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Compte rendu par Vincent Jolivet, Centre national de la recherche scientifique, Paris Nombre de mots : 2419 mots Publié en ligne le 2009-11-28 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=699 Lien pour commander ce livre Il est des titres qui véhiculent des thèses. Ainsi “La colonisation étrusque en Italie” qui constitue les actes du XVe
colloque international d’études sur l’histoire et l’archéologie de l’Étrurie,
qui s’est tenu à Orvieto en novembre 2007. Ce titre affirme d’emblée
un phénomène dont la portée et la réalité même posent problème, comme le
soulignent, du reste, la plupart des chercheurs qui y ont participé. Après les
présentations du président de la fondation Claudio Faina d’Orvieto, Isidoro
Galluccio, et du président de son comité scientifique, Giovanni Pugliese
Carratelli (p. 5-7), ce sont quatorze auteurs qui, en fonction d’optiques très
diverses, se sont penchés sur cette question. L’ordre de présentation des
contributions n’étant dans ce volume ni alphabétique, ni thématique, nous les
regrouperons ici en fonction de quatre principaux thèmes : considérations
générales sur le phénomène ; situation en Étrurie à l’époque de la
colonisation ; présence étrusque en Italie du Nord ; présence
étrusque en Italie du Sud.
La colonisation étrusque
C’est à Giovannangelo Camporeale (p. 9-38) qu’il revenait, avec sa clarté d’exposition coutumière, de faire le point sur les “aspects et problèmes” de la colonisation étrusque. Il souligne d’abord qu’elle ne peut en aucun cas être antérieure à la constitution de l’ethnos étrusque et à la délimitation des frontières historiques de l’Étrurie, au IXe siècle av. J.-C., même si elle a pu relever, dans certains cas, de l’action d’une cité déterminée. L’auteur, qui a dirigé un ouvrage de synthèse récent sur cette question (AA.VV., Gli Etruschi fuori d’Etruria, Los Angeles, 2001), invite à distinguer entre présence d’objets étrusques et établissement fixe de colons. Il place à l’origine du mouvement de colonisation deux phénomènes distincts : l’excédent démographique et l’expansion commerciale, liée en particulier à l’exploitation de nouvelles terres fertiles. Il examine ensuite les différentes sources exploitées pour l’étude de la colonisation, et les problèmes qu’elles posent : épigraphiques (où l’on distinguera bien, toutefois, les témoignages complexes livrés par les cippes tunisiens et par la momie de Zagreb, postérieurs à la guerre sociale, de la question de la présence étrusque en Italie entre le IXe et le Ve siècles av. J.-C.) ; archéologiques (qui posent la question de la différenciation entre la présence d’une communauté et la fondation d’une véritable colonie, comme dans les cas emblématiques de Rome ou de Marseille) ; topographiques (implantation régulière sur différents sites à partir de la seconde moitié du VIIe siècle et plans orthogonaux au VIe siècle) ; toponomastiques ; littéraires et historiographiques (en rappelant l’hypothèse, encore largement en vigueur, d’une première colonisation au IXe siècle, suivie d’une seconde à la fin du VIIe et au VIe siècle, notamment après la bataille de la mer de Sardaigne, en 535). Cette présentation classique du sujet sera particulièrement utile au lecteur non spécialisé, pour suivre les contributions suivantes – ce dernier pourra aussi se reporter avec profit aux synthèses récentes figurant dans le catalogue, dirigé par Mario Torelli, de l’exposition Gli Etruschi, qui s’est tenue au palais Grassi à Venise en 2000 (pour la Campanie, Maria Bonghi Jovino, p. 156-167 ; pour la plaine du Pô, Giuseppe Sassatelli, p. 168-179).
