Boscani Leoni, Simona : Essor et fonctions des images religieuses dans les
Alpes. L’exemple de l’ancien diocèse de Coire (1150-1530 env.) 703 p., nbr. ill. en couleurs et n/b. ISBN 978-3-03911-167-1 br. SFR 88.00 / €* 60.70 / €**62.40 / € 56.70 / £ 42.50 / US-$ 87.95
(Peter Lang, Bern, Berlin, Bruxelles 2008)
 
Compte rendu par Véronique Castagnet, Université d’Artois
 
Nombre de mots : 1306 mots
Publié en ligne le 2009-06-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=751
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    Le riche travail de Simona Boscani Leoni met en lumière une richesse patrimoniale propre aux Alpes (plus exactement l’ancien diocèse de Coire, diocèse implanté dans le Saint Empire romain germanique) : les peintures extérieures des édifices cultuels catholiques dans un espace compris au cœur du massif montagneux, de la Suisse orientale au Vorarlberg en passant par le Haut Adige. L’ouvrage se compose de deux parties différentes : une synthèse scientifique sur les éléments du corpus identifiés par l’auteur structurée en 4 parties et 10 chapitres (514 pages), et une partie d’annexes (comportant une chronologie des interventions sur lesdits bâtiments, des cartes, 45 planches photographiques en couleur, une abondante bibliographie et des index).
    Cet ouvrage rassemble des éléments susceptibles d’intéresser à la fois des historiens de l’art, les historiens du fait religieux et également les historiens des techniques, pour les périodes moderne et médiévale. Il se place à la suite d’une historiographie peu abondante constituée par les travaux d’André Grabar (dans les années 1930), de Jürgen Michler (1985) et de Dominique Rigaux (1992). Mais tous trois s’attachaient essentiellement à l’étude des décors de façade. Or Simona Boscani Leoni étend son travail à l’ensemble des peintures extérieures, privilégiant une approche plus complète dans la mesure où cette démarche incite à mettre l’étude de ces iconographies en rapport avec les pratiques religieuses et sociales des paroissiens. Le fait même de parler de Kommunalisierung (« émergence de l’organisation communale comme un moment central de l’évolution sociale et politique dans un vaste territoire du Saint Empire romain germanique », p. 45) indique ce souci constant d’associer image et fonction politico-sociale.

    L’auteur revient sur les conditions d’établissement de son corpus documentaire. L’homogénéité de ce dernier repose sur la typologie singulière de ces peintures : elles sont toutes représentées à l’extérieur des édifices religieux, traitant en revanche de thématiques classiques (représentation de figures de saints, de la Vie et de la Passion du Christ) sans pour autant répondre à un impératif de hiérarchisation qui fasse correspondre personnage et position sur les différentes parties de l’édifice (à l’inverse du programme iconographique interne des édifices cultuels) mais en admettant des combinaisons parfois complexes. La répartition ménage toutefois des préférences, liées à l’emplacement des peintures et à leur caractère omniprésent dans le paysage journalier des paroissiens. Quotidiennement, sous leurs yeux, sans nécessité pour eux de se rendre aux offices, leur sont rappelés le culte des saints (les saints universels étant plus souvent représentés que les saints locaux), ainsi que les différents moments-clés de la vie de la Vierge Marie (par ex. l’Annonciation) et de celle du Christ (par ex. la Passion), dans une volonté d’édification des fidèles et d’encadrement de la religion populaire.
 
    Le premier essor de ces images date du XIVe siècle, à un moment de luttes politiques entre seigneurs et de réorganisation ecclésiale du diocèse de Coire. Durant cette première période, ce sont les élites laïques et ecclésiastiques, bénéficiaires du droit de collation, qui figurent comme commanditaires de ces décors externes. Du XVe siècle (particulièrement après 1450) jusqu’au début du XVIe siècle (date terminale correspondant à d’importants troubles confessionnels et à des agitations paysannes), les initiatives relèvent davantage d’une volonté « communale », en liaison avec le degré d’autonomie de ces communautés rurales et des villes. Désormais il s’agit pour les familles influentes (anciens ministériaux de l’évêque, famille fortunées d’origine paysanne ou citadines), de se rendre plus visibles en étant commanditaires de telles peintures : d’ailleurs, apparaissent à proximité de ces peintures des signes identitaires très forts, à savoir les blasons des individus ou des familles commanditaires. Par ailleurs, la paroisse fait ainsi figure de « lieu d’attraction symbolique, religieux et politique du village » (p. 155).

    Au total, 86 églises sont recensées dans le corpus documentaire, soit 77 églises avec peintures in situ, 3 églises avec décors attestés, 6 églises ayant des peintures disparues et 9 des peintures sans datation. Dans tous les cas, se pose le problème de la conservation et du choix des meilleures techniques d’intervention pour lutter contre l’action des agents météorologiques, des micro-organismes (bactéries et champignons). Les hommes ont également causé des dégâts par des incendies et par des aménagements architecturaux postérieurs à la réalisation des peintures.
    Les influences artistiques observables dans l’ancien diocèse de Coire sont carolingiennes (cf. les cycles du monastère bénédictin Sankt Johann de Müstar vers 800), romanes voire byzantines (dans l’abside centrale de l’église de ce monastère, les peintures datées de 1160-1170), puis gothiques grâce à des ateliers itinérants d’Italiens (dans les Grisons et le Vorarlberg). L’auteur parle à ce sujet de « mosaïque de tendances artistiques » (p. 149) suivant deux circuits artistiques : celui du « métissage » ( « suivant un modèle centre-périphérie, typique dans la partie orientale du diocèse ») et celui des « voies parallèles » (« propre à la partie occidentale, de type décentré » p. 161). L’absence de documents d’archives ne permet pas de proposer une étude de l’activité des artistes eux-mêmes. Seuls trois artistes ont une identité certaine : l’atelier des Seregnisi (Nicolae et Cristoforo, habitants de la ville de Lugano et de Bellinzona), d’Antonio da Tradate (habitant de Locarno et actif dans la région du lac de Verbano) et du maître Venceslaus (campanile de la paroisse de Meran). La question de savoir s’il existait des ateliers spécialisés dans la réalisation de peintures sur les parois externes des églises est intéressante et les études montrent que la plupart des artistes étaient appelés spécialement pour ces tâches.

    Au sein des églises, la répartition des peintures relève de critères assez généraux : la nef est le lieu de représentation de cycles narratifs alors que la façade est ornée d’un « patchwork » d’images votives (surtout des saints) et l’arc triomphal des scènes suggérant l’idée de passage ou de seuil. Or pour les peintures extérieures, cette règle est entièrement bouleversée. Les peintures de nature narrative sont très marginales dans le corpus ; les compositions sont plus généralement à « patchwork » unifiant plusieurs figures de saints, parfois accompagnées d’images christologiques ou mariales. Il est à souligner que souvent l’analyse des peintures extérieures fait état de plusieurs époques, de plusieurs programmes iconographiques successifs, d’éléments repeints (les décors unitaires sont marginaux dans le corpus : 6 exemples seulement). La visibilité par les fidèles de la paroisse prime sur toute autre règle de répartition et nombreuses sont les stratégies d’association, de combinaison de ces images.

    L’analyse des commanditaires et de leur choix iconographique est importante pour comprendre la fonction religieuse, sociale et politique, voire magique des images peintes. Si pour les hauts commanditaires religieux (hauts prélats et abbés), les fresques externes paraissent des marques de pouvoir et de centralisation religieuse, pour les simples prêtres ou moines bénédictins en revanche dominent l’aspect dévotionnel et l’admonition des fidèles. Les  commanditaires les plus nombreux sont d’origine laïque : l’acte de générosité relève du besoin d’affirmation d’un individu ou d’une famille, face à l’émergence des communes et des paroisses au XVe siècle. Ces images témoignent alors aussi d’un nouveau sentiment religieux (la peur de l’Au-delà) et de la volonté de réaffirmer la présence ecclésiale au plus près des fidèles et de leur quotidien.

Sommaire abrégé de la synthèse scientifique

Partie I Les sources iconographiques
    Chapitre 1 Encadrement géographique et chronologique de la recherche

Partie II La production artistique dans un ancien diocèse alpin
    Chapitre 2 La vie artistique
    Chapitre 3 Les artistes et leur circulation : entre métissage et voies de création
parallèles
    Chapitre 4 Emplacement des peintures et leur fonctionnement

 

Partie III Les conditions historiques
    Chapitre 5 L’héritage du Haut-Moyen Age
    Chapitre 6 De la Querelle des Investitures au milieu du XIVe siècle
    Chapitre 7 La Kommunalisierung politique et religieuse (de 1350 à la Réforme)

Partie IV La polyvalence de l’image
    Chapitre 8 Les commanditaires : entre affirmation de pouvoir, image apotropaïque et image médium pour l’Au-delà
    Chapitre 9 Le choix iconographique : protéger, émouvoir, admonester
    Chapitre 10 La portée des peintures externes

Conclusion : un regard au-delà des montagnes.