitulé Su Mantegna I. La storia dell’arte libera la testa, le projet de publication de l’historien d’art italien Giovanni Agosti autour de la figure d’Andrea Mantegna relève clairement de ces nouvelles réflexions autour de la biographie en histoire de l’art. Le titre de la traduction française partielle – malheureusement amputée des notes de l’édition italienne et dépourvue de conclusion – qui en a été tirée traduit bien cette dimension : ce n’est pas tant la « vie » ou l’« histoire » que le « récit de Mantegna » que Giovanni Agosti souhaite proposer, après avoir livré, il y a près de vingt ans, un premier état de lieux du genre monographique en Italie (« Vicissitudes récentes de la monographie d’art », Actes de la recherche en sciences sociales, LXVI, 66-67, 1987, p. 95-104). Un « récit » d’un souffle continu, sans subdivisions ni chapitres, qui, comme l’ambiguïté du titre le souligne, renvoie à la fois à la voix de l’artiste, minutieusement reconstituée par l’historien à travers la collecte des archives et des documents, ainsi que de l’étude des œuvres majeures du peintre et du graveur, mais aussi à la voix de l’historien, qui n’hésite pas à tisser les liens les plus étonnants entre ce qu’il comprend des tableaux et des estampes de Mantegna et sa propre culture visuelle, où Proust voisine Pasolini, et à faire appel à la fiction pour tenter de résoudre les énigmes qu’il croit déceler dans l’œuvre de l’artiste italien.

Le résultat se lit comme un bon roman, plein de verve, d’humour et d’esprit. Le connaisseur de Mantegna n’y apprendra rien de nouveau, mais il sera charmé par le style rhapsodique, qui respecte la chronologie sans craindre les audacieuses associations d’idées, le ton vif, parfois sarcastique, et l’importance accordée au plaisir du spectateur (et de l’historien d’art) devant les œuvres qui pourraient aisément faire penser à un petit pamphlet. Cette attention portée aux œuvres, à leur construction formelle mais aussi à leurs conditions matérielles, constitue sans doute l’un des points forts de cette étude, mais aussi l’une des caractéristiques de l’approche d’Agosti, considérablement marquée par les méthodes traditionnelles du connoisseurship : « La Vierge à l’Enfant peinte en 1510 par Giovanni Bellini souffre encore de la méchante intervention de 1986 qui a détruit les accords des roses et des bleus, alors que la Pietà présentée à ses côtés, l’un des sommets de jeunesse du même artiste, s’effraie de ce qui pourrait lui arriver si un fonctionnaire en mal de publicité ou un restaurateur vaniteux s’intéressait à elle » (p. 18).

 

Maniant souvent l’humour et l’ironie, Agosti critique – à juste titre, selon nous – la récente restauration de la Chambre des Époux, entre 1984 et 1986, par l’Istituto Centrale del Restauro, tout en exprimant sa perplexité envers les principes et les méthodes de certains restaurateurs : « la juxtaposition trop dense de ces tratteggi inventés par Cesare Brandi mais mis en œuvre par des jeunes filles qui, tout en travaillant, écoutaient sans doute du rock ou du rap, le walkman sur la tête, les a rigidifiées ou assourdies ; je garde à l’esprit l’observation d’Alessandro Conti sur la ‘pauvreté de la culture figurative de celles qui ont, pour seules références, les images pop des magazines illustrés’ » (p. 54). Une ironie plus amusante encore quand on sait la bonne place réservée au livre d’Agosti, aujourd’hui encore, dans la petite boutique de souvenirs du Palazzo Vecchio... Si cet humour ne nous semble pas toujours de bon aloi – Agosti évoque les « Bacchanales d’une mythologie inventée, parmi des statues de dieux montrant leur échine sur des îles de fortune : qui sait quels ravages aurait causé ici, au milieu de toute cette promiscuité, le virus de la fin du xxe siècle... » (p. 73) –, il fait partie de cette série d’innovations et d’audaces formelles mobilisées par Agosti dans son étude, rares et surprenantes dans le champ si balisé de la biographie, mais qui ne sont que rarement gratuites dans Récit de Mantegna. Dans certains cas, elles permettent à l’historien de s’interroger sur la notion d’« école » : « Essayons d’imaginer un instant ce qui se serait passé si Pannonio, et non Mantegna, était allé à la cour des Gonzague : Mantoue risquait d’être une autre ville, tout au moins sur le plan figuratif. Quelles exagérations expressionnistes, quelles bouches déformées, quels rites étranges, en lieu et place de la réserve et de la dignité éthique et politique de Mantegna qui tolère la critique et le dédain, mais certainement pas le cri » (p. 42). Dans d’autres, la fiction vient aider la datation en soutenant les hypothèses, comme c’est le cas, par exemple, du Christ mort de Brera : « Le grand panneau figurant saint Julien qui tue ses parents, dû au peintre crémonais Antonio della Corna, aujourd’hui daté de 1488 pourrait lui fournir une date ante quem. Le père du saint allongé en raccourci sur un lit, le corps dissimulé sous les draps, je crois qu’un artiste aussi modeste aurait été dans l’incapacité de le réaliser sans le tableau de Brera » (p. 68).

