Berrendonner, Clara - Cébeillac-Gervasoni, Mireille - Lamoine, Laurent (dir.): Le quotidien municipal dans l’Occident romain
366 pages, 17 x 24 cm
ISBN 978-2-84516-385-0
(Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal 2008)
 
Compte rendu par Catherine Saliou, Université Paris VIII
 
Nombre de mots : 2123 mots
Publié en ligne le 2009-08-11
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=690
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          On décrit souvent l’empire romain comme une « mosaïque de cités », et l’on signale toujours dans les bibliographies que la synthèse de W. Liebenam, publiée en 1900 sous le titre Städteverwaltung im römischen Kaiserreiche, n’a pas été remplacée. Il faut donc se réjouir de ce que depuis 2002 un groupe de travail international, réuni autour de Mireille Cébeillac-Gervasoni et fort d’une soixantaine de membres, se soit attelé à l’étude systématique du fonctionnement des institutions municipales dans l’Occident romain jusqu’à la fin du Haut Empire. Les premiers résultats de cette entreprise ont été publiés sous forme de dossiers dans les MEFRA et les Cahiers du Centre Glotz. Le travail collectif s’est poursuivi dans le cadre d’un colloque sur « le quotidien municipal dans l’Occident romain », organisé en octobre 2007 à Clermont-Ferrand. D’autres réunions et publications sont prévues et de nouveaux projets se développent à partir du programme initial. Les actes du colloque de 2007 ont été publiés avec diligence par les soins de Clara Berrendoner, Mireille Cébeillac-Gervasoni et Laurent Lamoine aux presses de l’Université de Clermont-Ferrand, sous la forme d’un bel ouvrage regroupant quarante-deux communications, fort heureusement numérotées en chapitres, et une conclusion d’Elio La Cascio. La chronique des travaux et discussions qui suit la conclusion est rendue dans quelques cas inutile par la réécriture de certaines contributions après l’exposé oral. Un index onomastique et un index géographique ont été établis par les éditeurs. Devant l’abondance et même le foisonnement de la matière, on peut regretter l’absence d’un index des mots latins et d’un index thématique, qui auraient facilité une lecture croisée des diverses contributions.

 


          À de très rares exceptions près, toutes les contributions rassemblées dans ce volume sont fondées sur une documentation essentiellement épigraphique. Or, faire graver une inscription est un acte qui n’est ni routinier ni anodin : comment faire l’histoire du quotidien à partir d’une documentation qui relève, quant à elle, de l’exceptionnel ? Ce paradoxe est souligné à plusieurs reprises. L’étude attentive et rigoureuse du vocabulaire et du formulaire constitue une des solutions proposées et la fécondité d’une telle étude est démontrée par plusieurs contributions. En effet le formulaire est l’élément routinier d’une inscription. Repérer un changement de formulaire et en rendre raison, c’est donc s’engager dans une histoire de la routine, c’est-à-dire du quotidien. L’étude de la répartition spatiale des inscriptions permet aussi de mieux comprendre comment l’acte exceptionnel que constitue la gravure d’un texte ou l’érection d’une statue s’inscrit dans l’espace quotidien de la vie civique et citadine. Une étude du quotidien municipal est donc bien réellement possible. C’est la démonstration d’ensemble de ce gros livre.

 

          L’ouvrage s’organise en quatre parties.

          La première partie accueille une série d’enquêtes régionales, consacrées à l’Italie (regio V ; regio X), à la Sicile et à la Bretagne, aux provinces danubiennes (Sarmizegetusa), à l’Afrique (Cuicul en Numidie ; Maurétanie Tingitane).

          La deuxième partie, intitulée « de la pratique institutionnelle : des regards diachroniques », regroupe des contributions qui ont en commun de ne pas concerner l’univers municipal romain, mais les réunions politiques des Gaulois et les groupes de parenté en Espagne celtibère avant et après la conquête, les inscriptions osques mentionnant des quattuoruiri à Pompéi, et enfin l’administration locale au Moyen Âge en milieu urbain.

          La troisième et la quatrième partie, beaucoup plus fournies, sont consacrées à l’administration et à la gestion des cités et aux relations entre la cité et « les autres ». Le vocabulaire institutionnel fait l’objet de deux études, l’une consacrée à l’expression res publica, l’autre au vocabulaire utilisé dans les inscriptions honorifiques de Tripolitaine (ch. 13-14). L’intervention des simples citoyens dans la vie municipale, abordée dans plusieurs contributions, constitue le thème central d’une étude des comices électoraux (ch. 20). Le conseil de la cité joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’organisme municipal. Plusieurs contributions sont donc consacrées aux activités de ce conseil, sous la forme d’une synthèse régionale sur les curies en Lusitanie (ch. 17), d’une enquête sur l’activité des décurions à Ostie (ch. 18), d’études portant sur la gestion de l’espace des sanctuaires et des lieux de sépulture en Italie (ch. 19 et 42), et sur la construction des arcs monumentaux en Afrique (ch. 38). Les acteurs et le personnel de la vie municipale sont étudiés dans plusieurs contributions, traitant des magistrats municipaux dans les colonies romaines d’Achaïe (ch. 16), mais aussi des apparitores, indispensables auxiliaires des magistrats, et des esclaves publics actores, c’est-à-dire agents mandataires, représentant la cité dans diverses transactions (ch. 26-27). La publication d’une inscription inédite de Bari introduit une réflexion sur l’approvisionnement municipal (ch. 23). Les différents domaines de compétence et d’intervention des organismes municipaux sont inventoriés à partir de la documentation épigraphique de la regio IV en Italie (ch. 15). Le financement de la vie municipale, qui a fait l’objet il y a quelques années d’un colloque fameux (Il Capitolo delle entrate nelle finanze municipali in Occidente ed in Oriente, Rome, 1999), est loin d’être un sujet épuisé, comme le montrent les contributions consacrées aux souscriptions publiques en Italie (ch. 21), à l’ager publicus municipalis dans le Picenum (ch. 28), à la gestion de l’eau comme source de revenus pour la cité (ch. 24, suivi d’une contribution sur la propriété et la gestion de l’eau dans la France moderne), ou encore à l’évergétisme en Albanie (ch. 29) et à Carthage (ch. 31). Les relations entre la vie de la cité et la vie économique sont examinées dans deux contributions portant respectivement sur la mise en œuvre des constructions publiques, l’aménagement des marchés et le contrôle du commerce en Afrique romaine (ch. 22), et sur l’évolution des locaux des collèges d’artisans à Ostie sous les Antonins et les Sévères (ch. 32). Les curatores rei publicae, qui sont extérieurs à la cité, mais peuvent y jouer un rôle important, font l’objet de deux études, limitées toutes deux à l’Italie : une mise à jour de la synthèse parue en 1980 dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II, 13 (ch. 33) et une réflexion sur les relations entre l’exercice de la curatelle d’une cité et l’établissement d’un lien de patronat avec cette dernière (ch. 34).  

 

          Nombre des contributions qui viennent d’être énumérées sont fondées au moins en partie sur des inscriptions honorifiques. La question des honneurs publics est l’objet essentiel des autres contributions : l’étude du vocabulaire des éloges justifiant les honneurs dans les inscriptions de cités italiennes permet de proposer une comparaison entre vertus impériales et vertus civiques (ch. 35) et de mettre en évidence l’importance du prestige conféré par ces éloges (ch. 39) ; l’honneur particulier que constitue l’octroi des ornements décurionaux fait l’objet d’une étude spécifique, centrée sur l’Italie (ch. 41) ; l’exemple du site de Baelo Claudia en Bétique fournit le point de départ d’une réflexion sur la place des statues dans les espaces publics des villes de la péninsule ibérique (ch. 37) ; deux contributions concernent l’une les honneurs publics décernés aux femmes en Bétique (ch. 30), l’autre les statues honorifiques féminines érigées à titre public en Italie (ch. 40). L’extraordinaire richesse de la documentation épigraphique brassée dans l’ensemble des contributions ne doit pas faire oublier ses disparités, soulignées dans une intervention consacrée à la rareté des inscriptions relatives à la vie municipale de Milan et de Côme (ch. 36).

 

        Les différentes régions de l’occident romain sont très inégalement représentées : la documentation italienne est privilégiée, avec 19 contributions ; 6 chapitres sont consacrés à l’Afrique, 4 à la péninsule ibérique ; l’Achaïe et les mondes danubien et balkanique ne sont abordés que dans le cadre d’études isolées ; une contribution tente une comparaison entre la Sicile et la Bretagne ; la Gaule enfin n’apparaît que dans la deuxième partie. Ce déséquilibre est probablement dû au souci des organisateurs d’éviter toute redite par rapport aux publications des tables rondes antérieures. C’est dire que l’on a bien affaire, avec ce volume, aux actes d’un colloque que l’on serait tenté de qualifier de « comme les autres », et non à une synthèse, ni même à un bilan d’étape du projet. Certaines communications sont fondées sur des dépouillements visiblement effectués selon une grille d’interrogation très précise, à tel point que l’on se demande parfois dans quelle mesure les postulats qui ont conduit à l’élaboration de cette grille n’influent pas sur les résultats de la recherche.

 

          Une annexe précisant la méthodologie mise en œuvre lors des dépouillements aurait été utile au lecteur en lui permettant de mieux comprendre la démarche du projet et de mieux apprécier l’apport des différentes contributions, dont chacune mériterait une analyse détaillée. Dans son ensemble, l’ouvrage démontre la fécondité de l’approche adoptée comme la diversité et l’importance des enjeux de l’histoire du quotidien municipal : relations entre les institutions municipales et le modèle romain, entre les institutions et la société municipale, mais aussi entre le quotidien institutionnel et l’histoire événementielle. On attend donc avec impatience les actes des rencontres ultérieures et on espère une synthèse finale.

 

 

Sommaire :

 

1. Introduction : Une étape fondamentale dans le Programme EMIRE et une fenêtre ouverte sur l’avenir, p. 11-15.

 

I. Des enquêtes régionales

2.  Gina Bandelli, Monica Chiabà — Le amministrazioni locali nella Transpadana orientale dalla Repubblica all’Impero. Bilancio conclusivo, p. 19-36.

3.  Silvia Maria Marengo, Simona Antolini et Fabiola Branchesi — Il quotidiano amministrativo nella V Regio Italiae, p. 37-52.

4. Gian Luca Gregori — Il funzionamento delle amministrazioni locali a Brixia e nella res publica Camunnorum, p. 53-65.

5. Jonathan R. W. Prag — Sicilia and Britannia : Epigraphic Evidence for Civic Administration, p. 67-81.

6. Benoît Rossignol — Les cités des provinces danubiennes de l’Occident romain : vue cavalière depuis Sarmizegetusa, p. 83-101.

7. Claude Briand-Ponsart — Pratiques et institutions municipales à Cuicul (Djemila), cité de Numidie, p. 103-119.

8. Sabine Lefebvre — Le quotidien institutionnel en Maurétanie Tingitane, p. 121-126.

 

II. De la pratique institutionnelle : des regards diachroniques

9. Enrique García Riaza, Laurent Lamoine — Les réunions politiques des Gaulois (1er siècle av. J.-C.- 1er siècle ap. J.-C.), p. 129-146.

10. Jean-Luc Fray — Administration locale au Moyen Âge en milieu urbain, France et Saint-Empire. Quelques observations, p. 147-154.

11. Manuel Ramirez Sánchez — Parentesco y autorrepresentación en las ciudades de la Hispania indoeuropea, p. 155-169.

12. Michael H. Crawford — The IIIIuiri of Pompei, p. 171-181.

 

III. Administration et gestion

 

III-1. Les pratiques administratives

13. Emmanuel Lyasse — L’utilisation des termes res publica dans le quotidien institutionnel des cités. Vocabulaire politique romain et réalités locales, p. 187-202.

14. Khaled Marmouri — Pratiques institutionnelles et choix de vocabulaire à travers l’épigraphie de Tripolitaine : l’exemple de Gigthis et de Lepcis Magna (1er- 4e siècles), p. 203-218.

15. Simonetta Segenni — Aspetti e problemi della prassi amministrativa nella regio IV, p. 219-231.

16. Athanase D. Rizakis, Francesco Camia — Magistrati municipali e svolgimento delle carriere nelle colonie romane della provincia d’Acaia, p. 233-245.