La situation en Étrurie
Deux contributions ne se rattachent que partiellement, surtout dans le cas de la première, au thème du colloque. Cependant, on les lira avec profit avant d’entrer véritablement au cœur du sujet dans la mesure où, à partir de deux exemples, elles permettent d’appréhender la réalité des cités auxquelles on rattache l’émergence du phénomène colonial. Patricia Gastaldi (p. 273-295) s’intéresse aux rapports entre Chiusi et Orvieto depuis l’Orientalisant récent jusqu’à la fin de l’époque archaïque. À partir d’un dossier archéologique dont elle souligne, à juste titre, qu’il n’est ni complet, ni uniforme, elle met en évidence l’importance considérable de Chiusi au début de cette période, puisque la ville aurait occupé non moins de 140 hectares. Son territoire marécageux l’aurait incitée à chercher des terres en direction d’Orvieto, qui paraît avoir été alors privée de tout rôle politique important. Dans la seconde moitié du VIe siècle, cette dernière, ayant porté à terme la structuration de son espace urbain, est préférée à Chiusi pour la fondation du grand sanctuaire panétrusque du fanum Voltumnae. Cette affirmation aurait permis à la cité de se développer en direction de la plaine padane et de la Romagne, à l’égal de Pérouse, dans un mouvement que l’auteur préfère présenter comme une osmose culturelle plutôt que comme un phénomène colonial.
La contribution de Stefano Bruni (p. 297-339), en dépit de son titre (Volterra e Fiesole nei fenomeni di colonizzazione), concerne essentiellement Fiesole, structurée en tant que véritable centre urbain autour de 530, époque où l’on peut définir les contours d’un ager qui lui est propre. L’auteur redonne ainsi tout son relief à l’histoire d’un centre, surtout connu pour l’époque hellénistique et romaine. Après avoir examiné la production artistique et artisanale de la cité, il souligne l’importance de la présence de petits bronzes originaires de Fiesole à Adria autour de la fin du VIe siècle : ceux-ci supposent une migration d’artisans (comme dans le cas de peintres sur vases à figures noires issus d’ateliers d’Étrurie centrale), mais aussi la présence de populations pour lesquelles ces statuettes, qui avaient une fonction rituelle précise, prenaient toute leur signification.
L’Italie du Nord
Les communications relatives à la “Val Padana” (Colonna, De Marinis), à la “Valle del Po” (Sassatelli) ou à l’“Etruria Padana” (Malnati, Cherici) – c’est la même chose -, ou encore à des secteurs déterminés de cette vaste aire géographique (Amann, Maggiani, Macellari), forment la partie principale de l’ouvrage, avec les contributions de non moins de huit auteurs.
La communication la plus générale consacrée au thème de la colonisation étrusque dans la plaine du Pô est celle de Giuseppe Sassatelli (p. 70-114). Celui-ci évoque d’emblée ses doutes sur la réalité de ce phénomène dont il relève que la tradition littéraire n’a conservé aucune trace pour le VIe siècle. Partant de l’onomastique, qui révèle l’importance des noms de formation locale, il préfère penser à un processus de transformation continue, mettant en cause des groupes humains très divers et impliquant une forte mobilité individuelle, plutôt qu’à un phénomène de colonisation systématique en deux étapes chronologiques, selon la reconstruction la plus communément admise.
Comme le souligne son auteur, la contribution de Giovanni Colonna (p. 39-70) est spéculaire de la précédente, en ce qu’elle concerne moins les Étrusques que les Ombriens dont les sources littéraires affirment la présence, et parfois la suprématie, dans la plaine du Pô ; il en reprend l’examen à partir d’un passage du cinquième livre de Strabon. L’étude des données archéologiques (rares, compte tenu du fait que ce peuple paraît avoir préféré les campagnes ouvertes aux villes), et surtout celle des témoignages épigraphiques, lui permet de conclure à la validité de la tradition d’une présence ombrienne dans cette zone entre le VIe et le Ve siècle. Le réexamen du dossier incite notamment l’auteur à accorder le plus grand crédit au passage de Servius qui évoque le rôle de Sarsina dans la refondation de Mantoue. Cette contribution, qui lève opportunément le voile sur une présence souvent ignorée, ou révoquée en doute, est complétée par l’examen d’une inscription trouvée dans la région de Bologne et sur laquelle serait attesté, pour la première fois, l’ethnique des Ombriens.
Maurizio Harari (p. 465-476) présente brièvement les résultats de la fouille du site de San Cassiano di Crispino, situé dans la chora d’Adria, et daté entre la fin du VIe et le début du IVe siècle. Cette petite (2000 m2) agglomération rurale présente un important intérêt pour documenter le caractère capillaire de l’occupation des campagnes par des populations d’origine étrusque - en l’occurence, peut-être au moins en partie originaires de Véies et d’Orvieto.
