Inizan, Marie-Louise - Rachad, Madiha: Art rupestre et peuplements préhistoriques au Yémen. Préface de Christian Robin, 21x30 cm, 242 p., 12 pl. couleur, fig. N/B dans le texte, ISBN2-909- 194-14-09782909194141
(Centre français d’archéologie et de sciences sociales de Sanaa 2007)
 
Compte rendu par Alain Gaulon, Université Paris I Sorbonne
 
Nombre de mots : 2425 mots
Publié en ligne le 2009-10-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=740
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       C’est en 1974 que sont découvertes les traces d’art rupestre autour de la ville de Saada par R. de Bayle des Hermans. Les premières collectes ont eu lieu en 1988 permettant la mise en place d’une mission franco-yéménite, entre 1989 et 1992, sous la conduite de M. Garcia et M. Rachad. Les résultats de cette mission ont permis la soutenance, à Paris, en 1994, d’une thèse par M. Rachad. Ce livre en est l’aboutissement. Deux objectifs sont énoncés : analyser l’importance de l’art rupestre dans la préhistoire du Yémen et montrer l’essor de la recherche depuis 1990 pour le sud de l’Arabie et le Yémen en particulier. Les textes présentés ici reprennent en partie un article de M. L. Inizan paru en 1997 et complété des données issues de la thèse de M. Rachad (1). C’est également la première publication du CEFAS (Centre français d’archéologie et de sciences sociales de Sanaa) dans la catégorie Préhistoire ; c’est dire si ce livre revêt une certaine importance.

          La lecture du sommaire est claire et cohérente même si les chapitres III et IV, sur l’environnement, auraient été plus utiles avant le chapitre II. Après une préface de Christian Robin, on peut diviser le livre en 3 grandes parties : la première partie, comprenant les quatre premiers chapitres, est une présentation synthétique de la situation de la préhistoire au Yémen ; la deuxième partie, constituée des chapitres V et VI, présente les données sur les occupations préhistoriques retrouvées autour de Saada et la troisième partie, avec les chapitres VII et VIII, concerne plus spécifiquement l’art rupestre. Enfin, les deux derniers chapitres, IX et X, fournissent les premières et provisoires informations sur deux nouveaux sites trouvés en prospection.

 

          La première partie présente le cadre tant géographique que géomorphologique et préhistorique dans lequel s’insère l’art rupestre de Saada. Bruno Marcolongo, dans un court chapitre III, présente l’environnement dans lequel se développe la préhistoire du Yémen en distinguant 5 zones géomorphologiques : la Tihāma, plaine côtière sédimentaire qui borde la mer Rouge ; la chaine montagneuse ; les plateaux orientaux dont la plaine de Saada ; le bassin de Ramlat as-Sab’atya et le Hadramawt à l’est. A. M. Lézine présente le paléoclimat dans le chapitre IV qui définit la « Période Humide Arabe ».

          M. L. Inizan présente les données disponibles sur le peuplement du Yémen (chapitre I et II). Aucun fossile humain antérieur à 10 000 ans n’a été retrouvé au Yémen et nous connaissons encore très mal les origines du peuplement de l’Arabie du sud. L’Holocène est mieux connu et trois périodes y sont distinguées : les chasseurs-cueilleurs (8000 – 6000 BP), le Néolithique (6000 – 3500 BP) et l’âge du Bronze (3500 – 2000 BP) (p. 10, n. 12 : il n’est pas précisé si les dates BP sont calibrées ou non).

          Le matériel lithique est la source principale voire exclusive des connaissances. Les premières découvertes en Arabie et dans la péninsule d’Oman avaient alors permis la mise en place de l’« Arabian Bifacial Tradition » mais M. L. Inizan souligne justement que cette définition repose sur une analyse limitée du matériel lithique réduit à un seul artefact et à une seule méthode de taille et n’a donc aucune pertinence culturelle ou chronologique (p. 25). Comme le montre la figure 8, p. 25, nous avons affaire à des chasseurs-collecteurs. Ces derniers se distinguent par des occupations temporaires et par des types d’armature, les pointes flûtées et les pointes de Wa’sha.

          L’auteur définit le Néolithique au Yémen par « une mutation dans le système de production dont la domestication est considérée comme élément majeur » (p. 25). Après un petit rappel de l’état des connaissances pour le Proche-Orient, elle parle des premières données archéozoologiques fournies par les missions italiennes dans la Tihāma, à l’est de Sanaa et dans le bassin de Saada. La chasse se focalise sur les bêtes à cornes tels les bouquetins ou les aurochs, ces derniers étant probablement les premiers animaux domestiqués. L’âne est un cas à part. D’origine africaine, il est abondamment chassé dans la Tihāma au VIIe millénaire. La chèvre et le mouton sont probablement des importations du Proche-Orient, les équivalents sauvages n’existant pas en Arabie du sud. Il y a une généralisation des animaux domestiques au VIe millénaire. Le cheval et le dromadaire apparaissent au IIe millénaire.

          L’agriculture est encore très mal connue, seulement connue par la présence induite par des restes dans les poteries, même si des traces d’agriculture en terrasse dans le Dhāmar sont perceptibles au IVe millénaire. Le sorgho, qui a été retrouvé en Oman, n’existe pas au Yémen.

          La culture matérielle n’est connue que par les assemblages lithiques (p. 28-33). L’accès aux ressources est facile et la matière est de bonne qualité. C’est le débitage à éclats qui domine. Le débitage bipolaire dit « naviforme » ou le débitage laminaire par pression sont absents. Malgré cette « pauvreté » il existe des marqueurs techniques : les pointes de Wa’sha, les pièces bifaciales, les pointes flûtées (type qui n’est connu qu’aux Amériques), les pointes triédriques et les microlithes et pièces esquillées. L’obsidienne est présente, à raison de quelques grammes sur chaque site, sans que l’on sache si elle provient des gîtes d’Arabie ou d’Afrique.

          Les autres industries se limitent à quelques outils en os et du matériel de mouture daté du VIe millénaire provenant de la région de Shabwa. La céramique n’est pas antérieure au IVe millénaire. La parure est connue par quelques coquillages percés datant du VIe millénaire (la mention de la planche 1, p. 37, est erronée). Le sol yéménite possède de nombreuses pierres fines mais l’artisanat semble très limité.

          Enfin, on ne connaît pas le monde funéraire du Néolithique au Yémen excepté peut-être une tombe au nord de Shabwa. Les nécropoles et les « mégalithes » apparaissent aux IVe et IIIe millénaires.

 

          La deuxième partie présente l’occupation humaine dans laquelle l’art rupestre se développe à partir de l’étude de trois sites situés autour de Saada : Jabal al-Makhrūq, Wādi Rūbay’ (Néolithique) et Jabal Ghubayr (âge du Bronze). Le chapitre V concerne la faune et le chapitre VI les industries lithiques. Cette dernière analyse a été faite non sur le terrain mais ultérieurement à partir des rapports de fouille. L’auteur étudie le matériel lithique (350 pièces) provenant de la surface et donc en trop mauvais état pour permettre une étude tracéologique. La matière est variée et souvent locale. La rareté des nucleus indique que la taille devait se faire en dehors des abris alors que la finition se faisait sur place. Le débitage se fait sur éclats avec parfois une finition par pression. Les outils sont peu variés : grattoirs, perçoirs, armatures (p. 61).

          La faune, étudiée par D. Hadjouis, est composée de 344 restes dont 60,33% sont identifiables. Les os sont fragmentaires et mal conservés. Ils correspondent à cinq grands vertébrés, aurochs, bœufs, buffles, bouquetins et ânes. On peut regretter l’absence d’un tableau de présentation synthétique des données. Il existe encore des problèmes de distinction entre le buffle et le bœuf que l’auteur décrit bien (p. 52). L’utilisation probable des bêtes est précisée sans que soit indiquée de courbe d’abattage. Le Néolithique se caractérise ainsi par une chasse sélective ou les bovidés sauvages, aurochs et bouquetins, qui sont plus importants que les ânes. La répartition des os indique que les bêtes sont abattues et décharnées en dehors des sites où sont ramenés les morceaux de viandes.

 

          L’analyse de l’art rupestre de la région de Saada forme la troisième partie. M. Rachad, dans le chapitre VII, tente une mise en contexte chronologique et stylistique des gravures et des peintures. Elle prend en compte 350 figures, dont 113 sont répertoriées dans le catalogue, tout en insistant sur le caractère provisoire de cette classification (p. 73 et 82). Les figures se présentent sous deux formes : les gravures, incisées, piquetées, raclées, et les peintures, faites au doigt, en rouge et noir parfois en vermillon. Ces gravures sont trouvées exclusivement sur le grès entourant la ville de Saada.

          Plusieurs solutions sont généralement proposées pour une datation : absence ou présence d’animaux disparus (buffles/aurochs, apparition du bœuf et du cheval et dromadaire), les superpositions, la comparaison avec des figures retrouvées en stratigraphie ou encore la patine et l’observation des techniques. La disparition de l’auroch et l’apparition du cheval et du dromadaire sont des éléments pertinents de datation.

          Quatre styles ont été déterminés suivant le mode de représentation et la période (p. 80-82). Les styles I et II comportent de nombreuses représentations d’animaux chassés, qui sont toutes datées du Néolithique. Le style II diffère par une plus grande profondeur de la gravure ; la peinture n’est pas utilisée. Le style III, daté de l’âge du Bronze, mélange gravure et peinture. Les espèces domestiques sont mieux représentées mais plus schématiques et on note la présence de mains faites au pochoir. Le style IV, daté du Bronze final et des périodes historiques, montre un développement des signes tribaux (les wusūm) ainsi que des représentations de chevaux et de dromadaires.

          Le même auteur, dans le chapitre VIII, analyse les gravures et peintures rupestres. C’est avant tout un art animalier : bouquetins, bovinés, quelques félins, des équidés et des serpents. Il existe quelques représentations humaines. La figure 38 est une bonne synthèse des données par périodes et par types. Pour les animaux les bovinés et les bouquetins sont représentés avec la même importance (21% chacun) et l’auteur insiste sur l’importance symbolique du bouquetin, signe de chasse rituelle pour protéger/augmenter les cheptels ou pour protéger les habitations. Il est curieux que le boviné, aussi représenté, ne soit pas pris en compte alors même que son importance symbolique est avérée dans d’autres régions comme le Proche-Orient. Les antilopes, les félins et les chacals sont peu présents. La représentation du serpent est constante avec 2% des figures, que ce soit au Néolithique ou au Bronze. Cela suggère également un intérêt symbolique pour cet animal ; on connaît par ailleurs son importance dans d’autres régions de la Péninsule Arabique (2). Les représentations humaines sont plus rares formant 12% de l’ensemble (p. 89-90). Les mains, symbole de protection, sont très peu représentées avec deux figures dont une en rouge et au pochoir à Saada de style III (3).

          M. Rachad compare enfin son corpus avec deux régions voisines, l’Arabie Saoudite et la Corne de l’Afrique (p. 90-93). On peut regretter que cette comparaison trop courte ne soit que chronologique.

 

          En conclusion, l’art rupestre apparaît vers le VIIe – VIe millénaire du côté des montagnes centrales. La chasse domine l’iconographie et l’emplacement de certains panneaux suggère une organisation complexe et élaborée (jeu de lumière avec le soleil). Il est regrettable qu’ils n’aient pas été analysés de manière approfondie. Existe t-il la possibilité de véritable mise en scène, d’une dynamique de groupe (les panneaux A.M.1 ou M.K.8) ? Nous avons affaire à des chasseurs de bouquetins et d’aurochs, l’âne étant chassé dans la Tihāma. La culture matérielle semble pauvre mais on aperçoit une très bonne maîtrise de certaines techniques de taille comme le flûtage. La domestication se développe à la fin du VIe millénaire. Les pasteurs prennent le pas sur les chasseurs, la peinture rejoint les techniques de représentation des animaux, domestiques pour l’essentiel.

 

          Le texte est clair, aéré et les illustrations, dont les très bonnes cartes d’Hélène David, sont utilisées de manière pertinente. Le catalogue est également bien fait avec des cartes de situation des gravures. Les données sont soigneusement présentées et mises en perspective sur la longue durée. La synthèse de M. L. Inizan, sans être novatrice, est très à propos et pourrait servir à tout étudiant souhaitant s’initier à l’archéologie du Yémen. Le catalogue de M. Rachad est très bien construit.

          On peut, toutefois, regretter que le soin apporté aux données et à leur analyse pâtisse d’un manque de rigueur dans la qualité des références et de la bibliographie. De nombreuses notes ont des auteurs qui ne se trouvent pas en bibliographie (Amirkhanov 1996 n. 3 p. 14, Tosi 1990, n. 5 p. 14, Caneva 1993 n. 53 p. 32 sont référencés avec de mauvaises années : Francaviglia 1996 au lieu de 1995 n. 8 p. 25 ; Cattani, Bökonyi 2002 au lieu de 2003 n. 18 p. 26, Wilkinson, Edens 1999 au lieu de 1997, Crassard, Bodu 2004 et non 2003 n. 45 p. 30 ; David 2002 et 2003 n. 4 p. 63, etc) ou encore sont mentionnés avec des fautes dans le nom (Keall pour Keal n. 1 p. 73, Gutherz et non Guttez dans la bibliographie). Inversement, sauf erreur de ma part, plusieurs auteurs, cités en bibliographie, ne sont pas présent dans les notes : Beestan 1948 ; Crassard 2005 et 2006 ; Di Mario 2002 ; Edens 1982 et 1999 ; Hachi 1979, Harrison 1968 ; Joussaume 1987, Khalidi 2007 ; Khan 1988, Khan et al.1986 ; Overtreet, Golier 1988 ; Toplyn 1991 ; von Rad et al. 1999 ; Whallen, Pease 1989.

 

          Il va de soi que ces oublis n’enlèvent en rien la qualité de la publication. Elle permet de faire le point sur la préhistoire du Yémen et porte un nouveau regard sur la région. À notre sens, ce livre peut être une référence par les données et les informations fournies. Il répond aux deux objectifs proposés en introduction : une mise en perspective des nouvelles recherches et donc des données actuelles mais aussi une connaissance plus approfondie de l’art rupestre qui se révèle un indicateur important dans l’analyse des occupations du Néolithique. Il n’est qu’à souhaiter que les recherches en cours, dans le Hadramawt par exemple, compléteront de belle manière les lacunes, importantes encore, sur le type d’occupation et la culture matérielle des populations anciennes. On peut enfin espérer une future comparaison de l’art rupestre, et pourquoi pas un axe de recherche commun, avec les données collectées actuellement dans le Wadi Ramm, en Jordanie, et dans les environs de Kilwa, en Arabie Saoudite (4).

 

Notes :

 

(1) Inizan M.L. 1997 Esquisse du peuplement préhistorique au Yémen. Chroniques yéménites, 6-6.

(2) Haerinck, E. 1998 Petroglyphs at Sinadil in the Hajjar Mountains (southeast Arabia) dans Phillips C.S., Searight A., Potts D.T. (eds) Abiel II: Arabia and its Neighbours: Essays on Prehistorical and Historical Developments Presented in Honour of Beatrice de Cardi. Turnhout, Brepols, 79–88 ; Benoist A. 2007 An Iron Age II snake cult in the Oman peninsula: evidence from Bithnah (Emirate of Fujairah). Arabian Archaeology and Epigraphy 18.1, 34-54 ; Rutten K. 2008 Snakes, Scorpions, and other Creepy, Crawling Creatures. Animals appliqués on the Pottery from ed-Dur (Umm al-Qaiwain, U.A.E.). Akkadica 129.2, 203-220.

(3) Fares S. (sous presse) La représentation de la main dans les gravures rupestres en Jordanie du sud. Actes du Colloque de Cerisy la Salle.

(4) www.wadiramm.com ; www.kilwa.com ; Fares S. (ed.) (en préparation) Wadi Ramm, Rapports préliminaires 1996-2004 (Vol. I).