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Compte rendu par Matthieu Ghilardi, Centre national de la recherche scientifique Nombre de mots : 1513 mots Publié en ligne le 2009-12-14 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=648 Lien pour commander ce livre Ce livre publié par le Ministère grec de la culture s’intitule Spinalonga (littéralement « la longue arête »), du nom de cet îlot localisé à quelque centaines de mètres à peine des côtes orientales de la Crète et au nord de la ville moderne d’Aghios Nikolaos. Cet ouvrage vient s’ajouter à la liste importante de ceux consacrés à de sites archéologiques et publiés dans la collection Archaeological and Receipt Funds. Parmi les travaux les plus remarquables de Grèce déjà diffusés dans cette collection, nous trouvons en particulier ceux sur Chalcis, Érétrie, Pella et Philippes. Le simple touriste, tout comme l’archéologue amateur des richesses culturelles de la Grèce, trouvera parmi les dizaines de références de la collection, des synoptiques précis des hauts lieux archéologiques (et touristiques) de la péninsule hellénique. L’ouvrage dont nous rendons compte est de très belle facture et d’une remarquable clarté pour le non-spécialiste. Certains lecteurs apprécieront le devoir de mémoire dont l’auteur, Georgia Moschovi, s’acquitte ici : en effet, même si en superficie Spinalonga ne couvre qu’une infime portion de territoire, cet endroit est chargé émotionnellement et symbolise l’histoire tumultueuse de la conquête et de la colonisation de la Crète depuis le XVIe siècle.
Le texte, en anglais (la traduction depuis le grec vers l’anglais a été réalisée par David Hardy, -mais il existe également une version en grec moderne-), est écrit dans un style simple et direct, de façon à le rendre accessible à tous. Le livre comporte soixante-huit pages et trouve sa force dans la richesse de ses illustrations et des commentaires qui y sont associés. Il s’adresse à un public très large et saura contenter le lecteur qui désire se rendre (même par la pensée) dans l’ancienne forteresse vénitienne, désormais lieu de visites de nombreux touristes grecs et étrangers pendant l’été. L’auteur s’attache à retracer, grâce à la compilation habile d’informations archéologiques, historiques et photographiques, l’évolution de l’occupation humaine de cet îlot calcaire de 8,5 hectares et de 53 mètres d’altitude au maximum. Il présente de manière minutieuse les bâtiments les plus remarquables. L’introduction, précédée de citations d’auteurs grecs, rappelle de manière très rapide le cadre physique : la page 10 résume en seulement deux phrases (raccourci trop imprécis pour être exploitable par le lecteur) le cadre géologique et les conditions climatiques de l’îlot. Quelques documents présentant la géologie du secteur ainsi que des cartes sommaires de bathymétrie et de répartition des précipitations auraient permis une meilleure spatialisation des informations. Toujours en préambule du texte, nous trouvons une version abrégée du contenu de l’ouvrage, qui résume parfaitement l’essentiel des propos de l’auteur.
La première partie de l’ouvrage retrace de manière pertinente l’évolution de l’occupation de Spinalonga depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours : les principaux aménagements sont détaillés grâce à des renvois vers des travaux archéologiques et historiques, bien que ces derniers ne soient peut-être pas assez clairement présentés et que l’on n’en connaisse pas toujours la source exacte. L’auteur détaille ensuite les différentes phases de colonisation entreprises par les Arabes, les Vénitiens, les Ottomans et les Grecs. En effet, au cours des deux derniers millénaires, l’ensemble de ces peuples de Méditerranée a contribué à aménager cet espace voué à être isolé du reste de la Crète, et cela dès l’origine de la colonisation. Si les Vénitiens ont principalement contribué à fortifier l’îlot au XVIe siècle en édifiant des structures de défense (murs, tours d’angle, etc.), les Ottomans en ont fait une île prospère entre 1715 et 1903, grâce essentiellement au commerce avec la Crète toute proche. Des musulmans peuplaient alors exclusivement ce « confetti » calcaire et vivaient en quasi-autarcie. On apprend par ailleurs, au fil des pages, que de nombreux métiers étaient exercés dans les domaines suivants : fabrique de tabac, cordonnerie, pêche, agriculture et même confection de bougies d’éclairage ! Dans le premier quart du XXe siècle, l’État grec décida d’y déporter les lépreux, bannis de Crète et de Grèce, sur ce qui était alors devenu une sorte de lazaret en 1903. Il est certain que la période la plus sombre de l’histoire de Spinalonga se déroule dans la première moitié du XXe siècle, car les conditions de vie étaient plus que difficiles pour ces malades au physique devenu imprésentable à la société grecque de l’époque. Georgia Moschovi cherche à sensibiliser le lecteur (ce qu’elle réussit très bien à faire) sur leur déportation injuste en raison de leur apparence et du risque de contagion avec le reste de la population (page 31). Depuis quelques années à peine, les touristes peuvent visiter les installations de l’îlot en prenant pour guide cet ouvrage et peuvent ainsi s’imprégner de ce lieu de mémoire.
Dans cette première partie, les titres des sous-parties semblent laisser croire que ce promontoire rocheux disposait d’un port depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. C’est quelque peu trompeur, car il s’agit plus d’un simple môle de débarquement des marchandises et de transfert des habitants que d’un véritable port. Il est probable, comme en rend d’ailleurs compte l’auteur, que la vocation de cette jetée ait évolué durant les différentes phases d’occupation. Aucune étude archéologique précise n’est par ailleurs mentionnée pour prouver l’existence d’éventuelles infrastructures portuaires à l’époque hellénistique. L’auteur, qui de toute évidence a consulté une importante bibliographie, mentionne seulement la présence de pans de murs antiques incorporés par la suite dans des ouvrages de défense, mais à ce jour l’emplacement exact du port antique n’a pu être identifié.
La seconde partie de l’ouvrage (annexes) est un inventaire des différents bâtiments identifiés sur l’îlot de Spinalonga. Une riche documentation photographique permettra aisément au visiteur de s’arrêter et de comprendre l’architecture des murs et des autres tours d’angle. Les clichés, très réussis, sont incorporés au texte ; ils montrent au lecteur de nombreux édifices en excellent état de conservation. Il était peut-être inutile d’accentuer la couleur bleue de la mer (des retouches ont été réalisées par procédé informatique grâce à des logiciels spécialisés, notamment sur les photos des pages 40 et 41) ; dans ce secteur du Mirambello, les eaux sont déjà d’une belle clarté. L’insertion du tableau chronologique à la fin des annexes (page 65) soulève quelques problèmes de compréhension et le lecteur pourra être désorienté par l’énumération des différentes périodes d’occupation de l’île de Crète, depuis l’époque minoenne jusqu’à nos jours. Inséré en début d’ouvrage avec un surlignage des périodes d’occupation de Spinalonga, ce document aurait tout de suite permis de fixer le cadre temporel et l’aurait, d’une certaine manière, mieux mis en valeur.
Si la qualité de cet ouvrage est très satisfaisante, il convient de relever de petites imperfections, complémentaires de celles déjà mentionnées sur le fond et sur la forme. L’une des faiblesses de l’ouvrage repose sur l’insertion des cartes et des plans dont la qualité d’exécution laisse parfois le lecteur dans le vague. On s’attendrait à retrouver, dès le début, une carte de localisation ; suivie d’un plan d’ensemble des bâtiments, classés par périodes de construction : force est de constater que ces documents sont mal placés dans le texte. En effet, concernant le premier document, il faut attendre la page 15 (et pour trouver une carte plus précise, on doit se reporter à la dernière page de l’ouvrage !) et pour le second, la page 39. Les informations géographiques de base, telle l’échelle, ne figurent pas et cela est dommageable pour estimer, notamment, les dimensions des bâtiments représentés sur le plan de la page 39. La carte de la page 68 est relativement précise, mais, une nouvelle fois, il est totalement impossible d’estimer les distances séparant les villes, ainsi que l’éloignement de Spinalonga par rapport aux côtes de la Crète. Un autre point délicat de ce livre concerne les références bibliographiques. En effet, celles-ci sont indiquées en fin d’ouvrage et sont, pour la plupart d’entre elles, écrites en grec : il semble donc difficile au simple visiteur non hellénophone (à qui l’auteur semble s’adresser) de les lire et de se documenter de manière complémentaire. Les ouvrages anglophones cités sont des références auxquelles le lecteur féru d’histoire et d’archéologie pourra aisément se reporter. On aurait également souhaité avoir un renvoi direct aux références bibliographiques dans le texte. En effet, il existe une totale déconnexion entre le corps du texte et les ouvrages cités en fin d’ouvrage, si bien que l’on a parfois des difficultés à identifier les sources qui ont permis, notamment pour les faits historiques et les données statistiques, de développer l’argumentaire. À titre d’exemple, les chiffres avancés pour estimer la population de Spinalonga dans le dernier quart du XIXe siècle (pages 23 et 24) sont très intéressants et indiquent une décroissance rapide de la population de l’îlot, qui comptait jusqu’à 1112 habitants en 1879 et seulement 257 personnes vers 1900 ! Le lecteur cherche en vain, dans le texte, l’origine de ces informations et aimerait savoir quels registres ont été consultés, et si des enquêtes ont été menées sur place. Bien que certaines imprécisions subsistent dans cet ouvrage, inhérentes à toute vulgarisation de travaux scientifiques (archéologiques et historiques en l’occurrence), le contenu permet d’apprendre les moindres détails chronologiques de l’occupation de cet îlot.
En conclusion, nous ne pouvons qu’être reconnaissants à Georgia Moschovi d’avoir réalisé cet ouvrage de synthèse richement illustré. Spinalonga est une des destinations touristiques majeures de la Crète, pour qui séjourne dans le secteur d’Aghios Nikolaos et dans la préfecture du Lassithi. Le simple touriste trouvera dans ces dizaines de pages un synoptique précis de cet îlot calcaire et pourra ainsi disposer d’un guide précis pour mieux appréhender le puzzle architectural des bâtiments édifiés au cours des derniers siècles. Le passionné d’archéologie et d’histoire saura s’évader des sites archéologiques majeurs de la région (Malia et Latô) pour se plonger dans un site dont l’histoire tumultueuse résume parfaitement celle de la Crète. De plus, le travail de mémoire réalisé par l’auteur est remarquable et doit être encouragé par une lecture de cet ouvrage et par la visite de Spinalonga.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |