Toscano, Gennaro - Volle, Nathalie (dir.): Les grands chantiers de restauration en Europe, Actes du colloque organisé par l’INP les 28 et 29 juin 2007, en partenariat avec le C2RMF, le LRMH et le CRCC, 35 euros (Co-édition Inp / Somogy, Paris 2009)
Compte rendu par Alix Barbet
Nombre de mots : 2596 mots Publié en ligne le 2009-08-27 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=683 Lien pour commander ce livre
Le mot « grands » attire tout de suite l’attention : s’agit-il de
grands chantiers par la taille ou par l’importance des artistes qui y
ont travaillé ? Souvent les deux, mais parfois aussi par la longueur et
la complexité de l’intervention, le nombre des équipes en jeu, ou parce
qu’il s’agit d’un symbole historique. Ces chantiers en Europe
sont présentés selon quatre rubriques, le bâti, les sites
archéologiques, les fresques et les grandes collections, qui concernent
effectivement un certain nombre de pays européens : 2 en Allemagne, en
Belgique et en Espagne, mais 3 en Italie et en France et 1 en Autriche,
en Hongrie et à Chypre.
À part le site archéologique de Baïes d’époque romaine, il s’agit
d’ensembles plus tardifs, édifiés pour les plus anciens au XIIe siècle,
et souvent remaniés au cours des siècles, et des collections accumulées
jusqu’à l’époque contemporaine. Les sigles des partenaires de cette
manifestation représentent l’Institut National du Patrimoine (INP), Le
Laboratoire de Recherche et de Restauration des Musées de France
(C2RMF), le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH)
et le Centre de Recherche sur la Conservation des Collections (CRCC).
Cette diversité d’institutions explique la diversité des domaines des
travaux de restauration exposés.
Chaque contribution comprend une approche historique et un exposé des
divers problèmes de restauration à résoudre. Souvent, en marge, les
notes renvoient à des ouvrages sur la question qui permettent d’aller
plus loin. Chaque ensemble est richement illustré d’excellents clichés
en couleur avec états comparatifs avant, parfois pendant, et après les
interventions.
On apprécie le style clair et concret de cette revue de quinze sites,
pour lesquels, au fil des pages, on relève les questions qui se sont
posées et comment elles ont été résolues selon une déontologie admise
par tous (la Charte de Venise), mais qui exige des concertations
fréquentes entre les divers spécialistes appelés au chevet des
monuments en péril.
À Berlin, au Kaiser-Friedrich-Museum (B. Buczynski, p. 16-23),
l’incorporation d‘éléments d’architecture de la Renaissance dans sa
construction au début du XXe siècle a posé le problème du mélange de
l’authentique et de la copie, solution choisie en restituant l’état
d’origine qui avait été supprimé au cours du temps. Ainsi la salle
Tiepolo, dont les peintures de la voûte proviennent d’une villa de
Trévise, ont été remises en place, mais complétées par des stucs
refaits à neuf en s’aidant de photos anciennes. C’est ce que les
Allemands appellent « l’art total » (Gesamtkunstwerk), notion utilisée
aussi à Dresde.
À Liège, pour l’église Saint Barthélémy (J. Barlet, p. 24-31), les
recherches en archives et les fouilles archéologiques en sous-sol ont
apporté des avancées importantes pour la connaissance du monument. Un
comité pluridisciplinaire mis en place a abouti à des décisions utiles.
Les analyses des stucs en laboratoire ont permis de restituer les
couleurs d’origine et les sondages effectués de retrouver les anciennes
modénatures romanes cachées sous les stucs baroques qui ont été
laissées visibles à certains endroits, par souci « didactique ».
La reconstruction de Dresde après 1945 (R. Pohlack, p. 32-45) fait la
part belle à l’aspect émotionnel de cette résurrection grâce à la lutte
des habitants pratiquant le « squat » pour sauver vingt-quatre
monuments menacés par des reconstructions à la soviétique. Généralement
seule l’enveloppe externe a été conservée et complétée, et les
aménagements intérieurs sont modernes. Dans un seul cas, le
maître-autel de la Frauenkirche a été reconstitué à partir d’importants
fragments qui subsistaient, quelque 2 000 morceaux réintégrés, mais qui
ne sont pas distincts du fond refait, à l’inverse de l’école italienne
qui généralement distingue clairement le vrai du faux, comme pour les
fresques de Cimabue à Assise (cf. infra). L’image d’ensemble de la
ville et de ses principaux monuments, dite vue de Canaletto, a été
rétablie et la comparaison avec une vue ancienne est saisissante.
Malheureusement, le classement UNESCO récemment accordé a été remis en
question par un pont moderne qui vient d’être décidé et qui écornera
cet ensemble paysager et la vallée de l’Elbe à Dresde a été retirée de
la liste du patrimoine mondial le 25 juin 2009.
On retrouve le même problème de restitution de décors baroques à la
chapelle Saint Marcou à Notre-Dame du Sablon à Bruxelles (M.
Serck-Dewaide, p. 46-53), dont les faux marbres de la coupole ont été
rénovés de façon spectaculaire.
À Notre-Dame de Budapest (L. Farbaky-Deklava, p. 54-61), comme dans
beaucoup d’édifices religieux, les restaurations successives ont rendu
complexe la restitution du monument dans ses différentes phases
médiévales, noyées dans le baroque et les reprises des deux derniers
siècles.
Le problème était moins complexe pour la place Stanislas à Nancy (P.-Y.
Caillault, p. 62-65, D. Grandjean, p. 66-71), dont l’abondante
documentation a permis la restauration en restituant le bombement
caractéristique du pavage pour mettre en valeur, au point culminant
central, la statue de Stanislas qui a remplacé en 1831 celle de Louis
XV, détruite à la Révolution.
Les bains ottomans du XVIe siècle d’Omeriye à Nicosie (A. Papadopoulou,
p. 76-79) ont retrouvé leur authenticité avec des interventions
minimales réversibles et ont gardé leur rôle de hammam.
Le cas du site archéologique de Baïes, dans la baie de Naples (R.
Petriaggi, p. 80-85), est particulièrement original. Il a obligé à
tester de nouveaux matériaux sous l’eau, avec de nombreux tests
techniques et l’invention de machines appropriées. Le problème des
organismes marins qui continuent à ronger les structures, les essais
divers de mortiers, les coffrages mobiles, tout cela semble encore
expérimental. La possibilité de visiter le site de la villa des Pisons,
la voie romaine et les mosaïques, submergés par le phénomène du
bradysisme est donc à suivre.
Le chantier de la chapelle Sixtine au Vatican (G. Colalucci, p. 90-99),
énorme par son ampleur, son importance artistique et la durée des
travaux, est évidemment spectaculaire. Sous le voile épais et sombre de
poussières, de noir de fumée, de colle animale et de gomme arabique, la
fresque de Michel Ange est pratiquement intacte avec des couleurs très
vives qui ont fait polémique auprès de certains « conservateurs ». Les
figures, nues, superbes avaient reçu des repeints de censure ; seuls
ceux du Cinquecento ont été conservés, car historiques et liés à la
Contre-Réforme et au concile de Trente.
Le chantier tout aussi énorme de l’église supérieure de la basilique
Saint François à Assise (G. Basile, L. Rissotto, p. 100-109), dont
180m2 étaient tombés des voûtes lors du séisme de 1997, est une
entreprise qui laisse un goût amer. 300 000 fragments remis en
place, les huit saints ont été recomposés, mais seuls les fragments
jointifs ont été retenus et les fragments monochromes laissés de côté.
De ce fait, le choix d’une réintégration colorée pour le fond en
laissant les fragments originaux saillants, crée un effet de confetti
en raison d’une lumière naturelle latérale qui nuit à la lecture et
crée une dramatisation discutable. La question d’ailleurs a été posée
de savoir s’il ne fallait pas exposer en musée ces recompositions si
mutilées, plutôt que de les remettre en place. L’utilisation massive de
photogrammes à l’échelle 1/1, de réassemblages informatiques s’est
heurtée au gigantisme des panneaux et cette nouvelle technique n’a pu
être exploitée autant qu’on l’aurait souhaité.
Les deux chantiers français du XVIIe siècle, la galerie d’Apollon au
Louvre et la galerie des Glaces à Versailles (N. Volle, p. 110-119),
œuvres des mêmes équipes dirigées par Lebrun, et prises en main par les
mêmes équipes pour la restauration, permet un face-à-face intéressant.
L’importance de l’étude préalable, du conseil scientifique doublé d’un
comité de suivi à Versailles, ont permis de rechercher les meilleurs
compromis entre conservation et restitution, avec un croisement des
informations tirées des archives, des analyses, des observations des
restaurateurs qui sont désormais les trois piliers de toute entreprise
de restauration.
