Van Mander, Karel: Principe et fondement de l’art noble et libre de la peinture
(traduit et présenté par Jan Willem Noldus). 220 p. Index. Bibliographie. ISBN-10 2-251-44359-2
ISBN-13 978-2-251-44359-1
Prix 23,00 €
(Société d’édition Les Belles Lettres, Paris 2009)
 
Compte rendu par Adriana van de Lindt, Université d’Utrecht - Université de Dijon
 
Nombre de mots : 1324 mots
Publié en ligne le 2009-04-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=679
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    Karel van Mander est né en 1548 à Meulebeke en Flandres. Fils de bonne famille, il est élève des peintres Lucas de Heere (1566-7) et Pieter Vlerick ; il semble pourtant s’occuper surtout, en bon rhétoriqueur, de poésie et de théâtre. Après un séjour en Italie (1573-1577), où il peint des décorations pour le comte de Terni, un arrêt à Vienne à la cour de l’empereur Rodolphe II, il retourne en Flandres en 1577, mais contraint de fuir les troubles religieux et politiques, ainsi que la peste, il s’établit en 1583 à Haarlem en Hollande, comme beaucoup de ses compatriotes. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il va exercer son métier de peintre et doit donc, à son grand regret, devenir membre de la guilde de Saint-Luc. Cette assimilation de la peinture à un artisanat lui déplaît fortement. Van Mander, éduqué dans une ambiance italienne, peint des tableaux d’histoire de style maniériste avec des personnages aux petites têtes, des corps élancés en des poses compliquées et variées, des paysages, et fait de nombreuses gravures. Il est très proche du graveur Hendrik Goltzius et du peintre Cornelis van Haarlem: ils se réunissent régulièrement pour dessiner « d’après la nature ». Il continue ses activités littéraires et, membre actif de la chambre de rhétorique flamande de Haarlem, il publie des recueils de poèmes, des traductions de Virgile, d’Homère et de Ronsard. Quand il mourra en 1606 à Amsterdam, il sera inhumé comme poète, couronné de lauriers.

    Quelques années auparavant, en 1604, il avait publié le Schilder-Boeck (le Livre de la Peinture), destiné aux jeunes peintres, aux amateurs d’art et aux mécènes. Le Schilder-Boeck consiste en plusieurs parties: un poème didactique (Den Grondt der Edel vry Schilder-const), suivi des biographies des peintres antiques, italiens et nordiques, ensuite une explication des Métamorphoses d’Ovide (Wtlegghingh) et un traité sur la manière dont les païens ont représenté leurs dieux (VVtbeeldinge der Figueren), le tout précédé d’un grand nombre de poèmes écrits, pour l’occasion, par des amis de Van Mander.

    Jan Willem Noldus a traduit ici le poème didactique sous le titre Principe et fondement de l’art noble et libre de la peinture. Les biographies des peintres nordiques ont été publiées  par la même maison d’édition en deux volumes en 2001 et 2002, dans la traduction ancienne de Henri Huysmans (1884-1885), et introduites puis annotées par Véronique Gérard-Powell. Au début du XXe siècle Den Grondt der Edel vry Schilder-const avait été traduit en allemand et annoté par Hoecker en 1916, et en 1973 le grand spécialiste de Karel van Mander, Hessel Miedema, rééditait l’édition de 1604 et donnait une version en néerlandais moderne avec un appareil critique exhaustif. Mais pendant très longtemps, l’attention des historiens restait focalisée sur les biographies des peintres.

    Le Schilder-Boeck a été extrêmement important pour la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Bien qu’il n’ait été réédité qu’une seule fois au XVIIe siècle en 1618 (augmenté d’une biographie de van Mander), - exception faite des explications des Métamorphoses, qui seront rééditées en 1643 (avec les VVtbeeldinge), 1658 et en 1662 -, il sera constamment proposé dans les catalogues de vente des bibliothèques et sera lu assidûment par les peintres. A la fin du XVIIe siècle, des écrivains sur l’art comme Samuel van Hoogstraten, Gérard de Lairesse, Joachim von Sandrart ou Willem Goeree, le citent encore avec approbation, tout en critiquant sévèrement les tableaux de Van Mander. Au tout début du XVIIIe siècle, Wybrand de Geest donne une édition en prose du poème didactique, en faisant quelques contresens, mais les théories de Van Mander perdent de leur influence et peintres et amateurs du XVIIIe siècle se tournent définitivement vers les auteurs français sur l’art.
    L’ensemble est destiné aux « peintres, amateurs d’art et poètes et tout autre type de personne », selon le frontispice. Dès les dédicaces du poème didactique, par l’éditeur et par l’auteur, avec les nombreuses références aux empereurs, rois, princes, amateurs d’art, aux généreux mécènes, « de l’antiquité à nos jours », il est clair que le Grondt est destiné à un large public d’amateurs, mécènes et peintres, ce qui est confirmé par une lecture du texte, bien que Van Mander s’adresse aux « jeunes peintres ». Le passage dans la Préface sur les rimes et les pieds de vers, les doubles voyelles, - développement que Noldus, à juste titre, n’a pas traduit car peu compréhensible pour le lecteur français -, le pose comme poète, s’adressant à un public lettré, plutôt qu’aux « jeunes peintres en herbe ». De même, les conseils à un jeune peintre que comporte le poème, sont mélangés à des topoi des rhétoriqueurs et aux digressions philosophiques comme mythologiques, et montrent une audience recherchée bien au-delà des seuls peintres. C’est un poème didactique comme l’Art poétique d’Horace ou les Géorgiques de Virgile, que Van Mander avait d’ailleurs lui-même traduit en néerlandais.

 

    Le poème est composé de quatorze chapitres de longueur inégale. Dans l’Exhortatio, ou premier chapitre, Karel van Mander démontre que la peinture fait partie des arts libéraux et insiste sur l’estime pour la peinture et les artistes, avec des exemples tirés de l’antiquité classique et de la cour de Rodolphe II. Il rappelle les peintres antiques et leur domaine d’excellence, parle de la spécialisation des peintres modernes et de l’importance de l’émulation. Il insiste beaucoup sur la nécessité pour le peintre de développer des qualités morales, ce qui deviendra une préoccupation constante pour les auteurs hollandais traitant de l’art après lui. En effet, Castiglione n’est pas loin. Après l’Exhortatio, le deuxième chapitre traite du dessin et trouve son pendant dans le chapitre XII, sur « le bien peindre et l’application des couleurs ». Au milieu, le chapitre VII qui aborde le soleil, symbole de Dieu, la lumière (l’invisible, la sagesse de Dieu, et la lumière visible, la réflexion). Entre ces trois chapitres centraux, que l’on retrouve entre autres chez Pomponius Gauricus, les chapitres III-VI concernent davantage le dessin, avec, notamment la figure humaine, les proportions, les attitudes et les passions, l’ordonnance et l’invention des histoires, tandis que les chapitres VII-XI abordent le paysage et les différents feuillages, les animaux et leurs pelages, la draperie et les plis. Ces aspects ne peuvent pas être appris, selon Van Mander, mais dépendent du talent du peintre. Les chapitres XII et XIV, qui traitent des couleurs et de leurs significations, prolongent le chapitre XII.

Jan Willem Noldus a donné la traduction du poème didactique, ainsi que la Préface de Van Mander, précédée d’une introduction qui permet de mieux situer l’auteur et le texte dans leur contexte historique, bien qu’on puisse regretter les remarques un peu trop rapides sur les guildes ou l’éducation du peintre. Il est dommage que Noldus n’ait pas insisté assez sur les sources de Van Mander : Alberti, Vitruve, Rivius, Plutarque, Mexia, Sannazaro, Vasari, L’Arioste (auquel il reprend la description du Vieillard et du Temple de la Renommée, I §37-40), Jean Cousin,  la Bible, ou Léonard, parmi d’autres.

    Le poème est écrit en huitains avec métrique et rimes (le plus souvent selon le schéma a-b-a-a-b-b-c-c). Jan Willem Noldus n’en donne ni une adaptation en prose, ni une traduction littéraire ou versifiée, mais choisit une traduction qui  reste au plus près de l’esprit et de la forme du texte d’origine, en gardant le découpage en strophes, tout en rendant la langue d’origine en un français compréhensible et clair, même si, comme toujours, on pourrait discuter de la pertinence de la traduction de certains mots. Ainsi, les adjectif « puur » (III §1a, « pure ») et « geschikt » (IV §29a, « bien disposé ») ont été traduits par « belle » ; dans V §82b, « Academien » est un mot au singulier plutôt qu’un pluriel ; « sonderlinghe Schilder » (IX §2g) est davantage un peintre « exceptionnel », « excellent » que « véritable », pour lequel l’expression « ware schilder » existe.

    Mais ces remarques n’enlèvent rien au mérite de ce travail qui offre au public français une excellente traduction d’un texte méconnu, qui fut aussi le premier traité théorique sur l’art publié en dehors de l’Italie, et d’une grande importance pour l’art des Pays-Bas du XVIIe siècle.