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Compte rendu par Amélie Le Bihan, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Nombre de mots : 2375 mots Publié en ligne le 2009-10-23 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=634 Lien pour commander ce livre
Le sujet retenu, « la rue dans l’Antiquité », est traité de manière large dans l’espace, avec une diversité d’approches, en utilisant les textes, l’archéologie et l’urbanisme. La rue constitue un élément essentiel de la définition et de l’organisation de l’espace urbain. L’étude de sa genèse, de son aménagement et de son devenir constitue une étape indispensable dans l’élaboration d’une réflexion sur l’art de bâtir les villes et sur les modalités de la transformation des paysages urbains à travers l’histoire. Dans cette perspective, la rue est ici envisagée comme espace concret et comme espace construit, et il est proposé de réfléchir aux processus qui président à sa mise en place, à son évolution, à sa disparition ou au contraire à sa survie dans la longue durée.
Afin de définir un cadre chronologique pertinent, l’accent est mis sur la période du Haut Empire romain, mais l’ensemble de l’Antiquité est pris en compte, de l’Âge du Bronze à l’Antiquité Tardive. Il est important en effet de porter des regards croisés sur ces rues antiques grâce à des cas concrets relevant de plus hautes périodes, de l’Antiquité Tardive et de la période médiévale, et d’en suivre les traces, peut-être, jusque dans la ville moderne. Lors de ce colloque, les communications se sont appuyées sur un certain nombre de données, tout particulièrement l’archéologie, fondée sur les données architecturales et les travaux de topographie. Elles ont aussi eu recours aux textes, qu’il s’agisse de sources littéraires ou de documents juridiques, épigraphiques ou papyrologiques.
La première partie (« Approches ») constitue un ample prologue à visée méthodologique. La rue « commence » au IVe millénaire en Orient, lors de la mise en place de ce qu’on appelle un peu schématiquement « la naissance de l’urbanisme ». Dans ce préambule, on trouve des réflexions sur les trames viaires de villes et d’agglomérations de l’Âge du Bronze (J.-C. Margueron, B. Muller). Ensuite on s’attache aux représentations de la rue antique à travers, d’une part, l’étude de l’évolution du regard des archéologues sur les rues de Pompéi (H. Dessales), d’autre part sur des analyses fondées sur les textes antiques et sur le vocabulaire (P.-A. Broder, J. Du Bouchet, C. Saliou). Ces questions de vocabulaire et de définition sont fondamentales, parce qu’elles véhiculent des faits liés à l’hellénisation et à la romanisation. Le retour au texte doit permettre de souligner les faiblesses du vocabulaire utilisé par les archéologues. La rue est ensuite traitée sous l’angle de ses aménagements et ses fonctions (C. Auliard, A. Bertrand, L. Cavalier, J. des Courtils, S. Agusta-Boularot, M. Tabaczek, G. Alberti, G. Marouard). Enfin, l’évolution des rues antiques dans la longue durée à travers le Moyen Âge et les périodes postérieures, fait l’objet de deux études à caractère historiographique et méthodologique (P. Pinon, B. Gauthiez).
La seconde partie (« Études de cas ») comprend un certain nombre de communications sur des villages, villes plus ou moins importantes de différentes régions, qui permettent d’enrichir le questionnement à l’aide d’exemples concrets, à l’échelle de la ville et du quartier. Il faut souligner la rareté des contributions relatives à
À travers les contributions de ce colloque, différentes pistes de réflexions ont pu être mises en évidence : « La rue et la question d’accord », « De la rue à la ville », « Les temps de la rue ».
« La rue et la question d’accord »
Il s’agit d’étudier le jeu des intérêts particuliers, des réalisations privées et de l’action collective dans le tracé, l’aménagement et l’entretien de cet espace commun, collectif, que constitue précisément la rue. L’étude des rapports entre les aménagements des espaces de circulation et les parcelles riveraines, la recherche d’éléments attestant la mise en œuvre d’un projet d’ensemble à l’échelle d’un îlot, d’un quartier, ou encore la question de l’accessibilité, des différents espaces constitutifs de la rue, peuvent fournir les matériaux d’une réflexion sur l’organisation et la gestion de l’espace urbain.
« De la rue à la ville »
La rue n’est pas un espace à deux dimensions : c’est un volume, un espace construit. En raison précisément de son caractère tridimensionnel, la rue assume, ou peut assumer, des fonctions essentielles d’éclairage, aération, collecte, évacuation des eaux pluviales, par rapport au tissu bâti. La rue constitue aussi un élément essentiel du paysage urbain. Le caractère décoratif ou fonctionnel de ses aménagements a donné lieu lors du colloque à des débats, par exemple au sujet des fontaines monumentales : sont-elles décoratives ou utilitaires ? Les études de cas de la seconde partie proposent différents critères visant à classer les rues selon leur importance, leur fonction dans la trame urbaine et la nature de leur aménagement. Les voies urbaines et leurs aménagements, dans toute leur diversité, jouent un rôle essentiel dans la constitution de l’image de la ville, dans l’élaboration du paysage urbain mais aussi dans la construction de l’identité urbaine. L’étude des rues ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les typologies urbaines et les définitions d’ordre culturel qui leur sont associées.
« Les temps de la rue »
Certes, les rues et le réseau qu’elles forment évoluent au fil du temps et leur étude permet de saisir les mutations de la ville même. Mais un des apports originaux de ce colloque a été de mettre en évidence la diversité des échelles temporelles qui peuvent être prises en compte dans l’étude de la rue.
Certains auteurs s’étaient déjà intéressés à la rue. J. Sauvaget et H. Kennedy s’étaient interrogés sur la continuité de l’utilisation de la rue et W. L. MacDonald avait étudié l’urbanisme romain. J. Sauvaget s’était attardé sur le cas de Damas dans un article « Le plan antique de Damas », Syria, 26, 1949, p. 314-358 ; en ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/syria_0039-7946_1949_num_26_3_4519). Il tentait de retrouver le tracé des rues antiques de la ville et son organisation, mais aussi de montrer la pérennité de ce tracé dans la ville depuis la période islamique. H. Kennedy, dans son article (« From Polis to Madina: Change in Late Antique and Early Islamic Syria », Past and Present, 106, 1985, p.3-27), étudie les villes de Syrie à la fin de l’Antiquité et au début de l’époque islamique. Il tente de résumer les grandes lignes du développement depuis la ville classique à la médina islamique et émet l’hypothèse que ces transformations ne sont pas soudaines mais résultent d’un grand nombre de changements socio-culturels sur une longue période. W. L. MacDonald, dans son livre, The Architecture of the Roman Empire, an Urban Appraisal, examine en profondeur la nature de l’urbanisme romain et de ses éléments. À la différence de la plupart de ses collègues, MacDonald prend en compte les relations des bâtiments avec les rues et les espaces ouverts publics qu’ils définissent. Il replace de tels rapports dans leur contexte social, physique et historique. De son point de vue, on ne peut étudier les monuments sans s’intéresser au cadre dans lequel ils ont été implantés : rues et urbanisme. Ainsi, les travaux du colloque de Poitiers se placent dans la continuité de ces approches et de leurs questionnements (« de la rue à la ville », « les temps de la rue », la pérennité du tracé des rues et de leur utilisation), mais aussi ils élargissent le champ des problématiques en s’intéressant à d’autres aspects comme la terminologie, l’histoire et l’évolution de la rue, « la rue et les accords », les éléments qui composent la rue, ses fonctions etc.
Parler de la rue, même si on se limite à l’Antiquité, était un projet ambitieux, car la rue, c’est la ville, le village et la population. Les contributions réunies à l’occasion de ce colloque et dans cet ouvrage permettent de proposer, sinon une conclusion, du moins quelques axes de réflexion susceptibles d’orienter des recherches futures. À partir de cet ouvrage et de ses différentes pistes de réflexion, des critères plus nombreux se dégageront ultérieurement et permettront d’élaborer une méthode d’analyse plus fine du fait viaire. Tel est le but de cette réunion de matériaux et de faits, de cette exposition sans détour de la rue, espace concret et vécu, de l’Orient à l’Occident. On peut souligner le grand intérêt de cet ouvrage et la qualité des différentes communications. La diversité des sites étudiés offre un panorama presque complet de la rue dans l’Antiquité et de son évolution. On saluera la qualité de la mise en page de l’ouvrage mais aussi des nombreuses illustrations : un très bel ouvrage rassemblant les actes d’un colloque au thème très actuel.