Dans la partie orientale de la zone considérée, Adriano Maggiani (p. 341-363) suppose pour sa part une occupation systématique de la plaine padane par les Étrusques ; ceux-ci se seraient donc trouvés en contact direct avec les Vénètes chez lesquels était engagé, aux VIIe et VIe siècles, un processus de formation urbaine principalement marqué par la montée en puissance des cités d’Este et de Padoue, et au cours de laquelle les échanges demeurèrent limités. Si l’“étrusquisation” de la Vénétie n’est pas antérieure au Ve siècle av. J.-C., dès la fin du VIIe siècle, c’est un alphabet étrusque qui s’impose à ces populations, comme à toutes celles de l’Italie antique. Et les données épigraphiques témoignent, dans cette zone de frontière, de la mobilité extrême des personnes.
Dans la partie occidentale de la zone considérée, Roberto Macellari (p. 365-400) étudie l’implantation des Ligures dans la plaine du Pô, documentée par les sources historiographiques et par la toponomastique, et où l’archéologie témoigne de la présence de ce peuple jusqu’à Parme. Attestée dès le IXe siècle, cette présence devient particulièrement significative à partir de la fin du VIIe siècle, et des Ligures apparaissent mêlés aux Étrusques, en Émilie occidentale, jusqu’au Ve siècle. Parmi les témoignages de leur présence, un groupe de statuettes en bronze atteste des formes de religiosité populaire de matrice ombro-ligure.
Raffaele C. De Marinis s’intéresse, pour sa part (p. 115-146), aux contacts entre l’Étrurie et la civilisation de Golasecca, à partir du VIIIe siècle. Il rassemble un corpus extrêmement riche de données archéologiques relatives aux trois phases de cette culture, I (IXe-VIIesiècles), II (VIe siècle) et III (Ve siècle), jusqu’à l’arrivée des Gaulois Sénons, en 388 ; pour le lecteur non spécialiste, la zone prise en considération correspond aux villes actuelles de Varese, Côme, Bergame et Lodi. Sa contribution nous introduit (p. 128 s.) à la question complexe du témoignage constitué par les armes, traitée ici par deux auteurs en fonction de deux approches nettement distinctes.
Luigi Malnati (p. 147-186) regroupe l’ensemble des témoignages archéologiques relatifs à l’armement dans l’Étrurie padane, tels qu’ils apparaissent notamment après l’introduction de la métallurgie du fer à la fin du VIIIe siècle, et plus particulièrement entre le milieu du VIe siècle et le début du IVe siècle. Au cours de cette période, les caractéristiques des groupes régionaux, politiques ou ethniques se reflètent dans leur armement et dans la précocité de leur adoption de la technique hoplitique. Felsina se caractérise ainsi, par exemple, par une cavalerie dont le rôle est très limité sur le plan militaire, mais profondément connotée sur le plan idéologique, tandis que les Vénètes combinent une infanterie lourde avec une importante cavalerie. Ces différents groupes humains semblent donc s’être adaptés, chacun en fonction de sa culture et de l’évolution de son organisation sociale, au conflit qui les opposait régulièrement aux peuples celtes, qui pratiquaient un combat à forte mobilité.
Armando Chierici (p. 187-246) fonde son étude sur les sources iconographiques, et d’abord sur l’extraordinaire document que représente la situle en bronze de la Certosa, datée de la première moitié du VIe siècle, mais trouvée dans une tombe féminine du deuxième quart du Ve siècle. Elle offre l’intérêt de présenter non moins de cinq types d’armement différents. Cela semble indiquer que, dès le VIe siècle, l’Étrurie padane disposait d’un type d’organisation militaire sans équivalent en Étrurie ni à Rome, qui ne devaient l’adopter que plus d’un siècle plus tard. Le second volet de son étude porte sur les enseignes militaires dont la situle Arnoaldi offrirait une première attestation au début du Ve siècle. La précocité de ce témoignage va également dans le sens d’une organisation remarquable des armées de l’Étrurie padane, qui paraissent avoir disposé d’un système de signaux acoustiques et de références visuelles réglant la mobilité des corps de troupes. C’est, ici encore, la caractéristique de zone frontalière de ce territoire, au contact de Celtes belliqueux, qui expliquerait la précocité et la complexité de cette organisation militaire.
C’est également sur un aspect spécifique de la question que s’est penchée Petra Amann avec son étude du cippe II de Rubiera, près de Modène (p. 247-272). Cet imposant monument daté entre la seconde moitié du VIIe siècle et le début du VIe siècle - très probablement funéraire, mais trouvé hors contexte - présente un élément de décor interprété de manière convaincante par l’auteur comme une tresse qui permettrait d’y reconnaître la représentation stylisée d’un personnage féminin. Mais l’inscription portée sur le cippe, lacunaire, complique l’interprétation, puisqu’elle mentionne d’abord une femme, puis un zilath, et que différentes hypothèses peuvent être formulées pour l’expliquer – dédicace à une femme par un zilath, à un zilath par une femme, à une femme et à un zilath...
L’Italie du Sud
Les deux contributions relatives à l’Italie du Sud concernent exclusivement la Campanie (60 pages, soit le huitième du volume) : l’une se présente comme une synthèse, l’autre comme une étude des témoignages épigraphiques du site de Pontecagnano.
Luca Cerchiai (p. 401-421) s’interroge d’emblée sur le caractère opératoire du concept de “seconde colonisation” étrusque. Après avoir souligné la différence entre mobilité des personnes et colonisation, et relevé le caractère métissé de la culture régionale, il procède à un examen comparé des témoignages archéologiques et épigraphiques relatifs aux sites de Pontecagnano, de Fratte et de Capoue - en reprenant, en rapport avec ce dernier site, l’examen du poléonyme de Volturnum, qui témoigne de l’importance de la composante étrusque dans la grande cité campanienne. C’est en définitive la convergence des phénomènes concomitants dans ces trois centres, à partir du milieu du VIe siècle, qui, sans peut-être en justifier l’appellation, témoigne de la réalité d’un phénomène de colonisation important au cours de cette période.
Carmine Pellegrino (p. 423-463) étudie l’ensemble des inscriptions (de possession, de don ou d’offrande) en caractères étrusques de Pontecagnano – soit 65 documents. Le plus ancien remonte à la première moitié du VIIe siècle, mais la plupart ne sont pas antérieurs à la fin du VIe siècle av. J.-C. L’alphabet, qui trahit d’abord une forte influence de Caere et de Véies, connaît à la fin de l’époque archaïque un certain nombre d’innovations typiques de sites plus septentrionaux (Vulci, Tarquinia, Orvieto). Au total, son corpus, qui permet de mettre en évidence d’importants phénomènes de mobilité, comporte 33 formules onomastiques complètes, provenant pour la plupart de contextes funéraires (principalement de tombes d’adultes).
Ce résumé trop rapide ne rend évidemment pas
justice à la richesse des informations rassemblées dans ce volume, qui a pour
grand mérite de nous faire entrevoir, en opposition à un schéma
historiographique simple et consolidé, la complexité extrême des phénomènes
alors en cours dans deux régions d’Italie longtemps disputées entre plusieurs
peuples et entre plusieurs cultures, ainsi que l’interaction dialectique entre
phénomènes collectifs et mobilité individuelle. On pourra regretter qu’il
trahisse un déséquilibre marqué entre plaine padane et Campanie (pour cette région. On peut le
compenser en se reportant notamment aux Atti
del trentatresimo convegno di studi sulla Magna Grecia, Magna Grecia, Etruschi, Fenici, publié à
Tarente en 1994). De toute façon, il était manifestement trop tôt pour tirer
des conclusions définitives d’un panorama archéologique en pleine évolution, et
sur l’interprétation duquel les différents chercheurs ne s’accordent pas
toujours. Si l’on peut déplorer l’absence d’index, l’édition est soignée ;
les doublets dans la bibliographie (chaque contribution possède la sienne) et
dans l’iconographie (cartes aux p. 68 et 101) facilitent la consultation de
l’ouvrage. L’illustration est généralement de bonne qualité, entièrement en
noir et blanc, au diapason d’un volume manifestement important mais qui
s’adresse, au tout premier chef, à un public de spécialistes.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |