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Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université Pierre-Mendès-France - Grenoble 2 Nombre de mots : 1385 mots Publié en ligne le 2009-05-18 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=635 Lien pour commander ce livre Cet ouvrage a été publié à l’occasion d’une exposition de graffitis gallo-romains sur parois peintes présentée au musée romain de Lausanne-Vidy. Publié sous la direction d’Alix Barbet et Michel Fuchs, il a bénéficié de la collaboration de Lorraine Roduit et de contributions de Jean-Pierre Bost, Georges Fabre et Pierre-Yves Lambert, tous spécialistes reconnus auxquels peut être ajoutée, pour l’exposition comme pour le livre une liste abondante d’autres spécialistes. Le cœur du livre (p. 23-193), qui contient la description de 88 graffitis, replacés dans un contexte général et local, et l’analyse du phénomène dans les contrées gauloises, est encadré par une introduction générale (p. 14-21), une courte conclusion (p. 195-197), un utile glossaire (p. 198-199) et une bibliographie (p. 200-202).
L’introduction rappelle l’usage, devenu courant, en français, du mot graffiti (au sing. ; pl. graffitis) et sa définition : « des dessins et des écritures gravées ou incisées (…) sur toutes sortes de supports » qui sont des actes spontanés, un geste non officiel, très répandu, par ceux qui savent manier le stylet ou tout objet pointu à portée de main mais pas nécessairement par des individus qui savent lire et écrire. Il faut en effet distinguer les dessins des inscriptions. La difficulté de lecture des graffitis a deux causes : la nature et l’état du support d’une part ; la graphie et ses usages d’autre part. Abréviations selon des codes qui ne nous sont pas ou ne nous sont plus connus, hésitations, maladresses, mauvaise conservation du support – fragile dès qu’il est mis au jour et qui n’a pas toujours suscité l’intérêt des archéologues – ne facilitent ni les développements ni les interprétations. Les graffitis doivent être distingués des tags qui, non seulement ne sont pas gravés mais en outre n’ont pas pour but de délivrer un message et privilégient l’aspect visuel voire esthétique.
Le livre est divisé en huit chapitres correspondant à huit thèmes regroupant les principales catégories de messages qu’ils soient uniquement des images ou qu’il y ait un texte. Chacun des chapitres est organisé de façon identique : une synthèse illustrée avec d’excellentes photos ou des dessins, suivie du catalogue des graffitis selon une fiche de conception simple et rigoureuse. Les textes sont développés et traduits autant que faire se peut et accompagnés pour terminer d’un commentaire. Sont ainsi successivement étudiés les « comptes, poids et dates » (p. 25-33) avec quatre graffitis dont un, sur un panneau de l’atrium de la maison de Sulla à Glanum, précisément daté grâce à la mention des consuls et gravé probablement par un esclave du nom unique de Teucer ; des « exercices de stylet » (p. 35-63) avec treize graffitis (n° 5-17) : exercices au compas, motifs décoratifs de végétaux plus ou moins aisément identifiés sur les fresques et les mosaïques, abécédaires d’écoliers à Narbonne, Périgueux, Rennes ou Allonnes (Sarthe), dessins d’hommes de face, de profil, en buste, etc. qui sont autant d’indices d’essais ou de reproductions de mémoire par exemple et témoignent des réalités sociales, des spectacles, de la culture antique et de sa pénétration dans les provinces puisque ces motifs se retrouvent partout dans l’empire aussi bien à Avenches qu’à Zeugma sur les bords de l’Euphrate ; viennent ensuite « les rois de l’arène », p. 65-95, c’est-à-dire les gladiateurs et les athlètes. Ce dossier est l’un des plus riches et universels : Augst, Nyon, Saint-Ulrich, Narbonne, Orange, Ruscino, Vaison-la-Romaine, Guiry-Gadancourt (Lyonnaise), Lyon ont fourni des exemples (dix-sept dans le catalogue : n° 18-34). Les représentations de la chasse et des animaux font l’objet du chapitre suivant (p. 97-127) avec un catalogue de dix-huit graffitis (n° 35-52) provenant de villes aussi diverses que celles relevées pour les gladiateurs. Dans certains cas, les dessins sont ici encore d’une grande qualité de finesse ou de détail, tout à la fois indice du talent de leur auteur et de la connaissance de ces animaux, de leur utilisation et donc d’un contexte social, politique ou économique. La chasse apparaît ainsi très fréquemment représentée, sans doute même plus que les combats de gladiateurs. C’est le signe qu’elle devait être pratiquée et vue dans les lieux de spectacle, qu’elle était donc organisée, mais aussi de façon habituelle dans les forêts et les campagnes. Les cerfs sont les animaux le plus souvent représentés avant les sangliers et les chiens. L’antique Périgueux en a fourni nombre d’exemplaires. Il est parfois impossible de déterminer si la représentation correspond à une chasse véritable ou à un spectacle mais il est toujours utile de comparer ces animaux à ceux que l’on trouve sur les mosaïques ou les peintures murales. Les oiseaux sont aussi très fréquents : coqs, pigeons, aigles, paons – ces derniers, animaux de volière par excellence, nombreux –, grue, à Périgueux sur un graffiti accompagné d’une inscription qui mentionne le nom de son propriétaire (Primi gru[s] : « la grue de Primus ») et d’autres textes à connotation amoureuse ou érotique qui, sans être peut-être des mêmes mains, pourraient avoir profité des dessins. Le monde marin et maritime vient ensuite (p. 129-137) avec quatre graffitis (n° 53-56) : un bateau, deux poissons, un paysage de lac et de montagne, accompagné d’une inscription de deux noms. Les graffitis érotiques ne sont pas absents des murs gaulois et font l’objet du chapitre suivant (p. 139-151) avec un catalogue de dix occurrences (n° 57-66) dont neuf inscriptions qui ne diffèrent pas de celles bien connues de l’Italie, notamment à Pompéi : avec crudité, franchise, vantardise, elles nous livrent les noms des partenaires, hommes ou femmes, dans des relations hétérosexuelles ou homosexuelles. Tous ces documents avaient déjà été publiés à l’exception de deux inédits : en Suisse, à Yvonand, un phallus (n° 66) et à Rennes (n° 62), deux lignes qui évoquent l’une les exploits sexuels d’un inconnu, l’autre un nom de personne suivi de l’injure cinaedus (« inverti, pédé »). L’avant dernier chapitre, « paroles de fidèles » (p. 153-163) aborde les dévotions, les exemples de prières, de protocoles sacrificiels. Si les témoignages incisés dans l’enduit des sanctuaires sont rares (choix de six exemples dans le catalogue : n° 69-72), il faut mentionner deux des plus documentés : Châteauneuf en Savoie (n° 68-69) et Jublains en Mayenne (n° 71). Parfois très brefs, ces graffitis n’en sont pas moins d’une très grande utilité. Noms de dieux, épiclèses divines, noms de dévots ils sont un complément indispensable à la connaissance des pratiques religieuses. Le dernier chapitre, p. 165-193, « Le parler écrit », peut servir de synthèse à l’apport du graffiti écrit à notre connaissance des niveaux et types de langue d’un point de vue social ou sociologique et culturel : comme l’écrivent les auteurs, « ce n’est pas du Cicéron sur les murs peints » (p. 165). Il n’empêche qu’on y lit parfois des réminiscences littéraires certaines. Quant aux enseignements sociaux, il en est un qui se vérifie : l’univers des graffitis est plutôt masculin : « les femmes n’apparaissent que comme des références, des évocations, des citations et non comme des auteurs ». Seize graffitis composent le catalogue (n° 73-88). Dans ce chapitre, il faut noter la présence (p. 177-182) d’une liste de 85 noms propres, latins ou gaulois essentiellement, relevés sur les peintures murales, très utile pour les onomasticiens et les épigraphistes.
Si beaucoup des documents choisis étaient déjà connus et publiés, certains sont inédits : notamment en Suisse et à Rennes (n° 47 du catalogue, graffiti d’un cheval au pas daté du IIe-IIIe s., fouille de l’hôpital Ambroise Paré ; n° 84 : Quinto Murrano feli[citer] et n° 62 mentionné supra). Toutefois, on signale que le n° 83 du catalogue, présenté comme inédit, a été mentionné dans L’Année épigraphique qui a repris en 2003 les textes des fouilles rémoises, particulièrement les graffitis de la maison dite de Nocturnus (AE, 2003, 1196). Dans tous les cas, il faut savoir gré aux auteurs de mettre à la disposition d’un public élargi une information riche qui n’était accessible qu’à un public spécialisé ou érudit, habitué aux revues scientifiques parfois locales ou de diffusion réduite. L’ouvrage se recommande aussi par la grande clarté de la rédaction qui lui permet d’être à la fois un livre savant, de bonne vulgarisation et aisément utilisable par les étudiants. Il peut être une voie d’accès à des ouvrages plus spécialisés sur la peinture murale et les graffitis dans l’Antiquité car il donne un panorama de la variété des thèmes historiques, techniques, économiques et sociaux qui peuvent être abordés avec cette source et montre combien notre connaissance peut être renouvelée et améliorée en combinant des apports disciplinaires divers.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |