Viollet-le-Duc, Eugène: Entretiens sur l’architecture. Collection Archigraphy Poche. Réédition. ISBN 978-2-88474-152-1. 12 x 17.5 cm. Coffret de 2 volumes, 1280 pages, illustrations nb, 38.00 CHF
(Infolio éditions, Gollion - Paris 2011)
 
Reseña de Gilles Soubigou, Monuments historiques de Lorraine
 
Número de palabras : 1139 palabras
Publicado en línea el 2011-01-31
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=673
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          Le 15 novembre 1863, Napoléon III signe le décret qui réforme l’École impériale des beaux-arts. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879) est nommé professeur d’histoire de l’art et d’esthétique, avec un traitement annuel de 2 000 Fr. Rapidement déçu par cette expérience, et alors que le décret suscite des débats aussi passionnés que violents où Viollet-le-Duc est directement pris à parti, il démissionne de son poste dès le 16 mars de l’année suivante, Hippolyte Taine lui succédant. Sainte-Beuve, qui avait assisté à la leçon inaugurale de l’architecte, le 29 janvier 1864, notait : « J’ai emporté de cette première leçon une impression pénible ; j’ai reconnu une fois de plus qu’il suffit de quelques malveillants obstinés pour tenir en échec la bonne volonté du grand nombre » (Nouveaux Lundis, 15 février 1864).

 

          Mais la volonté de Viollet-le-Duc ne pouvait se satisfaire de cet échec, et ce sont les notes préparatoires à ses cours, largement retravaillées et complétées, qui paraissent en 1863 et 1872 en deux volumes illustrés de 200 gravures sur bois et augmentés de deux albums de 38 planches, chez l’éditeur parisien Auguste-Jean Morel (1820-1869). Une véritable amitié liait les deux hommes, la maison Morel faisant paraître plusieurs des ouvrages de l’architecte : Dictionnaire raisonné de l’architecture française (1854-1868), Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carolingienne à la Renaissance (1858-1873), Intervention de l’État dans l’enseignement des beaux-arts  (1864), Réponse à M. Vitet à propos de l’enseignement des arts du dessin (1864), Mémoire sur la défense de Paris (1871), L’Art Russe (1877) et La Cité de Carcassonne (1878).

 

          Car Viollet-le-Duc fut aussi un théoricien et, au-delà, un écrivain prolifique, qui écrivait à l’éditeur Desfossés, le 6 février 1870 : « Mon intention, avant la mort de Morel, était de me consacrer presque exclusivement aux publications d’art ». Les Entretiens paraissent après le Dictionnaire raisonné de l’architecture et en même temps que le Dictionnaire du mobilier, ses ouvrages les plus monumentaux, auxquels ils offrent un complément historique et théorique. Viollet-le-Duc y parle de l’architecture en architecte plus qu’en historien de l’architecture, lui qui revendique « n’appartenir à aucune école » (Simples aveux au lecteur, t. I, p. 17). Si l’ordre de ses Entretiens est au départ strictement chronologique, il y insère divers commentaires et parenthèses qui reflètent l’évolution de sa pensée et, peu à peu, prennent le pas sur le simple exposé historique. Ce qui commence comme un cours sur l’art et l’esthétique (Premier entretien, t. I, pp. 21-52) devient, au fil des pages, un plaidoyer pour une architecture raisonnée et raisonnable. On y lit notamment sa critique des institutions, sans doute anciennement ancrée en lui (à 17 ans, il écrivait déjà dans son journal « L’École est un moule à architectes ; ils en sortent tous presque semblables ») mais portée à vif par l’expérience avortée de l’enseignement. Il critique les doctrines architecturales professées à l’École des beaux-arts dont il avait lui-même refusé de suivre les cours, préférant se former auprès d’Achille Leclère (1785-1853) et par de nombreux voyages d’étude. Il dénonce les lacunes de l’enseignement académique, d’où l’architecture médiévale est absente. Il dresse le portrait d’architectes mal formés à leur futur métier, notamment sur les questions économiques et administratives. Il condamne un modèle de formation inadapté qui se perpétue : « Ainsi se transmet de génération en génération l’étouffoir fabriqué et entretenu soigneusement par l’Académie des beaux-arts de notre belle France (…) » (Treizième entretien, t. II, p. 164). Il énonce enfin certains principes qui, selon lui, devraient guider les jeunes architectes dans l’exercice de leur profession. Au cœur de sa réflexion, on trouve la défense du rationalisme en architecture et du principe de la fonction qui doit définir la forme. Ce n’est qu’à ce prix, pense-t-il, que le XIXe siècle découvrira le style qui lui sera propre (Dixième entretien, t. I, pp. 599-654). Mais il s’intéresse également à des aspects beaucoup plus pragmatiques et pratiques. La maîtrise des contraintes budgétaires et des critères économiques apparaît ainsi comme prévalente à ses yeux :