17. Ma Luisa Sánchez León — Las curias municipales en Lusitania durante el Alto Imperio, p. 247-260.

18. Maria Letizia Caldelli — L’attività del decurioni ad Ostia; funzioni e spazi, p. 261-286.

19. Maria Grazia Granino cecere, Giovanni Mennella — Le iscrizioni sacre con la formula LDDD e la gestione dello spazio santuariale da parte delle comunità cittadine in Italia, p. 287-300.

20. Juan Francisco Rodríguez Neila — Los comitia municipales y la experiencia institucional romana, p. 301-315.

 

III-2. Pecunia communis, gestion des biens de la cité et personnel administratif

21. Clara Berrendonner — Ex aere conlato. Souscriptions publiques et collectes dans les cités de l’Italie romaine, p. 319-332.

22. Nicolas Tran — Les cités et le monde du travail urbain en Afrique romaine, p. 333-348.

23.  Marina Silvestrini — L’epigrafe in onore dell’augustale Lucio Gellio Primigenio, p. 349-364.

24. Raffaella Biundo — Aqua publica : propriété et gestion de l’eau dans l’économie des cités de l’Empire, p. 365-377.

25. Patrick Fournier — Entre privé et public : propriété et gestion de l’eau dans l’économie des villes de la France moderne, p. 379-389.

26. Jean-Michel David — Les apparitores municipaux, p. 391-403.

27. Françoise Sudi-Guiral — Les servi publici actores des cités, p. 405-417.

28. Fabiola Branchesi — L’ager publicus p.R. e l’ager publicus municipalis nel Piceno, p. 419-430.

29. Elisabeth Deniaux — Travaux publics et évergétisme en Albanie à l’époque romaine, p. 431-441.

30. Enrique Melchor Gil — Mujer y honores públicos en las ciudades de la Bética, p. 443-457.

31. Federico Santangelo — Le quotidien d’une cité exceptionnelle : élites et évergétisme dans la Carthage romaine, p. 459-471.

 

IV. La cité et les autres

 

IV-1. Les autorités de la cité et les autres

32. Fausto Zevi — I collegi di Ostia e le loro sedi associative tra Antonini e Severi, p. 477-505.

33. Giuseppe Camodeca — I curatores rei publicae in Italia: note di aggiornamento, p. 507-521.

34. Michel Christol — Les cités et les "autorités" publiques : curatelle et patronat. Le cas des Sénateurs en Italie, p. 523-544.

35. Aki Nakagawa — Le virtutes del principe, le virtutes dei notabili locali, p. 545-557.

36. Antonio Sartori — Il dossier romano insubre: notabili reticenti?, p. 559-566.

 

IV-2. Octroi des honneurs et espaces de représentation à l’intérieur de la cité

37. Patrick Le Roux — Dans les centres monumentaux des cités de la péninsule ibérique au Haut-Empire : à propos de statues, p. 569-594.

38. Caroline Blonce — Le rôle des administrations municipales dans l’érection des arcs monumentaux en Afrique (de la Tingitane à la Tripolitaine) du 1er au 4e siècle ap. J.-C., p. 595-623.

39. Antonio Pistellato — Le vocabulaire du prestige social dans la pratique administrative municipale en Italie, p. 625-639.

40. Marcella Chelotti, Afredo Buonopane — La stola, ma non il silenzio. Statue pubbliche per donne nell’Italia romana. Un’indagine preliminare, p. 641-659.

41. Gian Luca Gregori — Huic ordo decurionum ornamenta… decrevit. Forme pubbliche di riconoscimento del successo personale nell’Italia romana, p. 661-685.

42. Ilaria Milano, valentina Pistarino — Le iscrizioni sepolcrali con una formula LDDD in Italia, p. 687-713.

 

V. Synthèse et chronique des travaux

43. Elio Lo Cascio — Conclusioni, p. 717-725.

44. Mireille Cébeillac-Gervasoni, Laurent Lamoine — Chronique des travaux et discussions, p. 727-754.

 

VI. Indices

• Index onomastique antique et moderne, p. 757-779.

• Index géographique, p. 781-800.