On ne s’étonnera donc pas de voir Giovanni Agosti placer son étude sous l’égide de Robert Longhi, « le plus grand historien de l’art du xxe siècle » (p. 10). S’il conteste certaines interprétations ou propositions de datation du maître (p. 48), Agosti s’en montre le digne héritier, en reconnaissant notamment que « la renommée de Mantegna ne connut jamais vraiment d’éclipse comme il advint à Piero della Francesca, dont la reconnaissance critique est l’un des nombreux grands mérites de Roberto Longhi » (p. 36) et en affirmant qu’« après l’importante monographie de Paul Kristeller [...], l’interprétation moderne de Mantegna repart avec la Lettera pittorica de Roberto Longhi de 1926 » (p. 113). Comme Longhi, auquel il se réfère souvent, Agosti accorde à la force de la fiction, à l’intuition et à la pratique de l’œil connaisseur une importance capitale, allant jusqu’à consacrer plusieurs pages à la « Bohème de la Padoue » (p. 13) en s’inspirant des dires mêmes de son illustre modèle pour décrire les années d’atelier de Mantegna : « Bien que cela semble relever de la fantaisie, je sens profondément que tout ce qui survient entre Padoue et Ferrare et Venise, entre 1450 et 1470 [...] eut son origine dans cette bande de vagabonds désespérés, fils de tailleurs, barbiers, cordonniers et paysans, qui passèrent durant ces vingt années dans l’atelier de Squarcione » (p. 10). « Entre le jeu de dés et le vin, ajoute Agosti, on spécule sur le futur de l’existence et les destins de la peinture, comme on sait le faire seulement à vingt ans » (p. 13-14).

 

Jouant ainsi librement du genre biographique, qu’il fait constamment osciller entre le discours critique, la digression historiographique et le commentaire d’œuvre, Récit de Mantegna affiche une bâtardise et un non finito salutaires. Ils lui permettent d’échapper à la tyrannie de la sacrosainte monographie sans laquelle, affirmait Federico Zeri, « on ne pouvait se prétendre historien d’art, quel que soit le champ que l’on s’est choisi ». Après Longhi, Agosti prouve le contraire, en montrant qu’il est possible, sans nécessairement faire appel à un rigide esprit de système, de proposer une image cohérente et intéressante de Mantegna, présenté comme un artiste qui aurait progressivement forgé le modèle d’une « peinture cérébrale », adressée, pour l’essentiel, aux connaisseurs et aux amateurs de peinture (p. 97), et qui s’est brutalement trouvée en porte-à-faux avec les nouvelles demandes d’Isabelle d’Este : « Mantegna joue le second rôle dans cette entreprise qui cherche à conduire la situation mantouane vers l’expérience du protoclassicisme et vers une interprétation de la réalité qui tienne compte désormais de ces facteurs sentimentaux que Mantegna avait toujours réfrénés en lui » (p. 96).

Parce qu’il valorise ainsi le rôle joué par Mantegna dans le développement des arts et des lettres de la Renaissance italienne, l’essai de Giovanni Agosti s’apparente parfois davantage à une hagiographie qu’à une biographie. Mantegna y est présenté comme le grand homme de son temps et comme l’un des héros de la peinture mantouane, et une grande partie de la démonstration d’Agosti consiste précisément à le démontrer, preuves à l’appui, en décrivant ses hauts faits et en lui fabriquant des oppositions, parfois de façon un peu artificielle. Retrouvant un rôle que l’historiographie a peut-être souhaité lui faire jouer avec trop de complaisance (Longhi), Squarcione ne peut que rester « lié à une conception du naturalisme appartenant encore au monde du gothique tardif » (p. 32) tandis que Mantegna incarne évidemment la « modernité » de la Renaissance italienne.

Au sein de cette conception éminemment téléologique de l’histoire de l’art et de son « évolution figurative » (p. 9), les périodes de progrès qui voient « l’histoire de l’art occidental [...] bouleversée dans ses fondements » (p. 9) sont opposées aux « moments de décadence artistique » (p. 9), et ce sont les grandes structures, les mouvements d’ensemble, le Zeitgeist qui sont principalement privilégiés, tandis que les nuances sont rares. Évoquant les progrès des arts à Padoue et dans la Vénétie, Agosti affirme ainsi qu’une « peinture comme le polyptyque de la Nativité d’Antonio Vivarini et Giovanni d’Alemagna, placé en 1447 sur un autel de l’église San Francesco (maintenant à la Národní Galerie de Prague) devient vite terriblement dépassé » (p. 8), oubliant d’ajouter que l’atelier vénitien des Vivarini demeure actif et apprécié jusqu’au milieu du xvie siècle, et ce, peut-être, pour des raisons liées aux caractéristiques visuelles et techniques des retables qu’il produit, « archaïques » mais aussi reconnaissables et associables à une longue tradition locale.

La faute, sans doute, à une méthode qui, privilégiant l’usage de notions (« style », « période ») ou d’instruments  insuffisamment critiqués, propose des raccourcis souvent éclairants, parfois arbitraires. Comme souvent dans de telles études, les attributions y sont souvent pensées sur le mode positif, sans être clairement et distinctement explicitées (« Le changement d’attribution en faveur de Bellini – effectué par Longhi – de la Vierge à l’enfant entre saint Jérôme et saint Louis du musée Jacquemart-André qui revient, me semble-t-il, à Mantegna en dit long sur la proximité des deux artistes », p. 20). Les datations se fondent souvent sur la simple intuition du connaisseur, et reposent sur des périodisations un peu schématiques – Agosti parle de la « phase de la Chambre des Époux » (p. 81) et, plus loin, d’un « style » « encore proche de celui de la Chambre des Époux » (p. 88-89), mais aussi d’un « protoclassicisme » mantouan (p. 96) ou d’auteurs « préclassiques » (p. 106). Certaines identifications, comme celles du mur nord de la Chambre des Époux, auraient mérité davantage de prudence : Agosti explique qu’« aujourd’hui, il y a le marquis, l’épouse, les fils et la famille de tous âges, de ce gros bouffi de Gian Francesco au fascinant Rodolfo, de la belle Barbara à la disgracieuse Paola » (p. 56), alors qu’on connait les doutes qui subsistent sur la fille cadette du prince. Quant aux étiquettes posées par Agosti sur les œuvres et les artistes, elles sont souvent contestables, obscurcissant plutôt qu’éclairant les discussions : la Crucifixion du Louvre aurait un « style donatellien » et renverrait à d’« évidentes solutions à la Van Eyck » (p. 38), puisqu’on y décelerait un « flagrant naturalisme à la manière flamande » (p. 19) (« Peut-être doit-on également considérer comme flamand le détail de la chaussure avec sa semelle trouée qui est clairement exhibée par le soldat, vêtu par ailleurs d’un uniforme de haut rang », p. 38), tandis que « le visage du Christ montre[rait] au contraire une tendresse quasiment bellininienne » (p. 39).

Giovanni Agosti justifie son approche en valorisant l’importance du contexte dans la compréhension de la vie et des œuvres de Mantegna : « L’art italien de la Renaissance ne peut se comprendre qu’à l’intérieur d’un système de cours, en tenant compte des parentés et des rivalités, mais aussi de l’envie de posséder ce qu’ont les autres. Une bonne connaissance du contexte historique et des dynasties s’impose donc, afin de saisir d’une part le sens de certains choix figuratifs, et d’autre part les opportunités de travail offertes aux artistes qui permettront, aux plus avertis parmi eux, de faire évoluer leurs propres recherches expressives (bien qu’à l’époque, personne n’aurait parlé ainsi) » (p. 49). Mais son étude relève presque autant de l’exercice d’admiration que de la déconstruction critique ; et il est curieux de constater que, malgré la verve et l’intelligence de ses analyses, certaines d’entre elles manquent singulièrement de distance. S’il est intéressant de rappeler la fameuse phrase d’Ulisse Aleotti qui, parlant du jeune Mantegna, explique qu’il « sculpta véritablement en peinture, vivante et vraie » (scolpì in pictura, propria, viva e vera), s’agit-il, pour le poète italien, de mettre en lumière « le caractère fortement sculptural de la peinture de Mantegna » (p. 15), comme le suggère Agosti, ou de relayer plus simplement un double lieu commun, autour du paragone et de l’illusion, dont l’historien reconnaît qu’il est également présent chez Vasari (p. 31) ? Sûr de son fait, Agosti préfère faire appel à la force des évidences plutôt qu’à celle de la prudence, au risque de renvoyer à des images d’Épinal (la « passion » de Mantegna « pour les pics et les rochers, les grottes et anfractuosités, les villes accrochées aux rochers et perchées sur les collines », p. 24). Certaines remarques frappent par leur caractère strictement allusif : « Même les manuels scolaires d’histoire de l’art font le rapprochement entre les deux Prières au jardin des Oliviers peintes par Bellini et Mantegna, toutes deux à la National Gallery de Londres : des analogies et des différences sur lesquelles on s’interroge depuis l’enfance » (p. 20-21) ; au sujet du Rédempteur bénissant de Washington : « Quant à la chronologie de cette petite toile en si mauvais état, je ne mettrai pas ma main au feu... », p. 45). Les envolées lyriques ne sont pas rares (« une sorte de poésie visuelle avec laquelle il expérimente des solutions graphiques hautement idiosyncrasiques », p. 18 ; face aux Triomphes exposés à Londres, et « dignes d’Eisenstein, dignes de Shakespeare » (p. 86) : « quel sentiment de vieillesse et de délabrement traverse ces peintures sublimes réalisées au cours de tant d’années : toute une série de morts de personnes de son âge, d’amis et de familiers [parmi les Gonzague : le marquis Ludovico, la marquise Barbara, le marquis Federico, le cardinal Francesco, et puis ses petits-enfants Federico et Girolamo...] ; et l’incertitude devant l’avenir, même pour lui, considéré comme le plus grand peintre vivant », p. 85), tout comme les comparaisons, amusantes mais un peu vaines (« les histoires d’Hercule, d’Orphée et Arion, quasiment des super héros », p. 61). Et d’autres remarques relèvent de simples pétitions de principes : certaines figures féminines de la Chambre des Époux « ont à l’évidence des relents étrangers à l’univers de Mantegna : on y décèle déjà un parfum à la Lorenzo Costa, ou au jeune Garofalo ; une faille, en quelque sorte, dans la sévérité et la rigueur de langage qui distinguent toujours l’œuvre de Mantegna » (p. 62).

 

De fait, tout en cherchant à se détacher le plus clairement possible des présentations traditionnelles de la biographie et de la monographie, Giovanni Agosti semble attaché, malgré lui, à ses principes les plus solides, comme c’est le cas du modèle empathique de la biographie, par lequel le biographe s’identifie à son sujet jusqu’à en reconstruire la personnalité et les réussites contre ou à côté de ses prédécesseurs et de ses contemporains, ou du schéma de la biographie associant de façon quasi mécanique la vie de l’auteur et le contenu de son œuvre. Si Agosti évoque habilement Roland Barthes (le « réseau organisé d’obsessions » de Michelet) en expliquant qu’« à l’instar de tant de grands artistes, Mantegna est fidèle à ses obsessions » (p. 100), il semble peu intéressé par l’« autre moi » qu’évoquait Proust  et préfère, sans doute volontairement, confondre le moi de l’homme et le moi de l’artiste.

S’il faut évidemment bien veiller à ne pas juger cette étude, extraite d’un projet plus vaste et ambitieux, pour ce qu’elle n’est pas – une analyse scientifique au sens traditionnel du terme –, elle constitue certainement une réussite en son genre, brillante, caustique et divertissante, mais aussi une sorte d’achèvement des méthodes et surtout des principes du connoisseurship, les couronnant et les épuisant aussi.