Frakes, James F.D.: Framing Public Life. The Portico in Roman Gaul, 30,2 x 21,5 cm, XII + 487 pp, num b/w-figs., maps and schemes, hardcover, ISBN 978-3-901232-96-1
(Phoibos Verlag, Wien 2009)
 
Compte rendu par Laurence Cavalier, Université Bordeaux 3
 
Nombre de mots : 1347 mots
Publié en ligne le 2009-06-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=706
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Partiellement issu de sa thèse de doctorat, complété par les observations faites lors de plusieurs séjours en France, le gros ouvrage (près de 500 p.) publié par James F. D. Frakes chez Phoibos Verlag, est consacré à la question du développement urbain en Gaule avec, comme support de réflexion, l’étude systématique des portiques construits à l’époque impériale en Narbonnaise, en Aquitaine et en Lyonnaise. Pour mener à bien son projet, l’auteur s’appuie sur un corpus considérable (340 p.) divisé en trois parties correspondant aux provinces citées. À l’intérieur de chaque partie, les portiques (au total, 196 exemples) sont répertoriés par département, en suivant l’ordre alphabétique du nom moderne de la ville concernée. Un tableau placé en annexe à la fin de l’ouvrage, qui regroupe les noms modernes, les noms antiques des villes et les numéros du corpus permet au lecteur étranger ou peu familier de certains sites de retrouver facilement son chemin. Chaque portique est rangé dans une catégorie (stoa, platea, quadriportique…) et toutes les informations en possession de l’auteur (datation, caractéristiques architecturales, liste des fragments architecturaux, sculptés, inscrits, matériel mis au jour, bibliographie spécifique) complètent une description générale des vestiges. Dans la plupart des cas, un plan complète la fiche. Deux autres tableaux placés en annexe sont consacrés, l’un aux concordances métrologiques, l’autre aux concordances chronologiques.
La présentation du corpus est claire, mais la bibliographie est parfois incomplète et devrait être réactualisée. De même, certains plans dont l’auteur précise qu’ils sont en majorité tirés des CAG, sont lacunaires (#67 par exemple) Enfin le symbole « n/a » (non available) revient souvent s’agissant des caractéristiques architecturales (nombre de colonnes, matériau etc), mais ce dernier point ne peut pas être imputé à l’auteur qui a utilisé au mieux le matériel disponible à l’étude.

Le texte est constitué de cinq parties. Le premier chapitre, très théorique, sert d’introduction. S’appuyant sur un extrait de l’Agricola de Tacite, l’auteur cherche à démontrer l’importance du portique comme élément d’un dispositif de « romanisation ». Après avoir expliqué son choix de limiter son étude aux trois régions citées plus haut, J. F. D. Frakes reprend la définition du terme donnée par P. Gros dans son ouvrage sur l’architecture romaine en précisant qu’il accepte dans cette catégorie d’édifice tous types de supports (poteaux de bois, piliers etc) et tous types d’entablements (horizontaux, arcades). Si l’on peut le suivre sur ce point, on est cependant moins convaincu quand il considère comme portique ce qui apparaît plutôt, dans sa description, comme une galerie à étage. L’auteur propose ensuite sa propre typologie des portiques en distinguant cinq types qu’il énumère par ordre de fréquence décroissant. Le premier (platea portico) inclut tout espace ouvert entouré sur au moins deux côtés par une colonnade continue. Le second (street portico) comprend toute colonnade bordant une rue, avec, à l’intérieur de la catégorie, des sous-types empruntés à la pointilleuse classification de W. MacDonald (colonnade d’un seul côté de la rue, des deux côtés, bordant une insula, bordant plusieurs insulae). La troisième catégorie (façade portico), dont l’auteur reconnaît qu’elle est la plus ambiguë, regroupe les portiques construits en avant de tout autre bâtiment. Les portiques qui constituent le quatrième type (stoa portico) ont la forme des stoai grecques exhaustivement étudiées par J. J. Coulton. Enfin, le dernier type (cavea portico) n’est représenté que par trois exemples. La dernière partie de l’introduction est consacrée à la présentation des chapitres qui vont suivre.

Dans la première partie du second chapitre, l’auteur recense les rares écrits « techniques » sur les portiques en commençant, comme on pouvait s’y attendre, par Vitruve. Les références littéraires sont bien plus nombreuses et renvoient, pour la plupart, à la notion d’évergétisme. Les autres fonctions « sociales » du portique sont évoquées, de même que les liens bien connus entre portiques et éducation, portiques et œuvres d’art, ou encore portiques et divinités guérisseuses.

