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Compte rendu par Louis Brousseau, Université Paris IV-Sorbonne Nombre de mots : 2089 mots Publié en ligne le 2011-02-24 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=716 Lien pour commander ce livre
Le présent volume est un ouvrage collectif dédié à la mémoire de la numismate et historienne Soheir Bakhoum, spécialiste de l’Alexandrie romaine, décédée en 2003. Native d’Alexandrie, elle y fit d’abord ses études et compléta sa formation à l’École pratique des Hautes Études à Paris. Elle fut nommée chargée de recherches au CNRS en 1989. Ses collègues lui rendent ici un dernier hommage en publiant vingt-deux contributions en son honneur (10 en français, 4 en anglais, 4 en italien et 4 en allemand).
Ces mélanges possèdent une unité thématique qui fait souvent défaut aux ouvrages de mélanges, ce qui leur confère un intérêt supplémentaire. Les intérêts de Soheir Bakhoum sont respectés puisque l’ensemble des contributions concernent l’Égypte antique (spécialement Alexandrie) et s’adressent principalement aux numismates, mais pas exclusivement. Le volume est préfacé par Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, puis est divisé selon les cinq parties suivantes : Hommages, Questions d’identification, Trésors et fouilles, Iconographie, Histoire des études alexandrines.
La section « Hommages » comprend trois contributions et s’ouvre par celle d’André Bernand qui, après avoir relaté quelques souvenirs à propos de Soheir Bakhoum, évoque une plaque de fondation en or découverte en 2003 par Franck Goddio dans la baie d’Aboukir. Étienne Bernand, après une brève biographie, survole la bibliographie principale sur Alexandrie et dresse ensuite celle de Soheir Bakhoum. Dominique Gerin publie quant à elle la collection numismatique personnelle de la disparue. Celle-ci est constituée de 56 monnaies et d’une tessère. Il s’agit en majorité de monnaies d’Alexandrie, principalement d’époque romaine, dont l’une, très rare, est un grand bronze d’Auguste. Cinq exemplaires sont désormais conservés au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale.
La section « Questions d’identifications » présente également trois contributions. La première est celle d’Olivier Picard qui propose l’identification d’une monnaie permettant d’activer le mécanisme du distributeur d’eau lustrale décrit par Héron d’Alexandrie dans les Pneumatika (I, 21) et dont le rôle du poids de la pièce est primordial. Il revient sur les occurrences de pentadrachmon, une dénomination assez rare dans le monde grec, pour en conclure que celles-ci ne font pas allusion à une dénomination monétaire. Le pentadrachme appartiendrait aux monnaies postérieures à la réforme comptable de 182, où la drachme devient la nouvelle unité de compte. Andrew Burnett fait ensuite le point sur le monnayage alexandrin de l’empereur Caligula publié dans le Roman Provincial Coinage I. Après l’examen des monnaies faussement attribuées à son règne et de celles d’attribution douteuse, l’auteur conclut qu’une seule émission peut être rattachée à Caligula avec certitude et que le monnayage des Empereurs à Alexandrie demeurait épisodique. Ainsi, l’absence de monnayage au nom de Caligula ne doit pas surprendre. Barbara Lichochka clôt cette section par une étude sur une monnaie trouvée en fouille qui pourrait bien avoir été utilisée pour fabriquer un miroir. Seule une face est préservée, le revers, et celui-ci lui a permis d’identifier un tétradrachme de billon de Néron.
L’unité de la troisième section est formée par la présentation de monnaies provenant des trésors et des fouilles. Cette partie, composée de huit contributions, constitue par ailleurs la section la plus volumineuse de l’ouvrage (135 pages) et possède, en outre, l’intérêt de faire connaître un matériel inédit. Le premier article, de Michel Amandry, identifie un lot de 33 monnaies alexandrines du Musée départemental d’Art ancien et contemporain d’Épinal faisant vraisemblablement partie d’un dépôt. Les monnaies couvrent une période de 35 ans s’étendant de Trébonien Galle an 3 (252/253) à Maximien an 5 (289/290). La présence de cet ensemble à Épinal intrigue, d’autant qu’il ne figure dans aucun des inventaires. Il suggère qu’il s’agit d’un don de voyageur et dont la trace a été perdue. Rodolfo Martini présente ensuite une série de 40 monnaies alexandrines de Probus (de l’an 1 [276] à l’an 7 [281/282]) qui auraient dû être incluses dans la troisième Sylloge Nummorum Graecorum des collections civiques de Milan mais qui, par erreur, n’ont pas été incluses dans le volume. Il semble que ce lot de monnaies appartenant à la collection Laffranchi faisait antérieurement partie de la collection Dattari. Mervat Seif el-Din, Mona Shahin et Thomas Faucher publient collectivement un ensemble de monnaies ptolémaïques trouvé à Nag Hammadi en 1937 et demeuré jusqu’alors inédit. La trouvaille est composée de 80 pièces de bronze (de 5 modules différents) toutes datables du IIIe siècle av. J.-C. (29 sont illustrées). Les auteurs considèrent qu’il s’agit d’un trésor, sans pouvoir affirmer que le lot en constitue la totalité, et proposent une datation de l’enfouissement vers 205 suite à des considérations sur les modules et les monogrammes ; c’est une datation qui correspond à une période de trouble en Haute et Moyenne Égypte. Mervat Seif el-Din et Faiza el Maghrabi font connaître également un lot de monnaies provenant de Nag Hammadi et conservées au Musée Gréco-Romain d’Alexandrie. Ce lot inédit est composé de 264 monnaies de bronze dont 14 appartiennent à l’époque ptolémaïque, 1 au monnayage provincial alexandrin, 248 folles impériaux (datés entre 294-317) et finalement, une monnaie des Mamelouks des XIV-XVe siècles. L’ensemble ne constitue pas en soi un trésor, mais il n’est pas exclu que les folles soient issus d’une même trouvaille. Hans-Christoph Noeske republie un trésor de tétradrachmes de billon d’Alexandrie mis au jour à Abu al-Gud et conservé aujourd’hui au Musée Gréco-Romain d’Alexandrie. Le trésor enfoui au milieu du IIIe siècle de notre ère est composé de 233 monnaies couvrant les règnes de Néron à Philippe Ier. L’auteur propose en outre une étude sur la circulation monétaire et la thésaurisation en s’appuyant sur l’analyse de 89 trésors de tétradrachmes de billon alexandrin. Mona Shahin pour sa part publie un trésor de 1005 tétradrachmes de billon d’Alexandrie découvert à Kom Aushin (l’ancienne Karanis) en 1967 où les monnaies sont désormais conservées. Le trésor comprend des monnaies des empereurs Tibère, Claude et Néron et paraît important par les lumières qu’il apporte sur les monnayages de billon antérieurs à la réforme néronienne, montrant en particulier que l’ampleur de ceux de Tibère et Claude avait été sous-estimée. Les monnaies de fouille de Bakchias découvertes lors des campagnes 2003-2007 de la mission italienne font ensuite l’objet d’une publication. Anna-Rita Parente fait connaître 122 monnaies qui vont de l’époque de Ptolémée Ier à l’époque byzantine (Constantin II). Les monnaies sont essentiellement en bronze à l’exception d’un tétradrachme en argent (n° 34) et d’un tétradrachme de billon (n° 82). On notera par ailleurs que 72 monnaies sont illisibles sur les 122. Cependant, un exemplaire semble inédit et mérite d’être mentionné : il s’agit d’un bronze de Marc-Antoine de l’époque du triumvirat (n° 75). Marie-Christine Marcellesi clôt cette section en proposant une étude sur la série de monnaies alexandrines aux types de Sarapis et du Nil. L’auteur discute la datation de cette série tardive dont la chronologie est débattue et s’appuie sur six nouveaux exemplaires découverts lors des fouilles menées par le Centre d’Études Alexandrines et rapproche la série d’autres émissions similaires d’Antioche et de Nicomédie.
L’iconographie est le fil conducteur de la quatrième partie du volume. Six contributions se succèdent et s’écartent parfois de la numismatique. François Queyrel ouvre la section avec une étude très intéressante sur le portrait de Cléopâtre VII dans laquelle il s’interroge sur le degré d’originalité de l’image de la reine d’Égypte. L’analyse de la pseudo-Cléopâtre de la Maison du Diadumène à Délos démontre que celle-ci est antérieure à 69 et suggère que l’image de la Reine possède des antécédents et renvoie à la koinè de la basse époque hellénistique. Laurent Bricault et Richard Veymiers proposent une contribution sur une intaille sur laquelle figure un portrait de Néron doté du sistre isiaque. Ils replacent le portrait dans le contexte idéologique et religieux de son règne. Angelo Geissen clarifie ensuite la typologie des représentations de Sabine dans le monnayage alexandrin de l’empereur Hadrien. Giovanni Maria Staffieri et Mario Tosi s’intéressent aux représentations de la barque sacrée d’Osiris dans le monnayage alexandrin. Après une synthèse sur le symbolisme de la barque dans le contexte égyptien, ils discutentdes deux émissions d’époque romaine qui représentent la barque sacrée. Fatma Barakat propose ensuite, dans une courte étude, d’aborder la divinité alexandrine Agathos Daimon et présente huit documents s’y rapportant conservés au Musée Gréco-Romain d’Alexandrie. L’article de Manfred Weber termine cette section sur l’iconographie avec deux nouvelles interprétations à propos de deux symboles iconographiques apparaissant sur les monnaies : la tête de bélier utilisée comme symbole sur des tétradrachmes au nom d’Alexandre fait référence au dieu Amon de l’oasis de Siwa et le type de revers d’une drachme de Trajan figure la tombe du dieu Osiris.
La dernière partie du volume s’intéresse à l’histoire des études alexandrines, en particulier à la figure bien connue de quiconque s’intéresse à la numismatique de l’Égypte antique : G. Dattari. Elle comprend deux articles. Le premier, par Erik Christiansen, dresse l’historique de nombreux trésors monétaires entrés dans les collections de l’Ashmolean Museum (c. 35 000) et le Royal Ontario Museum. L’auteur s’appuie sur la correspondance entre les trois protagonistes : G. Dattari au Caire, J.G. Milne à Oxford et C.T. Currelly à Toronto. Quant à Adriano Savio, il dresse le portrait de ce collectionneur italien résidant au Caire au tournant du XXe siècle.
En somme, ce livre offre un aperçu très diversifié et cohérent sur les questions de numismatique alexandrine et constitue un bel hommage à Soheir Bakhoum qui avait consacré sa vie à ces questions. La présentation est de haut niveau et on notera que les planches sont de très bonne qualité. Cependant, un certain nombre de coquilles, de même que certaines erreurs dans les noms d’auteur ("Bernard" au lieu de Bernand, p. 15-19, "AMartini", p. 74) ou dans le titre (le titre de la contribution précédente est repris, p. 73-76), sont regrettables et ternissent un peu la qualité de présentation de l’ouvrage. Par ailleurs, les articles de mélanges ne sont souvent pas lus les uns à la suite de autres. Ce fut cependant le cas et l’exercice a permis de relever une opposition entre O. Picard (p. 40), qui soutient qu’il n’y avait pas de pentadrachme au Haut-Empire, et A. Burnett qui, dans la contribution suivante (p. 46), mentionne des pièces de cinq drachmes sous le règne de Néron.
Malgré ces quelques remarques, il convient de souligner l’intérêt majeur de cette publication. Avec ses études concentrées autour de la numismatique alexandrine et la publication de nouveau matériel, ce recueil pourra servir ultérieurement de base de travail à des recherches originales. Ægyptiaca serta s’inscrit dorénavant dans la lignée de l’exception égyptienne [1] comme un ouvrage incontournable pour tous ceux qui s’occupent de numismatique de l’Égypte antique.
[1] L’exception égyptienne ? Production et échanges monétaires en Égypte hellénistique et romaine. Actes du colloque d’Alexandrie, 13-15 avril 2002, F. Duyrat et O. Picard (dir.), Études alexandrines 10, Le Caire, 2005.
Sommaire
Préface Jean Leclant, Soheir Bakhoum, p. 9
Hommages André Bernand, Une grande perte pour la numismatique, p. 13 Étienne Bernand, Aperçu sur l’antique Alexandrie, p. 15 Dominique Gerin, La petite collection alexandrine de Soheir Bakhoum, p. 21
Questions d’identification Olivier Picard, À la recherche du pentadrachme d’Héron d’Alexandrie, p. 39 Andrew Burnett, The Alexandrian Coinage of Caligula, p. 45 Barbara Lichocka, Un tétradrachme de Néron, dit "miroir de Néron", trouvé à Kôm el-Dikka à Alexandrie, p. 49
Trésors et fouilles Michel Amandry, Un dépôt de monnaies alexandrines au Musée départemental d’Art ancien et contemporain d’Épinal, p. 61 Ridolfo Martini, Un nucleo di tetradracmi alessandrini di Probus della collezione Laffranchi, nelle Civiche Raccolte Numismatiche di Milano di "acq(uisto) Dattari", p. 71 Mervat Seif el Din, Mona Shahin, Thomas Faucher, Un trésor de monnaies ptolémaïques en bronze au Musée gréco-romain, d’Alexandrie: le trésor de Nag Hammadi 1937, p. 79 Mervat Seif el Din, Faiza El Maghrabi, Coins from Nag Hammadi in the Graeco-Roman Museum in Alexandria, p. 95 Hans-Christoph Noeske, Der Münzschatz von Abu al-Gud und einige Überlegungen, zum Hortungsverhalten im kaiserzeitlichen Ägypten, p. 113 Mona Shahin, A Hoard of Alexandrian Billon Tetradrachms found in 1967 in Kom Aushim, p. 155 Anna Rita Parente, Monete da Bakchias. Campagne di scavo 2003-2007, p. 161 Marie-Christine Marcellesi, La série romaine tardive d’Alexandrie aux types de Sarapis et du Nil, p. 185
Iconographie François Queyrel, La Pseudo-Cléopâtre de la Maison du Diadumène à Délos, p. 199 Laurent Bricault, Richard Veymiers, Un portrait de Néron doté du sistre isiaque, p. 211 Angelo Geissen, Sabina-Demeter-Isis. Eine Klarstellung, p. 221 Giovanni Maria Staffieri, Mario Tosi, La barca sacra di Osiris nella monetazione alessandrina, p. 229 Fatma Barakat, Zu Agathos Daimon und seinen Darstellungen in der alexandrinischen Kunst, p. 237 Manfred Weber, Ægyptus in nummis, p. 243
Histoire des études alexandrines Erik Christiansen, Dattari, Milne, Curelly and 30-40,000 Alexandrian Coins, p. 253 Adriano Savio, Giovanni Dattari "egittologo", p. 275
Auteur / Authors p. 286
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |