Nivelon, Claude: Vie de Charles Le Brun et description détaillée de ses ouvrages, Edition critique et introduction par Lorenzo Pericolo (Hautes Etudes médiévales et modernes, 86), XIV-602, 15,2/22,2 cm, 135 ill., ISBN 2-600-00935-3, 102,50 €
(Librairie Droz S.A. 2004)

 
Compte rendu par Claire Mazel
 
Nombre de mots : 1379 mots
Publié en ligne le 2007-07-01
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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Il faut saluer la première édition de La vie de Charles Le Brun de Claude Nivelon, texte fondamental pour l’histoire de l’art du XVIIe siècle. Ce long manuscrit de 377 pages (Bibliothèque nationale de France) est plus qu’une vie d’artiste : en raison de l’importance de Charles Le Brun (1619-1690), premier peintre du roi, directeur des Gobelins, directeur et chancelier de l’Académie royale de peinture et de sculpture, c’est un témoignage sur presque cinquante années de création artistique en France. L’édition critique que propose Lorenzo Pericolo se compose de la liste des sources et de la bibliographie (p.1-15), d’une longue introduction (p.17-94), du texte de Nivelon (p.97-574), d’un index des noms et des lieux (p.575-588) et enfin des tables.

Dans sa présentation du texte, Lorenzo Pericolo revient successivement sur la biographie de Claude Nivelon, l’histoire du manuscrit, la formation et la culture de l’auteur et l’édition du Traité des passions de Charles Le Brun. Claude Nivelon (1648-1720) est d’une génération plus jeune que Le Brun, avec lequel il travaille à partir de 1667. « Peintre et dessinateur du roi », il perçoit des appointements pour ses services aux Gobelins à partir de 1680. En 1694, Daniel Cronström (correspondant à Paris de Nicodème Tessin Le Jeune, architecte et surintendant des Bâtiments royaux de Suède) s’intéresse une première fois à Nivelon : il souhaiterait obtenir des copies des dessins faits d’après les plafonds de Versailles. Il le sollicite une seconde fois en 1698 afin d’acquérir « la vie de M. Le Brun par Nivelon, s’il a fini le livre et où les passions doivent être insérées ». Cette Vie de Charles Le Brun dont la rédaction était en voie d’achèvement cette année-là ne fut jamais éditée, en raison, propose Lorenzo Pericolo, de la publication dès 1698 du Traité des passions chez Picart et des incorrections que comportait le manuscrit. La longue entreprise de Nivelon s’inscrit dans la lignée des vies de Charles Le Brun rédigées précédemment : celle du Mercure Galant (février 1690), les trois conférences prononcées par Guillet de Saint-Georges à l’Académie royale de peinture et de sculpture (les 2 mai, 4 juillet, 1er août 1693, éditées en 1854 et rééditées prochainement dans le tome II des Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, École nationale supérieure des Beaux-Arts), puis la biographie plus brève de Charles Perrault dans Les hommes illustres… (1696). Mais Claude Nivelon a l’ambition de donner un texte bien plus long, contenant une liste plus complète des ouvrages du premier peintre et surtout, précise-t-il dans son avis au lecteur, « des observations historiques, allégoriques et mystiques pour donner quelque satisfaction aux amateurs de la peinture qui auront ou verront de ses ouvrages, et pour laisser une idée aux studieux sur la manière que cet homme illustre a observée dans tout ce qu’il a traité ». On pourra regretter à ce propos que Lorenzo Pericolo, bien qu’il présente longuement la langue et la culture de l’auteur dans son introduction, ne fasse pas davantage la comparaison avec la vie de Guillet de Saint-Georges, ce qui aurait permis, en inscrivant l’ouvrage de Nivelon au sein d’un genre, de moins le faire paraître comme un unicum. On peut aussi être un peu gêné, à la lecture de cette introduction, par le portrait de Charles Le Brun en petit Machiavel, dans la lignée d’une historiographie partisane (« Cette pyramide de valeurs esthétiques ne s’élève pas sans un but inavoué : au sommet doit trouver sa place la statue du premier peintre. Ce triomphe, que le maître prépare jour après jour avec une lucidité indéniable, se heurte inévitablement aux aléas de toute ascension sociale, à la sensibilité froissée des rivaux, à la jalousie des ennemis », p.80).

Le manuscrit qu’édite Lorenzo Pericolo est une copie datant de 1832-1833, conservée à la Bibliothèque nationale de France, d’un manuscrit original ainsi décrit en 1768-1778 : « ce manuscrit (in 4° de 552 pages) est conservé à Paris dans la bibliothèque de M. Beaucousin : quoique fort peu correct pour le style, il est tout à fait précieux pour la partie de l’art. L’auteur contemporain et artiste l’a dédié à Louis XIV et a orné son ouvrage de dessins de vignettes de bon goût. Le manuscrit original est corrigé de la main de l’auteur ». Ce manuscrit original a depuis été redécouvert à Florence par Marie-Catherine Sahut, et il en est fait état dans la thèse de Bénédicte Gady (L'ascension de Charles Le Brun. Liens sociaux et production artistique, sous la direction d'Alain Mérot, université de Paris IV, 2006), qui annonce la parution d'un article donnant une présentation historique et philologique du texte. Nous pouvons toutefois accorder une certaine confiance au manuscrit du XIXe siècle : le copiste, après un premier essai de reformulation de la syntaxe embarrassée de Nivelon, a noté au début de son manuscrit : « J’ai cru dès lors devoir me borner à la seule rectification des fautes d’orthographe et à quelques autres qui peuvent n’être que des fautes du copiste du manuscrit dont cependant le travail paraît avoir été par l’auteur ainsi que l’indiquent quelques additions ou intercalations annoncées être de sa main ». Lorenzo Pericolo donne une édition extrêmement soignée de ce manuscrit : la pagination est reportée, l’orthographe et la ponctuation sont modernisées ; un double système de notes, à la fois philologiques et savantes, éclaire le sens du texte et fournit une courte bibliographie pour chacune des œuvres décrites ; de nombreuses reproductions de gravures viennent, dans le corps du texte, illustrer le propos de Nivelon. Il faut mentionner le travail très intéressant d’édition, au cœur de l’ouvrage, du Traité des passions d’après le texte de Nivelon, avec l’indication des variantes par rapport aux autres manuscrits connus. Lorenzo Pericolo montre dans son introduction la difficulté qu’il y avait à éditer un tel texte qui comporte nombre d’omissions et d’erreurs syntaxiques, et explique le choix de modifications identifiées par des caractères en italique dans le corps du texte ou de suppressions signalées dans les notes philologiques ; ces corrections sont nombreuses, certaines allant de soi, d’autres paraissant moins utiles et pouvant forcer l’interprétation.

Comment se présente enfin le texte de Nivelon ? Comme il l’indique lui-même dans son avis au lecteur, son « dessein n’est pas de décrire tous les incidents qui se passent assez ordinairement dans le cours de la vie. Je sais bien qu’il est assez rare, note-t-il, que celle des plus grands hommes ne soit mêlée de quelques traits de politique, d’ambition, de haine et d’amour. Ce sont des roues qui ont chacune leur mouvement et dont le ressort nous est plus ou moins connu ou caché, et il faudrait être aussi clairvoyant que Lyncée pour en faire un juste discernement. Cette raison m’en fait dispenser, ne prétendant entrer dans aucun détail qui me puisse faire soupçonner une partialité affectée ». La Vie de Charles Le Brun ne possède en effet qu’assez peu d’éléments biographiques : origine de M. Le Brun, voyage de M. Le Brun en Italie en 1643 (sic pour 1642), retour de Rome, mariage de M. Le Brun, lettres de noblesse, l’Académie, l’établissement des Gobelins, le présent du portrait du roi, voyages de Flandre et de Cambrai, les conférences, mort de M. Le Brun. Ces pages biographiques sont intercalées dans la longue suite des descriptions des ouvrages du premier peintre : les tableaux, les frontispices de thèses, les décors (Vaux, la galerie d’Apollon au Louvre, Sceaux, les pavillons de Marly, l’escalier des Ambassadeurs, la chapelle, la grande Galerie à Versailles), les dessins pour les ouvrages de sculpture à Versailles, les dessins de tombeaux… Chaque description est elle-même le reflet d’une langue et d’un regard tels qu’ils ont pu progressivement s’élaborer lors des conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Par exemple, si on lit la description de La Vierge présentée au temple (p.223-224), la description s’organise en fonction de la composition du tableau, figure après figure, l’auteur indiquant la signification de ses attributs, soulignant son expression, mentionnant son coloris, la description s’achevant par l’évocation du lieu de la représentation. Nivelon s’intéresse en particulier au jeu des significations « historiques, allégoriques et mystiques » (« pour signifier… », « pour symbole de … »), conduit par le désir de ne pas laisser le dessein du premier peintre incompris. Par sa méthode comme par son vocabulaire, Nivelon se présente comme l’héritier de Le Brun, l’auteur de brillants commentaires de tableaux des collections royales lors des conférences de l’Académie, au milieu des années 1660.