Après ces deux chapitres très généraux, l’auteur se concentre sur le thème principal de l’ouvrage : les portiques en Gaule. Le portique, plus facile et moins coûteux à construire qu’un théâtre ou un aqueduc et qui s’adapte au mieux à un urbanisme orthogonal, joue un rôle essentiel dans la constitution des nouveaux paysages urbains de la Gaule. Sur les 196 exemples de portiques répertoriés dans le corpus, près de la moitié date de l’époque augustéenne et se trouve surtout en Narbonnaise. Voulus par l’empereur, ces portiques sont destinés à souligner en élévation l’orthogonalité du réseau urbain, lui-même marqueur de la domination romaine. Le forum de Nîmes, dont l’ornementation exprime l’abondance de « l’âge d’or » augustéen, est cité comme le meilleur exemple (et le modèle à suivre) de cette nouvelle organisation de l’espace urbain avec ses colonnades qui offrent un espace privilégié pour exposer les statues honorifiques des notables. On regrettera que la datation dont fait état l’auteur (temple et portiques terminés en 1 avant J.-C et peut-être plus tôt), ne tienne pas compte des dernières observations de P. Gros qui place le réaménagement du forum et la construction de la « Maison carrée » au tout début du Ier siècle de notre ère. Les forums augustéens du sud de la Gaule sont ensuite succinctement décrits : leur ornementation (sculpture architecturale et type de statuaire) montre qu’ils sont bien dans la lignée du forum de Nîmes. Le propos est enfin étendu aux quadriportiques qui n’ont pas fonction de forum mais sont destinés à des activités commerciales ou religieuses.

L’intéressant chapitre 4 est consacré aux représentations des colonnades dans l’art de la Gaule romaine, un motif dont l’apparition est liée au développement des portiques. Un bon exemple est fourni par la série des gobelets d’Aco qui portent le plus souvent, au registre supérieur, des colonnettes liées ou non entre elles par des guirlandes : sur certains exemplaires sont représentés Auguste et Agrippa, juxtaposition « métaphorique » que l’auteur rapproche de l’exposition, dans les portiques, de statues impériales. Le vase Dechelette 69 montre une intéressante suite d’arcades sur supports libres, sous lesquelles sont représentés victoires ailées, aigles impériaux et paires de gladiateurs, ces derniers destinés, selon l’auteur, à associer dans l’esprit de l’utilisateur espaces publics et physique idéal des corps. La représentation, sur une mosaïque de la Grange-aux-biefs, d’une colonnade de même type sous laquelle apparaissent des proues de navires, montre que ce type de cadre architectural peut être aussi associé à la prospérité économique.

Le dernier chapitre, consacré aux colonnades des 1er et 2e siècles comprend quatre sous-parties : les places sous les Julio-Claudiens et les Flaviens, les portiques en bordure de rues, les colonnades des sanctuaires ruraux et le maintien de ces aménagements à la fin de l’époque impériale. Les portiques de rues sont rares à l’époque augustéenne, la moitié des exemples recensés date de l’époque julio-claudienne. Ce sont des constructions rustiques qui privilégient le plus souvent le bois, ce qui n’a pas forcément une connotation négative pour l‘auteur qui y voit plutôt une persistance des traditions gauloises. Il est plus difficile de le suivre lorsqu’il oppose l’intimité tactile du bois, qui invite à la conversation, à la formalité du marbre. Les colonnades des sanctuaires ruraux sont étudiées de façon chronologique et suivant la typologie de départ. Les quadriportiques dominent largement la série, on utilise de plus en plus la pierre et l’ordre corinthien. Dans ce passage, l’auteur s’intéresse particulièrement à l’expérience visuelle que connaît le visiteur à son entrée dans un sanctuaire (exemple de Saint-Léomer), ainsi qu’aux rôles multiples des colonnades de Sançay. Le chapitre s’achève par la présentation des portiques les plus récents, souvent reconstruits partiellement ou en totalité à partir de l’époque antonine.

Avec cet ouvrage souvent trop théorique et parfois insuffisamment documenté, J. F. D. Frakes offre au lecteur de nombreuses informations sur les portiques de Gaule du sud. On regrettera l’absence d’une véritable analyse formelle de ces édifices, mais il s’agit d’un choix de l’auteur qui préfère s’intéresser à la relation entre l’homme et le portique comme cadre structurant l’espace, qu’il soit urbain ou religieux. Bien que la partie texte soit mince (111 p.) au regard de l’imposant catalogue, grâce à ce dernier, qui regroupe commodément la plupart des plans des portiques étudiés, l’ouvrage peut constituer un outil de travail utile pour qui s’intéresse à l’architecture et à l’urbanisme en Gaule à l’époque impériale.