Table des matières :
INTRODUCTION p. 7 AVANT-PROPOS p. 9 1e partie : Approches
Les rues de Pompéi : cheminements d’un regard archéologique (Hélène Dessales), p. 41 La cité est dans la rue : espace extérieur, parcours et rues en Grèce ancienne (Philippe-Alexandre Broder), p. 51 Les noms de la rue en grec ancien (Julien du Bouchet), p. 57 La rue dans le droit romain classique (Catherine Saliou), p. 63 La composition du cortège triomphal dans les rues de Rome : la marque des triomphateurs (Claudine Auliard), p. 69 De la rue aux lieux de culte : réflexions sur les modalités d’une interface urbanistique dans les villes romaines (Audrey Bertrand), p. 77 Degrés et gradins en bordure de rue : aménagements pour les Pompaï ? (Laurence Cavalier, Jacques des Courtils ), p. 83 Le lacus de la rue romaine : un exemple de « mobilier urbain » antique ? (Sandrine Agusta-Boularot), p. 93
La communication entre la rue et la maison : quelques exemples de Gaule, Belgique et de Germanie (Géraldine Alberti), p. 109 Rues et habitats dans les villages de la chôra égyptienne à la période gréco-romaine (IIIe s. av.-IVe s. apr. J.-C.) : quelques exemples du Fayoum (Grégory Marouard), p. 117 Défense et illustration de la « loi de persistance du plan » (Pierre Pinon), p. 129 La transformation des rues à la fin de l’antiquité romaine : contextes, processus (Bernard Gauthiez), p. 141
2epartie : études de cas D’Alexandrie à Antinoopolis : fondations égyptiennes et réseau viaire (Pascale Ballet), p. 151
Quelques remarques sur les rues de l’antique Gerasa de
Les rues du bourg byzantin de Kfar Samir (Zeev Yeivin , Gérald Finkielsztejn), p. 185 Urban traffic in the hills of the
The monumental streets of Sagalassos in late antiquity : an interpretative study (Luke Lavan), p. 201
La fontaine monumentale romaine et l’espace de la rue : le cas de Sagalassos (Julian Richard), p. 215 Intraurbane Straßensysteme in Lykien (Thomas Marksteiner), p. 223
Suppression ou élargissement de rues à Lugdunum au Ier siècle apr. J.-C. (Armand Desbat), p. 231 L’eau dans la rue de
Le sens du lieu : la rue portique, mémoire d’un lien entre deux rives (Laurence Brissaud), p. 247 Les rues d’Augustodunum (Autun, Saône-et-Loire) du Ier au IVe siècle : un bilan (Yannick Labaune, Michel Kasprzyk), p. 259 Le réseau de voirie de la ville gallo-romaine d’Anderitum (Javols, Lozère) : état des connaissances à la lumière du récent programme d’évaluation (Alain Trintignac avec la collaboration de Julien Courtois, Alain Ferdière, Emmanuel Marot, Benoît Ode, Grégory Poitevin), p. 275
Les rues antiques d’Orléans (Sébastien Jesset, Pascal Joyeux, Thierry Massat), p. 289 Les rues de la capitale de la cité des Carnutes (Chartres-Autricum) : organisation, structures, aménagements et permanences à la période médiévale (Vincent Goustard, Jean-Michel Morin, Hervé Sellès), p. 299 Contribution à l’étude de la gestion de l’eau dans l’espace public durant l’Antiquité : l’apport de la fouille du site du cinéma à Chartres (Vincent Acheré, Juliette Astruc, Bruno Bazin, Laurent Coulon, Hervé Delhoofs, Séverine Fissette, Dominique Joly, David Wavelet), p. 309 Les voies urbaines de Iuliomagus (Angers) (Martin Pithon, François Comte, Pierre Chevet), p. 313 La voirie des chefs-lieux gallo-romains de la péninsule armoricaine (Gaëtan Le Cloirec), p. 321 Les rues des agglomérations secondaires antiques des Carnutes, Senons, Bituriges et Turons (Christian Cribellier), p. 327 L’évolution du parcellaire à la marge orientale du vicus de Boutae (Annecy) : l’apport des fouilles récentes d’Annecy-Galbert (Franck Gabayet et Sébastien Gaime), p. 337 Un carrefour de rues dans l’agglomération de Rauranum (Rom, 79) (Nadine Dieudonné-Glad), p. 347 Prospection et fouille de la « Grande Avenue » à Barzan (Charente-Maritime) (Laurence Tranoy, Vivian Mathé, Cécile Batigne, Marion Druez, Emmanuel Moizan), p. 353
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |