Viret, Francine: Au fil de la lame. Essai sur l’iconographie de la hache sacrificielle et la construction des genres dans l’Athènes classique, Collection Vestigia, 240 pages. 16,5 x 23,5 cm. 22 €. ISBN 978-2-88474-210-8.
(Infolio, Gollion et Paris 2008)
 
Compte rendu par Laurent Hugot, Université de La Rochelle
 
Nombre de mots : 1722 mots
Publié en ligne le 2009-05-14
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=636
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L’ouvrage de Francine Viret est la version remaniée d’une thèse soutenue à l’Université de Lausanne en 2005. Il est composé d’un texte de 166 pages, illustré de 22 dessins de bonne facture et de 64 photographies en noir et blanc (le tout est organisé en 50 figures). On ne saurait blâmer l’auteur pour la mauvaise qualité des photographies (elles sont très sombres), car c’est l’impression qui est en cause. Les notes, nombreuses (612), ont été rejetées à la fin de l’ouvrage pour faciliter la lecture. Elles sont suivies d’une courte bibliographie (8 pages) et d’un catalogue qui recense 185 vases utilisés par l’auteur dans son étude. Le livre est d’une lecture aisée, toutefois le style est assez descriptif et on peut regretter la présence d’expressions parfois maladroites (p. 15 sur Clytemnestre ou encore p. 16 sur le Parthénon par exemple). Le catalogue est bien organisé même si la numérotation n’est pas très pratique. Il reste quelques coquilles (peu nombreuses) dans le texte. Les notes ont été mal relues (154, 157, 167, pas de point final ; il manque parfois une majuscule en début de note) et certaines sont inutiles (63, 98, 170 par exemple) mais ce ne sont souvent que des détails. Par contre, on a à déplorer des problèmes dans les figures et dans les légendes des figures qui sont plus importants vu qu’il s’agit d’un sujet d’iconographie. Il manque la datation pour les figures 41 et 50. La figure 64 est décrite comme un cratère à volutes, il s’agit en fait d’une œnochoé conservée à Berlin comme l’auteur l’indique bien dans son catalogue (en regardant le numéro d’inventaire, on comprend qu’il s’agit de l’Antikenmuseum). Par contre, dans la légende et dans le catalogue, la péliké de la figure 65 est décrite comme une œnochoé et la légende est fausse. 

Dans ce travail, Madame Viret entend analyser les représentations de haches sacrificielles dans la céramique attique du VIe et du Ve siècle avant notre ère, mais sans indiquer pour quelle raison elle a fait le choix d’étudier uniquement les vases en excluant les autres représentations. Comme elle l’écrit dans le sous-titre de l’ouvrage, il ne s’agit pas réellement d’une étude sur le sacrifice puisque l’auteur développe, à partir de l’analyse de son corpus de représentations, une réflexion plus générale sur la construction des genres dans l’Athènes classique. Elle indique d’ailleurs dans son avant-propos qu’elle voulait comprendre « pourquoi des femmes [Clytemnestre, Ino et les femmes thraces] brandissaient une telle arme [la double hache], et ce que signifiaient ces images ». Elle explique longuement dans son introduction qu’elle souhaite inscrire son étude dans le cadre des « gender studies ».

 

La construction du plan est originale puisqu’après l’avant-propos et l’introduction, on trouve un chapitre concernant la définition de la double hache qui porte le numéro 1 puis deux parties qui comprennent chacune trois chapitres. La première partie est consacrée aux hommes porteurs de la double hache (les hommes, le pelekus et la mise en ordre du monde) et la seconde partie concerne les femmes brandissant le pelekus (les femmes, le pelekus et le désordre). La conclusion qui est numérotée est suivie d’un épilogue traitant des satyres tenant une double hache : celui-ci aurait probablement été plus à sa place dans la première partie de l’ouvrage qui traite, non des hommes comme l’indique l’auteur, mais des êtres divins ou semi-divins masculins.

 

Dans l’avant-propos et l’introduction, l’auteur explique longuement le cheminement qui l’a conduit à proposer ce sujet à son directeur de thèse et elle indique sa volonté de découvrir pour quelles raisons on trouve autant de femmes porteuses de la double hache sur la céramique attique du VIe et surtout du Ve siècle avant notre ère, et cela principalement dans trois épisodes mythologiques (meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre, Ino et Phrixos puis Orphée et les femmes thraces).
Dans le premier chapitre intitulé « La double hache », elle évoque les origines minoennes et mycéniennes de ce motif, puis elle tente de définir la forme et les nombreuses fonctions du pelekus. Cette arme était naturellement utilisée lors de certains sacrifices, mais elle était également l’un des outils des bûcherons et des agriculteurs et une arme utilisée parfois par les soldats et les bourreaux. On pourrait ajouter que les tailleurs de pierre utilisaient un outil qui avait une forme semblable (la pierre tendre et le bois étaient travaillés avec les mêmes outils).

