Van Cleave, Claire (dir.): Dessins italiens de la Renaissance, 192 pages, ISBN-EAN13 : 9782711853175, 39 euros
(Rmn, Paris 2007)
 
Recensione di Christophe Brouard, Ecole pratique des Hautes Etudes, Paris & Università degli Studi di Udine
 
Numero di parole: 1570 parole
Pubblicato on line il 2008-12-08
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=637
Link per ordinare il libro
 
 

« On espère avant tout que le lecteur appréciera la beauté de ces œuvres d’art extraordinaires » (p. 31). Cette phrase de conclusion à l’introduction de l’ouvrage de Claire van Cleave est emblématique de son parti pris : il s’agit d’une sorte d’album des « plus belles feuilles d’artistes nés approximativement entre 1400 et 1500 » conservées au Louvre, au British Museum et dans d’autres collections publiques françaises. Rien de plus.

Traduction d’un ouvrage publié aux presses de l’Université d’Harvard, cet album se propose d’illustrer les nombreuses techniques et les différentes pratiques des dessinateurs de la Renaissance italienne. Ainsi, les cent douze dessins présentés dans ce recueil offrent un aperçu des différentes écoles artistiques de la péninsule.
Claire van Cleave est une spécialiste des arts graphiques toscans et a publié quelques contributions sur l’art du dessin chez Luca Signorelli. Cependant, qu’on se rassure, la sélection qu’elle opère n’est pas complètement recentrée sur cette ère géographique et culturelle. Toutefois, l’auteur rappelle « l’importance [que les Florentins accordaient] au disegno et (…) le nombre d’œuvres exceptionnelles provenant de cette région », qu’elle estime « supérieur » aux autres (p. 31). Malgré cette observation quelque peu obsolète, le lecteur est amené à découvrir – ou redécouvrir, sachant que les dessins proviennent des plus grands fonds d’arts graphiques européens – les feuilles de :
- Fra Angelico, Fra Filippo Lippi, Benozzo Gozzoli, Antonio del Pollaiuolo, Andrea del Verrocchio, Sandro Botticelli, Domenico Ghirlandaio, Luca Signorelli, Pietro Perugino, Leonardo da Vinci, Filippino Lippi, Lorenzo di Credi, Raffaellino del Garbo, Fra Bartolommeo, Michel-Ange, Baldassare Peruzzi, Raphaël, Andrea del Sarto, Giulio Romano, Baccio Bandinelli, Pontormo, Rosso Fiorentino, Polidoro da Caravaggio, Perino del Vaga, Parmigianino, pour l’école toscano-romaine
- Pisanello, Jacopo Bellini, Gentile et Giovanni Bellini, Andrea Mantegna, Marco Zoppo, Bartolomeo Montagna, Giovanni Battista Cima (da Conegliano), Vittore Carpaccio, Lorenzo Lotto, Pordenone, Sebastiano del Piombo, Titien pour l’école veneto-padouane
- Andrea Solario, Marco d’Oggiono, Giovanni Antonio Boltraffio, pour l’école milanaise et le Corrège.

La particularité de cet ouvrage tient à la présentation de plusieurs feuilles par artiste, dès lors qu’il s’agit de dessinateurs prolifiques, comme Léonard de Vinci, Raphaël ou Michel-Ange. Les ‘fiches’ sont ordonnées chronologiquement, mais contrairement à ce que nous avons opéré ici, elles ne sont pas regroupées par écoles. Leur présentation est néanmoins surprenante, voire troublante : elle s’inspire des catalogues d’exposition. De fait, étant donné que le projet ne naît pas en lien avec une exposition, on s’étonnera de ce parti pris qui risque de perturber les amateurs et connaisseurs de livres d’art. Mais une fois encore, ces derniers, les plus exigeants mis à part, sauront sans doute apprécier les introductions biographiques qui marquent chaque ‘fiche’. Sur ce point, il nous semble en revanche que l’auteur dérive vers un banal exposé des carrières de chacun, ce qui nous éloigne sensiblement du propos initial.

En ouverture, l’introduction expose différentes facettes de l’art du dessin. Comme le suggère la quatrième de couverture, l’ouvrage est avant tout destiné au grand public (d’où sa présentation ?). Cela explique que l’auteur se consacre presque exclusivement à des problèmes d’identification, d’explication puis d’analyse des techniques du dessin. En s’appuyant plus particulièrement sur le traité – de référence bien entendu – de Cennino Cennini, Claire van Cleave présente donc les techniques de construction d’un dessin. Mais dans cet exercice, les différentes écoles sont envisagées sans réelle distinction. L’auteur se réfère alternativement à des productions nées dans des contextes bien différents.
 
Malgré ces réserves, la partie la plus intéressante concerne sans aucun doute la description des techniques qui prévalaient durant les deux siècles considérés. Le stylet constituait le premier outil du dessinateur, qui fixait par ce médium « les grandes lignes d’un dessin » (p. 10). La pointe de métal, quant à elle, est comparée, très justement, à la technique picturale de la tempera (la détrempe) : elle était aussi contraignante et demeurait très graphique, ne permettant pas d’élaborer d’effets spectaculaires. À l’inverse, la mine de plomb, plus souple, pouvait être combinée à la pointe de métal, mais était particulièrement fragile, contrairement à cette dernière. Une plus grande place est réservée à l’encre. En effet, cette technique était la plus diffusée, mais elle nécessitait une plume d’oie finement taillée – ou plus ponctuellement adaptée aux effets souhaités par l’artiste. Claire van Cleave s’étend volontiers sur la préparation de l’encre et sur les différents types utilisés par les artistes, toscans, émiliens ou vénitiens. Cette technique est clairement opposée à celle de la pointe de métal et, comme le rappelle l’auteur, ses « possibilités expressives étaient encore accrues par l’emploi de lavis et de rehauts ». De nombreux artistes, toutes écoles confondues, utilisaient le lavis pour rehausser leurs dessins et cette pratique pouvait même constituer l’unique technique d’un dessin : comme le dessin à la plume, le trait du pinceau pouvait en effet être modulé en fonction de la charge d’encre que l’on voulait bien y mettre. Parmi les exemples frappants de cet emploi exclusif, la Tête d’un homme mûr de Carpaccio (p. 6, fig. 1) et le Saint Marc et saint Grégoire assis sur un nuage du Corrège (p. 162) montrent deux approches différentes : le premier semble correspondre à un dessin de présentation, datable d’environ 1507 selon les Tietze, tandis que le second, mis au carreau, est une étude rapidement esquissée d’une des figures de la voûte de San Giovanni Evangelista à Parme. Corrège faisait partie des nombreux artistes qui adoptèrent aussi la technique de la sanguine, cette pierre argileuse dont « l’intensité (de la couleur) dépend du pourcentage d’hématite » (p. 17), et il expérimenta même la superposition de cette technique avec celle du fusain, plus fragile et mais particulièrement adaptée aux grands formats – tout comme la pierre noire.

Partant de cet échantillonnage descriptif, Claire van Cleave formule deux observations quelque peu évidentes : l’artiste « qui travaillait a tempera (…) avait davantage tendance à réaliser des dessins exécutés avec finesse (…) », tandis que « le développement de la peinture à l’huile (…) favorisa celui des techniques graphiques plus hardies à trait large » (p. 20). L’auteur illustre ensuite son propos à l’aide de deux feuilles réalisées par Mantegna et Corrège : les « qualités tactiles » du dessin de l’un sont ainsi opposées à la sensualité du trait du second. Les connaisseurs seront bien entendu étonnés de telles confrontations privées de remise en contexte. Pour rappel, Mantegna travaille entre les années 1440 et 1500, tandis que Corrège effectue sa carrière à Parme – avec une formation probable à Mantoue au contact des œuvres de Mantegna – entre la fin de la première décennie du XVIe siècle et le début des années 1530. Le changement de technique devrait ainsi être considéré comme un fait historique et non comme un parti pris esthétique.

Mais la principale faiblesse de cette étude ne réside pas seulement dans son manque d’analyses contextuelles. En effet, malgré les quelques observations purement techniques, l’auteur n’accorde que trop peu d’importance au problème du dessin achevé, qu’il soit de présentation, qu’il soit offert ou conçu pour l’accrochage – encadré et mis en page. À juste titre, Claire van Cleave insiste sur leur « petit nombre », mais ne développe pas son discours vers une analyse des raisons qui pouvaient amener les dessinateurs à concevoir ces projets. Certes, de célèbres présents permettent de comprendre que le dessin, dans ces cas, a vocation à montrer le talent de l’artiste, mais la Chute de Phaéton de Michel-Ange (p. 9, fig. 3), par exemple, n’entre pas réellement dans ce cadre. Ce dessin, offert à Tommaso de’Cavalieri, un jeune Romain dont s’était épris l’artiste, entendait peut-être et avant tout emblématiser la relation des deux hommes.
De même, alors qu’il s’agit d’un genre nouveau et caractéristique du Cinquecento italien, le dessin de paysage est à peine mentionné. On peut même lire : « il est difficile de savoir dans quelle catégorie situer les dessins de paysage de la Renaissance (…) » (p. 30). Pourtant, loin de constituer une catégorie distincte, le dessin de paysage se rattache à celles que l’auteur désigne dans son introduction. Les dessins de Fra Bartolommeo sont bien souvent exécutés sur le vif, mais dans un but précis : l’intégration de certains éléments de ces études dans la peinture a pour effet d’enraciner plus encore les scènes peintes dans une culture locale et toscane. Les dessins de Titien – ou du très prolifique mais évincé de la ‘guest list’ Domenico Campagnola (dont le Louvre et le British Museum conservent l’essentiel de la production) – ont bien souvent une autre destination. On sait en effet que certaines des grandes feuilles étaient collectionnées comme des œuvres autonomes et n’avaient pas vocation à préfigurer une quelconque peinture. On peut regretter que Claire van Cleave ne prenne pas en considération ces données, pourtant décisives en histoire de l’art.

Il nous reste à espérer, d’un côté, que le grand public saura apprécier la qualité indéniable des reproductions et la relative maniabilité de l’ouvrage. Il est vrai aussi que certaines feuilles ne demandent qu’à être admirées, tant elles mettent en exergue les qualités de leur auteur, comme l’attestent les feuilles de Verrocchio (p. 64-67), de Bartolomeo Montagna avec cette splendide Vierge à l’enfant de Lille (p. 84-85), de Léonard de Vinci à qui est consacré la plus longue série d’œuvres (p. 86-97), de Vittore Carpaccio, maître du lavis brun (p. 106-7), de Boltraffio (p. 112-13), de Michel-Ange (p. 120-31), de Sebastiano del Piombo, récemment ‘redécouvert’ lors d’une exposition monographique (p. 150-53) ou du Parmesan, qui aurait mérité d’être plus amplement étudié (p. 182-86). D’un autre côté, la seule difficulté pour les connaisseurs résidera sans doute dans le fait de comprendre en quoi cet ouvrage enrichit, voire stimule l’étude du dessin italien.