Verbanck-Piérard, Annie - Massar, Natacha - Frère, Dominique: Parfums de l’Antiquité : la rose et l’encens en Méditerranée, catalogue d’exposition, Musée de Mariemont, 488 p., 28 cm,
ISBN : 2-930469-17-X (br.), EAN : 9782930469171
Prix : 43 euros
(Musée royal de Mariemont, Morlanwelz 2008)
 
Compte rendu par Caroline Durand, Université Lyon 2
 
Nombre de mots : 2402 mots
Publié en ligne le 2009-12-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=771
 
 

L’exposition sur la parfumerie antique présentée au Musée Royal de Mariemont entre le 7 juin et le 30 novembre 2008 a donné lieu à la publication de cet imposant ouvrage de près de 500 pages. Cette thématique de recherche fait l’objet, ces dernières années, d’un regain d’intérêt de la part de la communauté scientifique. Ainsi, la parution de ce catalogue d’exposition arrive presque immédiatement après celle d’un ouvrage intitulé Parfums et odeurs dans l’Antiquité (voir le compte rendu http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=487), paru également en 2008. Les deux volumes présentent nombre de contributeurs communs dont la plupart sont impliqués dans le programme de recherche de l’Agence nationale de la recherche ANR « Perhamo », coordonné par Dominique Frère, dans le cadre duquel s’est tenu encore récemment un colloque international à l’École Française de Rome. Mentionnons également l’exposition « Le bain et le miroir », qui s’est tenue jusqu’en septembre 2009 dans les thermes récemment restaurés de Cluny, et qui abordait la question des produits cosmétiques et des parfums de l’Antiquité au Moyen Âge (voir le compte-rendu du catalogue d’exposition http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=775).

 

Le présent ouvrage est divisé en sept parties regroupant en tout trente-six contributions, suivies de six cartes permettant de situer les textes dans leur contexte géographique, d’un catalogue d’une centaine de pages détaillant les objets présentés dans l’exposition et d’une conséquente bibliographie d’une vingtaine de pages. Après une préface de Claude Mossé, Annick Verbanck-Piérard et Natacha Massar exposent dans une longue introduction l’historique des recherches et les grandes lignes de cette exposition, placée sous le signe de la pluridisciplinarité. La première partie est constituée de quatre textes à teneur plutôt méthodologique. Dans ses deux contributions, Annick Allemand analyse, en premier lieu, les représentations liées aux bonnes et aux mauvaises odeurs dans la littérature antique puis étudie, en second lieu, le vocabulaire grec et latin en lien avec le domaine des odeurs et du parfum. Le texte de Béatrice Nicolas-Duval aborde ensuite la question des parfums antiques sous un angle original : celui de leur « recréation » et des problèmes méthodologiques qu’elle soulève (processus de fabrication, compositions). Enfin, Nicolas Garnier et Dominique Frère font le point sur les nouvelles techniques d’analyse de résidus organiques dans les contenants archéologiques et sur leurs apports et leurs limites dans l’étude des substances parfumées.

 

La suite de l’ouvrage est organisée suivant un plan à la fois chronologique et géographique. L’Âge du Bronze est traité rapidement dans la deuxième partie, à travers deux synthèses consacrées à l’Égypte pharaonique (Marie-Cécile Bruwier) et au monde grec (Élisabeth Dodinet). Les quatre parties suivantes constituent le corps de l’ouvrage à proprement parler. La troisième est largement tournée vers l’Étrurie avec six contributions abordant différents aspects : les échanges commerciaux à travers l’étude des vases à parfum mis au jour ou produits en Étrurie (Jean Gran-Aymerich), l’utilisation des huiles parfumées en contexte funéraire à travers l’étude iconographique de Jean-René Jannot et la synthèse archéologique de Vincenzo Bellelli, les liens avec le monde du sport (Jean-Paul Thuillier) et avec celui des élites (Dominique Briquel), enfin la question de l’usage de l’encens et de la nature des produits utilisés comme tel (Laurent Hugot). Un seul texte concerne la Grèce orientale à l’époque archaïque (N. Massar). L’auteur y propose de mettre en lien les nombreux conteneurs présents à Rhodes et l’existence possible d’une activité de fabrication de parfum sur l’île, peut-être basée sur la culture de la rose, son emblème.