La Galerie des Glaces a suscité deux autres communications du fait de
sa complexité (F. Didier, p. 120-127 ; C. Pasquali Vidler, V.
Sorano Stedman, p. 128-135). Les différentes phases des restaurations
accomplies durant trois siècles ont pu être disséquées et même les
repentirs de l’équipe de Lebrun, qui ont consisté à supprimer certains
personnages pour aérer la composition, mis en lumière. La galerie, 1000
m2 de voûte de peintures marouflées ou sur enduit, devait rester
accessible aux touristes et aux visites de chantier et cette
opportunité a été très appréciée du public. Parmi les décisions
importantes il y avait celle de conserver les peintures du XIXe siècle
quand celles d’origine étaient trop ruinées. Un rééquilibrage entre
XVIIe et XIXe a été ménagé pour éviter toute discordance, en
choisissant des interventions minimalistes, un compromis arbitré par le
conseil scientifique et le comité de suivi, structures désormais
incontournables pour ce genre de chantier. L’éclairage revu selon des
normes de sécurité ont été aussi conçues pour mettre en valeur le décor
sans le dénaturer. Bref, le dialogue entre architecture, peintures et
sculpture a été parfaitement coordonné par les entreprises et les
nombreux spécialistes des disciplines concernées.
À Valence, la basilique Nuestra Señora de los Desamparados en Espagne
(P. Roig Picazo, p. 136-147) présente une coupole peinte par Palomino,
dont la technique à fresque mixte, avec emploi de plâtre et de peinture
à la chaux a révélé pas moins de 88 journées de travail de l’artiste
qui travaillait par gros empâtements. Les dégâts habituels relevés,
dont le noircissement de la fumée des cierges au-dessus de l’autel, un
facteur constant, mais aussi la porosité de l’enduit ont obligé à
utiliser des abrasifs et des solvants particuliers pour que les crasses
accumulées, une fois dissoutes, ne soient pas absorbées par le
substrat. La réintégration chromatique des lacunes bien délimitées
après l’enlèvement des repeints anciens inappropriés, a été préparée
par informatique : les images numérisées ont reçu une réintégration
virtuelle. Puis a été appliquée une réintégration par décomposition de
la couleur ou fragmentation par traits colorés pour identifier
l’original des repeints nouveaux ; elle a été calculée en fonction de
la distance, soit 20 mètres du sol pour les visiteurs.
Les collections du musée du Quai Branly à Paris (C. Naffah, p. 152-159)
résultent de la fusion des collections du musée de l’Homme, de celles
du musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie et de celles du
Muséum d’Histoire Naturelle, dont les cultures muséales différaient. Un
logiciel de gestion des collections a été utilisé pour établir une
cohérence indispensable et le comité d’évaluation a joué là aussi un
grand rôle. À noter l’importance de l’unité de décontamination
biologique pour tous les objets de nature organique, cuirs, peaux,
plumes, fibres végétales, ivoire, corne, bois, etc. L’équipe
pluridisciplinaire et pluriculturelle a dû traiter pas moins de 300 000
pièces, y compris celles placées en réserve, qui ont été rendues
visibles par le réseau Internet du nouveau musée. L’accessibilité des
réserves par ce biais est une nouveauté remarquable pour tous ceux qui
seront amenés à les consulter.
Les tapisseries espagnoles (C. Herrero Carretero, p. 160-165),
essentiellement des XVIe et XVIIIe siècles, dont la suite des « Los
Honores » de Charles Quint, sont en cours de mise en valeur dans un
musée rénové.
Quant aux salles d’apparat des Habsbourg du palais de l’Albertina à
Vienne (C. Benedik, p. 166-173), son changement de statut a permis la
renaissance de ce musée dédié aux arts graphiques, qui est passé de 140
m2 à 3 800 m2 de surface d’exposition. Le mobilier emporté par
l’archiduc après l’effondrement de l’empire austro-hongrois en 1919 et
la négation de l’histoire après la défaite de 1940 ont entraîné de
nombreux dommages. Par chance les salles d’apparat servaient de
réserves à la bibliothèque et, bien que défigurées, ont pu être
réhabilitées. La restauration des statues et des planchers marquetés
confiée à des artisans de bon niveau s’est faite avec une fidélité
maximale à l’état d’origine, tandis que la restitution des tentures et
des papiers peints a nécessité des recherches minutieuses en archives
pour retrouver les modèles et en faire des copies acceptables.
La conclusion, confiée à J.-P. Changeux (p. 178-181), envisage le rôle
possible de la neuroscience dans le domaine de l’art. Les fonctions
cérébrales sont désormais accessibles à l’examen scientifique. Si les
experts qui utilisent la subjectivité de leur œil s’appuient également
sur l’objectivité des analyses, celles-ci devraient encore se
développer. C’est ainsi que des recherches d’ADN ont été menées pour
identifier des peintres ; l’expérience a été menée sur Léonard de Vinci
dont on sait qu’il utilisait volontiers ses doigts pour appliquer la
couleur. Enfin, l’informatique prendra de plus en plus de place. Par
exemple, il est possible de décomposer une œuvre et de retrouver les
gestes de l’artiste grâce aux techniques automatiques de traitement de
l’image, qui livrent des régularités statistiques. Est-ce réellement un
défi pour les restaurateurs, comme l’envisage J.-P. Changeux ? Mais
ceux-ci ne cherchent pas à copier, à falsifier comme les faussaires.
Pour résumer, ce livre constitue un témoignage précieux pour les
chantiers les plus importants de restauration de cette dernière
décennie ; c’est une belle vitrine qui donne une idée des tendances
dans ce domaine dans différents pays européens. On regrettera cependant
que l’aspect proprement dit de colloque, c’est-à-dire de discussions
entre spécialistes, n’apparaisse par du tout, discussions qui ont dû
être inévitables, nous l’espérons, pour remettre en question et
chercher encore à améliorer des pratiques qui tendent à s’unifier.
Ainsi, le point fondamental de la Charte de Venise qui stipule que «
toute restauration doit s’arrêter là où commence l’hypothèse » n’a sans
doute pas été respecté dans tous les cas, en raison de situations
critiques qu’il aurait été intéressant de porter au débat et que l’on
entrevoit à travers ces communications.
Préface
11 - G. Gallot.
Reconstruction ou restauration du bâti
16 - B. Buczynski, Le projet de restauration du Bodemuseum.
24 - J. Barlet, Les restaurations de l’église Saint-Barthélémy à Liège.
32 - R. Pohlack, La reconstruction de Dresde après 1945, ou
l’histoire d’une beauté inachevée.
46 - M. Serck-Dewalde, Préétude et restauration de l’église
gothique Notre-Dame du Sablon à Bruxelles et de sa chapelle baroque dédiée à
saint Marcou.
54 - L. Farbaky-Deklava, L’église Notre-Dame de Budapest, ou la
restauration d’une « restauration ».
62 - P.-Y. Caillault, La place Stanislas à Nancy.
66 - D. Grandjean, La renaissance d’une place royale.
Sites archéologiques
76 - A. Papadopoulou, Les bains
ottomans d’Omeriye à Nicosie. Restauration et réaffectation.
80 - R. Petriaggi, Restaurer sous l’eau : le cas de Baïes (Naples).
Fresques et grands décors
90 - G. Colalucci, Considérations sur les fresques de
Michel-Ange à la lumière de la restauration de la chapelle Sixtine.
100 - G. Basile et L. Rissotto, La restauration des peintures murales dans
l’église supérieure de la basilique Saint-François à Assise.
110 - N. Volle, Galerie d’Apollon et galerie des Glaces.
Méthodologie d’un chantier de restauration d’un grand décor monumental.
120 - F. Didier, Le chantier de restauration de la galerie
des Glaces à Versailles : contexte, problématiques et interventions.
128 - C. Pasquali Vidler et V.
Sorano Stedman, La voûte de la galerie
des Glaces au château de Versailles et la restauration des grands décors
monumentaux : une discipline à part entière.
136 - P. Roig Picazo, La restauration des fresques de la coupole
de la basilique Nuestra Señora de los Desemparados de Valence.
Grandes collections
152 - C. Naffah, Le chantier des collections du musée du quai
Branly.
160 - C. Herrero Carretero, Les tapisseries de la suite Los Honores de Charles Quint et les musées de
tapisseries du Patrimonio Nacional d’Espagne.
166 - C. Benedki, Les salles d’apparat des Habsbourg dans le
palais de l’Albertina : et le cadre historique retrouvé de la collection
d’arts graphiques.
Conclusion
178 - J.-P. Changeux, Histoire de l’art et restauration : réflexions d’un neurobiologiste.
Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris Site conçu par Lorenz Baumer et François Queyrel et réalisé par Lorenz Baumer, 2006/7