 

Dans la première partie, l’auteur étudie les « hommes » porteurs de la double hache. On y retrouve Héphaïstos lors de la naissance d’Athéna, Thésée et Procruste, Héraclès et Sylée ainsi que Lycurgue tuant son fils. Elle justifie de commencer son étude par les « hommes » par le fait que chronologiquement cet instrument apparaît d’abord entre leurs mains et qu’il est important de comprendre pourquoi il devient parfois par la suite une arme féminine. Madame Viret nous invite tout d’abord à suivre son analyse des représentations de la naissance d’Athéna. Concernant Héphaïstos, elle considère que la double hache qu’il utilise lors de la naissance d’Athéna est une arme sacrificielle, mais sans nous indiquer pour quelle raison elle l’entend ainsi. L’auteur émet des hypothèses intéressantes, mais qui sont malheureusement difficilement vérifiables (mise en relation du départ d’Héphaïstos et de Poséidon sur les vases avec la suprématie d’Athéna sur la cité, utilisation des amphores du groupe E pour mettre l’huile des Panathénées). Dans un second chapitre (apprivoiser la terre : Héraclès et Thésée à la hache), l’auteur étudie les représentations dans lesquelles Héraclès et Thésée utilisent la double hache pour détruire des personnages malfaisants (affrontement entre Thésée et Procruste et entre Héraclès et Sylée), auteurs de désordres (brigands ou monstres). Elle s’attache à démontrer que l’utilisation de la hache est pour les héros un moyen de pacifier et de civiliser le territoire de l’Attique et elle insiste avec raison sur le fait que ces héros ne sont jamais les instigateurs de cette violence. Alors que les auteurs anciens et les commentateurs modernes identifient le plus souvent l’arme de Thésée à un marteau, elle s’attache à montrer qu’il s’agit bien d’une double hache. On revient ensuite vers Thésée pour étudier l’épisode des Lapithes, l’analyse que F. Viret fait de ces scènes est intéressante. Toutefois la phrase conclusive de cette partie « Ces trois porteurs de hache exaltent un système de gouvernement isonomique incarné par la puissante Athènes, dont les peintres et les sculpteurs illustrent le discours » (p. 69) apparaît comme un peu excessive. Bien que l’auteur ait défini les diverses fonctions du pelekus, elle n’applique à chaque fois qu’une lecture sacrificielle lorsque l’arme apparaît entre les mains d’un personnage, sans nous montrer pour quelle raison, dans ces contextes, on peut l’identifier ainsi. On pourrait penser que l’arme de Procustre est celle d’un homme vivant dans un espace de marge (outil du défricheur) et que l’arme de Sylée est également l’outil agricole, utilisé pour tailler la vigne. Au contraire, l’auteur aurait pu pousser plus loin son analyse du meurtre de Dryas par son père Lycurgue car, dans ce cas, le lien avec un sacrifice détourné pourrait être plus évident, d’autant qu’elle rappelle que chez Homère l’arme utilisée est un bouplex et non le pelekus souvent brandi par Lycurgue sur les vases, et que l’enfant, souvent représenté sur un autel, pourrait cette fois être apparenté à une victime sacrificielle.

 

Dans sa seconde partie, elle étudie les femmes porteuses de la double hache (Clytemnestre, Ino et les femmes thraces). Ce que l’auteur avait indiqué comme étant le cœur de son étude arrive bien tard dans son ouvrage (p. 79). Dans son premier chapitre, « Clytemnestre, la femme en politique », elle applique une lecture sacrificielle à l’épisode du meurtre d’Agamemnon par sa femme et son amant, puisque parfois celle-ci brandit la double hache. L’assassinat est décrit comme un meurtre rituel (p. 86) effectué par une femme qui prend le rôle de l’homme et qui transgresse les règles du sacrifice. Dans le second chapitre intitulé « Ino, double hache et agriculture », elle entreprend l’étude de l’épisode de la machination ourdie par Ino pour que son époux sacrifie à Zeus son fils issu d’un mariage précédent. Phrixos sera sauvé grâce à l’intervention d’un bélier à la toison d’or envoyé par sa mère. L’épisode a été traité par le Peintre de Munich 2335 comme une scène de substitution d’un animal à une victime humaine lors d’un sacrifice comme le montre la présence de bandelettes sur le bélier. Le dernier chapitre, « Les femmes et le chanteur de charme », traite du meurtre d’Orphée par les femmes thraces. Alors que F. Lissarrague a mis l’accent sur la multiplicité des armes qui sont utilisées, pas des armes de guerre, mais tout ce qui tombe sous les mains des femmes et qui se trouve dans leur espace proche, l’auteur voit dans ces scènes un sacrifice détourné (p. 123). Elle associe systématiquement la double hache avec un contexte sacrificiel. C’est parfois à coup sûr le cas comme pour l’épisode d’Ino et Phrixos mais on peut être beaucoup plus sceptique concernant Clytemnestre et la mort d’Orphée. On aurait aimé que l’auteur développe son analyse pour nous montrer la pertinence de ses lectures iconographiques sur ce sujet. Alors que l’auteur a montré que cet outil pouvait avoir de multiples usages, comment le réduire ainsi à une seule de ses possibles fonctions ?

 

Dans sa conclusion, l’auteur tente de mieux comprendre dans quels ateliers ont été créées ces images et quels liens existaient entre les peintres. Elle met en relation l’apparition de ces images avec la fin de la tyrannie et la naissance de la démocratie à Athènes. Elle affirme ensuite que les représentations de femmes à la hache étaient destinées à montrer aux hommes une sorte de contre-modèle de société. Selon elle, « la violence des femmes est associée à celle des tyrans » pour mettre en garde les citoyens contre ces deux périls puisque, si la démocratie implique l’égalité entre les citoyens mâles, elle suppose obligatoirement la subordination des femmes.

Dans son ouvrage qui ne manque ni d’intérêt, ni d’originalité, Madame Viret a voulu embrasser une matière beaucoup trop vaste. Elle a sans doute fait preuve de trop d’ambition en voulant, à partir des images qui ne sont jamais le reflet exact de la réalité, réécrire une histoire sociale et politique d’Athènes. Parmi les vases qu’elle cite, beaucoup ont été retrouvés ailleurs qu’en Attique, en Étrurie ou en Grande Grèce par exemple. Si la clientèle n’est pas athénienne, pouvons-nous alors penser que nous avons une véritable imagerie à sens politique qui s’adressait aux Athéniens ?