 

La partie suivante, centrée sur Athènes aux époques archaïque et classique, est largement fondée sur l’étude de la céramique. Deux travaux confrontent les données archéologiques à l’iconographie. Le premier présente les trois principales formes de vases supposés contenir des parfums : le lécythe qui s’utilisait plutôt en contexte funéraire (Cécile Jubier-Galinier), l’alabastre associé au caractère exotique et luxueux des parfums, ainsi qu’au monde des femmes (Isabelle Algrain) et l’aryballe, « vase de l’athlète », lié au gymnase et à la sphère masculine, qui devait contenir de l’huile d’olive (Thomas Brisart). Le second texte est consacré aux brûle-encens (N. Massar). Les autres contributions intègrent les sources textuelles : Lydie Bodiou et Véronique Mehl étudient le rôle des parfums dans les rites de passage du monde grec (naissance, mariage, funérailles) ; le marché aux parfums d’Athènes renaît sous la plume d’Annick Lallemand ; Louise Bruit-Zaidman rappelle l’omniprésence de l’encens dans la société grecque (sacrifices sanglants ou végétaux, jugements, concours, assemblées) et son lien particulier avec certaines cérémonies, telle celle des Adonies liées au mythe d’Adonis, présenté en détail – ainsi que celui de Phaon – par A. Verbanck-Piérard à partir de l’étude de deux hydries à figures rouges provenant d’une tombe de Populonia (Étrurie).

 

La période hellénistique, durant laquelle l’usage des huiles parfumées augmente en raison de l’afflux de produits orientaux en Méditerranée, est traitée dans la cinquième partie qui met en lumière l’avancée des recherches archéologiques. Les découvertes d’ateliers de parfumeurs à Délos, Pompéi et Paestum permettent de mieux comprendre les techniques de fabrication connues également par les textes, tandis que l’épigraphie éclaire le statut social des parfumeurs (Jean-Pierre Brun). L’étude des vases à parfum, qui présentent une grande diversité de forme, de décor ou de matière, reflète quant à elle les identités régionales et les différentes qualités de produits (N. Massar). L’archéologie des parfums s’est, en outre, enrichie récemment grâce à la découverte en 2005 d’une tombe étrusque intacte à Chiusi (Mario Iozzo). Son riche mobilier, encore inédit, est en effet composé d’un coffret à produits cosmétiques et de divers objets de toilette : peignes en os, pinces à épiler, ainsi qu’un alabastre en albâtre contenant un résidu de préparation aromatique pour lequel les analyses chimiques ont livré quelques résultats préliminaires (Andrea Martelli). Enfin, la valeur thérapeutique attribuée aux substances parfumées nous est rappelée par une étude des ouvrages médicaux de l’Antiquité, qui atteste une augmentation du nombre de prescriptions durant l’époque hellénistique (Laurence Totelin).

 

La sixième partie de l’ouvrage est consacrée à l’époque romaine impériale, qui voit l’usage des substances aromatiques – et en particulier des produits exotiques – atteindre un tel développement que le parfum devient plus que jamais un produit de luxe (Eva Dubois-Pelerin) et, aux yeux de certains auteurs latins, le symbole de l’excès et de la décadence, comme dans le Banquet de Trimalcion (Germaine Guillaume-Coirier). Cette situation s’explique avant tout par le développement considérable des voies commerciales maritimes vers l’est, que les recherches archéologiques actuelles en Égypte (Bérénikè, Myos Hormos), en Arabie orientale (Ed-Dur) et en Inde (Bet Dwarka) s’attachent à éclairer (Alexis D’Hautcourt). Comme pour les périodes antérieures, l’épigraphie nous renseigne sur l’organisation et le statut social des parfumeurs, en majorité affranchis et esclaves, qui se répartissaient suivant quatre groupes distincts : les unguentarii, producteurs et vendeurs de parfums, les thurarii, producteurs et vendeurs d’encens, les pigmentarii (« droguistes ») et les seplasiarii (d’après la Seplasia à Capoue) particulièrement présents dans les camps militaires en tant que médecins (Marie-Thérèse Raepsaet et Françoise Allé). Parmi les multiples usages du parfum (Annika Devroe), sa présence est bien attestée en contexte funéraire, qu’il s’agisse de tombes communes ou de riches sépultures, comme l’illustrent les découvertes faites en territoire tongre, dans le nord de la Gaule (Claire Massart). En outre, l’utilisation de l’huile – parfumée ou non ? – dans le cadre sportif se généralise à partir du Ier s. ap. J.-C. et va de pair avec la diffusion des thermes, presque toujours équipés d’une palestre ou d’espaces destinés à l’entraînement physique (Jean-Paul Thuillier). Enfin, ne négligeons pas l’odeur des végétaux fraîchement coupés, symboles de fertilité, qui composaient les « couronnettes » que les mariées romaines portaient sous leur voile (G. Guillaume-Coirier).

 

Les senteurs de jardins (Odile de Bruyn) ouvrent également la septième et dernière partie de l’ouvrage qui propose un excursus chronologique dans l’Antiquité tardive et le monde médiéval. Les deux textes suivants s’intéressent ainsi à l’usage de l’encens dans les rituels chrétiens. Le premier se concentre sur la période de transition entre paganisme et christianisme (Ier-IVe s.), durant laquelle l’encens fut étroitement associé à l’idolâtrie et où le refus de pratiquer son offrande devint un marqueur de l’identité chrétienne à l’époque des persécutions (Annick Lallemand). À partir du haut Moyen Âge, l’encens joua un rôle dans les cérémonies funéraires, puis prit part au rituel de transfert des reliques, jusqu’à devenir un élément de plus en plus important lors des messes et à ce que ses usages se multiplient tout au long du Moyen-Âge dans la liturgie chrétienne (Catherine Gauthier). Le catalogue placé en fin de volume contribue à éclairer l’ensemble de ces contributions scientifiques. Tout en respectant l’ordre chronologique, les objets – pour beaucoup largement commentés et constitués principalement de contenants en céramique, en métal ou en verre – sont regroupés suivant des thématiques générales telles que « Le monde des hommes », « Les funérailles », « Le culte ». Le tout rend immédiatement perceptibles les spécificités typologiques et techniques propres aux différents contextes culturels (la plus flagrante étant l’adoption des récipients en verre à partir de l’époque romaine).

 

Au terme de cette lecture, on ne peut que saluer la volonté d’exhaustivité des auteurs et le large spectre chrono-géographique couvert par cet ouvrage et par l’exposition qu’il accompagnait. Tout au plus peut-on regretter que la Méditerranée orientale ait été un peu négligée et que le parti-pris chronologique entraîne quelquefois des redites entre les différentes parties. L’alternance entre synthèses et études de cas peut donner à l’ensemble un aspect un peu décousu mais saura satisfaire l’amateur curieux comme le spécialiste. La part belle est faite aux questions sociales et une lecture transversale permet de saisir l’importance du rôle des parfums dans les cultures méditerranéennes antiques, que ce soit dans la sphère quotidienne, dans les domaines funéraire et religieux, dans les contextes liés au sport et aux soins du corps, ou à travers leurs usages médicaux. Le parfum apparaît lié à la fois au plaisir des sens et à la spiritualité, et touche aussi bien le monde des hommes que celui des femmes. Par ailleurs, les questions techniques ne sont pas ignorées, avec plusieurs textes abordant les processus de fabrication ou la composition des parfums. Seules les questions économiques sont relativement peu abordées, peut-être par manque de sources. Sur le plan formel, on ne peut qu’insister sur la qualité esthétique de l’ouvrage qui, à défaut d’être agréable à sentir, l’est sans conteste à regarder. Le grand soin apporté aux illustrations (photographies et cartes) le fait indubitablement entrer dans la catégorie des « beaux livres ». On aurait seulement pu espérer un système de renvois plus clair entre les illustrations et les textes dans la partie catalogue : l’absence d’indications sur les photographies oblige le lecteur à rechercher la notice correspondante qui ne se trouve pas toujours sur la même page. En outre, certains objets ne sont pas illustrés. Enfin, quelques inévitables coquilles ont été repérées (« Itale » et « égptiennes » p. 97, « treminée » p. 302, « com-me » p. 312, confusion entre « ère » et « aire » p. 335), mais leur rareté ne fait qu’ajouter à la qualité générale de l’ouvrage. Bien plus qu’un simple catalogue d’exposition, celui-ci s’impose donc comme une véritable somme sur la parfumerie dans l’Antiquité.

 

Table des matières

Préface (C. Mossé) p. 13

Introduction (A. Verbanck-Piérard & N. Massar) p. 19

I. À la recherche des parfums antiques

L’imaginaire des parfums dans la littérature antique, d’Homère à Ovide (A. Lallemand) p. 37

Le vocabulaire des parfums (A. Lallemand) p. 45

La formule des parfums antiques : une affaire de nez ? (B. Nicolas-Duval) p. 53

Une archéologie de l’évanescent (N. Garnier & D. Frère) p. 61

II. Les antécédents : les traditions à l’Âge du Bronze

Essences et renaissance en Égypte pharaonique (M.-C. Bruwier) p. 75

Huiles et onguents parfumés dans le monde grec à l’Âge du Bronze (E. Dodinet) p. 83

III. De la Grèce de l’Est à l’Étrurie archaïque et classique

Vases à parfum de Grèce de l’Est : raffinement des formes et des couleurs (N. Massar) p. 97

Les Étrusques, la Méditerranée occidentale et les vases à parfum (J. Gran-Aymerich) p. 101

Le parfum dans les tombes orientalisantes étrusques (V. Bellelli) p. 111

Les inscriptions portées sur les vases à parfum étrusques (D. Briquel) p. 121

En Étrurie, le parfum représenté (J.-R. Jannot) p. 127

Huile et sport en Étrurie (J.-P. Thuillier) p. 135

Les Étrusques et l’encens (L. Hugot) p. 139

IV. Athènes archaïque et classique

Les vases à parfum à Athènes aux époques archaïque et classique (I. Algrain, T. Brisart & C. Jubier-Galinier) p. 145

Parfums de passage : naissance, mariage et funérailles en pays grec (L. Bodiou & V. Mehl) p. 165

Le marché aux parfums à Athènes à l’époque classique (A. Lallemand) p. 175

Les parfums et l’encens dans les offrandes et les sacrifices (L. Bruit-Zaidman) p. 181

Les thymiatèria dans le monde grec : état des lieux (N. Massar) p. 191

Adonis et Phaon, ou la séduction rêvée des images du Peintre de Meidias (A. Verbanck-Piérard) p. 207

V. La Méditerranée hellénistique

Vases à parfum de l’époque hellénistique : de la production courante au luxe raffiné (N. Massar) p. 217

Parfums et huiles parfumées en médecine (L. Totelin) p. 227

Parfumerie et parfumeurs aux époque hellénistique et romaine : technique, production et statut (J.-P. Brun) p. 233

Une parfumerie à Délos à la fin de l’époque hellénistique (J.-P. Brun) p. 245

La Tombe de la « Bella Signora » de Chiusi (M. Iozzo) p. 251

L’alabastre de la Tombe de la « Bella Signora » de Chiusi (A. Martelli) p. 261

VI. L‘époque impériale : Rome et ses provinces

Parfum et luxe à Rome (E. Dubois-Pelerin) p. 269

Senteurs artificielles et senteurs naturelles : parfums et couronnes dans « Le Banquet de Trimalcion » (G. Guillaume-Coirier) p. 277

La « couronnette » de la mariée romaine : un ornement qui n’en est pas un (G. Guillaume-Coirier) p. 281

Les métiers du parfum à Rome : le témoignage des sources épigraphiques (M.-T. Raepsaet & F. Allé) p. 287

Du bon usage des parfums à l’époque romaine (A. Devroe) p. 295

Huile et sport à Rome. Du gymnase aux thermes (J.-P. Thuillier) p. 305

Les objets et les produits de toilette dans les tombes de l’élite gallo-romaine tongre (C. Massart) p. 311

Les Romains et le commerce des aromates dans l’Océan Indien (A. D’Hautcourt) p. 317

VII. Autour de l’encens : l’héritage païen et les chrétiens

Du parfum de plaisir à l’odeur de vertu. Les senteurs de jardins de l’Antiquité tardive (O. De Bruyn) p. 327

L’encens et le christianisme, du Ier au IVe siècle après J.-C. (A. Lallemand) p. 335

L’encens dans la liturgie chrétienne du haut Moyen Âge occidental (C. Gauthier) p. 343

Cartes p. 352

Catalogue p. 361

Bibliographie générale p. 463