 

« (…) il n’en est pas ainsi lorsqu’il s’agit d’édifices publics, élevés à l’aide des ressources de l’État ou des communes. Alors l’administrateur, l’architecte même, sont responsables du bon emploi de ces deniers, et je ne crois pas que dans ce cas la responsabilité de l’administrateur puisse entièrement couvrir celle de l’architecte ; car celui-ci n’ignore pas l’origine des ressources dont il fait emploi ; il est citoyen avant d’être architecte, et par cela même, il est en droit de se refuser à faire des dépenses inutiles, de ne point céder à des caprices (…) » (Douzième entretien, t. II, p. 140)

 

 

          S’il ne se départ jamais de cet « amour pour un art qui a pris tous les instants de [sa] vie et n’a cessé d’être pour [lui] l’objet d’un culte » (Simples aveux au lecteur, t. I, p. 19), on ne peut s’empêcher de relever pourtant le hiatus entre ses théories et sa pratique d’architecte diocésain, restaurateur des monuments du passé, « gothique » diront ses adversaires. Mais les théories de Viollet-le-Duc, telles qu’exprimées dans cet ouvrage, influeront sur son disciple Anatole de Baudot (1834-1915) comme sur Émile Trélat (1821-1907), créateur de l’École Centrale d’Architecture (1865), et bien sûr sur son fils Eugène-Louis Viollet-le-Duc (1835-1890), fondateur de la Gazette des architectes et du bâtiment (1863).

 

          Les Entretiens sur l’architecture étaient, jusqu’à il y a peu, seulement disponibles dans une réédition en fac-similé, parue chez Mardaga (1977, plusieurs rééditions). On laissera de côté la réédition, en 2010, de ce texte par Nabu Press, un éditeur américain spécialisé dans les reprints et la vente par correspondance sur Internet, dont les ouvrages s’apparentent le plus souvent à de mauvaises photocopies. C’est donc que le texte de Viollet-le-Duc garde toute son actualité, malgré le temps écoulé, non pas tant pour l’érudition et le souci didactique qu’y démontre l’auteur que pour ses considérations théoriques. Il contribue aussi à renforcer l’image de Viollet-le-Duc comme architecte rationaliste, promoteur du métal et, à bien des titres, sorte de précurseur de l’Art Nouveau.

 

          Les Entretiens sont le second ouvrage de Viollet-le-Duc à être publié par les éditions Infolio, créées en 1999 et spécialisées dans l’architecture, l’histoire et l’archéologie. Ils avaient été précédés en 2008 par la réédition de son Histoire d’une maison, parue pour la première fois chez Hetzel en 1873. Il est tout à l’honneur de cette maison de sortir de la logique des fac-similés, mais cela doit s’accompagner d’un véritable effort en termes éditoriaux. Malheureusement, l’introduction aux Entretiens, courte et anonyme, n’est pas du niveau – excellent cette fois – de celle de Martin Bressani, de l’Université McGill de Montréal, à l’Histoire d’une maison, ouvrage qui se concluait en outre par une chronologie très complète de l’architecte. Il est également regrettable qu’aucun appareil critique ne vienne accompagner la lecture d’un texte qui mériterait pourtant un travail approfondi d’édition scientifique. On ne redira jamais assez que, à l’heure où de plus en plus d’ouvrages anciens sont librement disponibles sur Internet via Google Books ou Gallica (ce qui est le cas des Entretiens : http://www.archive.org/stream/entretienssurla00violgoog#page/n5/mode/2up), les éditeurs doivent chercher à apporter une plus-value scientifique et intellectuelle à leurs rééditions.

 

          Ceci posé, le format de poche est pratique et agréable et l’impression de très bonne qualité ; surtout le prix très bas rend l’ouvrage abordable pour un large public, notamment d’étudiants en histoire de l’art et en architecture, pour qui les livres d’art, essais, monographies et catalogues ne semblent dorénavant plus conçus. On ne peut que souhaiter voir bientôt, au catalogue des éditions Infolio, d’autres titres de Viollet-le-Duc, parmi les plus introuvables et, peut-être, d’autres architectes théoriciens. Il serait temps de rééditer, par exemple, certains écrits d’Anatole de Baudot, depuis longtemps indisponibles.