Bardiès Fronty, Isabelle - Walter, Philippe - Bimbenet-Privat, Michèle (dir.): Le Bain et le Miroir. Exposition au musée national du Moyen Âge - musée de Cluny et au musée de la Renaissance à Ecouen, du 20 mai au 21 septembre 2009. 352 pages et près de 400 illustrations, ISBN : 978-2-07-012454-1, 49 €
(Gallimard, Paris 2009)
 
Compte rendu par Véronique Castagnet, Université d’Artois
 
Nombre de mots : 1833 mots
Publié en ligne le 2009-09-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=775
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            L’ouvrage Le Bain et le Miroir. Soins du corps et cosmétiques de l’Antiquité à la Renaissance est avant tout un très beau livre, aux riches et nombreuses illustrations photographiques en couleur (plus de 400 en tout), agréable à regarder et à parcourir, qui réunit les plus éminents chercheurs et conservateurs, spécialistes de l’histoire du corps et de ses représentations. Il est à la fois une belle invitation à la visite de l’exposition, et une « madeleine » efficace de cette même visite.

            Sa composition originale pour un catalogue d’exposition ménage trois parties différentes et d’inégale ampleur : la première partie rassemble des études d’historiens et historiens de l’art, ce qui permet d’offrir aux lecteurs une approche synthétique de l’histoire des objets présentés lors de l’exposition ; la deuxième présente le catalogue des objets des collections du musée national du Moyen Âge de Cluny et du musée national de la Renaissance au château d’Écouen ; enfin, une bibliographie énumère les contributions récentes les plus importantes par rapport au thème retenu.

 

            Les neuf premières contributions, placées en tête de l’ouvrage, offrent aux lecteurs des approches synthétiques sur les principaux thèmes suggérés par le titre même de l’exposition et de son « catalogue » : les miroirs, les bains, la toilette, les fards, les matières des cosmétiques et la dimension spirituelle de certaines traditions liées aux pratiques corporelles. Dès la première étude, Georges Vigarello rappelle l’image matricielle, figée dès l’Antiquité grecque, même si les différents éléments de cette scène ont évolué dans le temps au gré des conditions sociales et au fil de l’histoire des goûts, de la mode et des techniques : une femme munie d’un miroir apprêtant ses cheveux, une domestique l’aidant en versant de l’eau dans un bassin d’ablutions placé à proximité d’une boîte à onguents.

            Durant l’Antiquité grecque classique, se développe une pratique aristocratique et masculine du bain.  Dans l’Empire romain se multiplient les ensembles monumentaux facilitant la diffusion d’une sociabilité dans les thermes, et nécessitant le développement de métiers spécialisés (les « masseurs », les « épileurs », les « parfumeurs » par exemple). En parallèle, le miroir rend une autre image de la femme : aux coiffures grecques au IVe siècle avant Jésus-Christ, constituées d’ondulations et de frisures parfois tombantes, succèdent de complexes coiffures à la romaine avec filets, nids-d’abeilles et nœuds serrés pour le premier siècle de l’Empire.

            Plus tard, au XIIIe siècle, en Occident, la beauté est souhaitée comme référence explicite à celle des saints et celle du Christ ; elle est aussi assimilée, par les chevaliers, à la vigueur. Si les instruments et les substances se peaufinent, si le bain peut devenir synonyme de plaisir, le recours à l’artifice et aux bains voluptueux est de plus en plus critiqué par les autorités religieuses car assimilé, au-delà d’un mensonge, à une impureté. En plus des établissements publics, on assiste à la multiplication des bains privés, dans les demeures seigneuriales.

            Des soucis hygiéniques apparaissent avec de grandes inquiétudes dès les XIIIe-XIVe siècles puisque les étuves sont jugées dangereuses en raison de la transmission possible des maladies et épidémies, au premier rang desquelles la peste. Les bains sont ainsi critiqués à l’aube de la Renaissance et pour des raisons religieuses et pour des motifs sanitaires. Seuls semblent épargnés les bains aristocratiques, à l’abri des châteaux (cf. par exemple les bains du château de Fontainebleau). La représentation du bain est désormais plus allégorique. La pratique de la toilette devient plus intensive grâce aux parfums, au développement de nouvelles pratiques (essuyage, frictions). Les instruments anciens enfin se renouvellent, s’enrichissant de nouvelles matières et formes. Tous ces nouveaux éléments accompagnent le changement de la place de la femme dans la société occidentale.

            Isabelle Bardiès-Fronty et Philippe Walter approfondissent ensuite la question de la cosmétique et des soins du corps durant l’Antiquité, grâce au croisement des informations contenues dans les textes littéraires et les sources historiques d’une part, les vestiges archéologiques (en particulier les fouilles des tombes pour les périodes romaines et mérovingiennes, les trésors pour la période médiévale) et leur analyse scientifique d’autre part. Michèle Bimbenet-Privat insiste, pour la Renaissance, sur les continuités observées par rapport à la période médiévale, à cette nuance près que les traces archéologiques s’amenuisent considérablement. Ainsi, ce sont les matières employées pour la beauté au temps de l’Antiquité romaine qui sont désormais les plus connues, grâce aux travaux menés par le centre de recherches et de restauration des Musées de France, en collaboration avec l’Oréal Recherches. La première matière est préparée à partir de plomb, de façon identique et dans l’Antiquité et de nos jours, et porte actuellement le nom de blanc de céruse : d’un blanc éclatant, employé pour le visage des femmes, cette substance peut s’avérer dangereuse. Le rose provient d’un mélange de vermillon ou d’ocre, plus ou moins éclairci par des pigments blancs (argile, craie ou céruse). De nombreux instruments permettent aux femmes de préparer leur peau (des outils comme des spatules, des cuillers ; des tissus, des éponges, des pierres ponce...). La teinture de la chevelure est également un élément important de la beauté à l’époque romaine : la lysimaque, plante naturelle, aboutit à la blondir, le brou de noix ou les feuilles de henné donnent une couleur rouge à des cheveux blancs.

            Cette approche scientifique éclaire sous un jour nouveau les sources littéraires (en particulier les écrits de Galien), dépouillées par Évelyne Prioux. Pour cette dernière, les couleurs dominantes sont le blanc (pour unifier le teint), le rouge (pour accentuer la couleur des joues et des lèvres) et le noir (soulignant le contour des yeux, sur les cils et sourcils). De précieuses indications sont contenues dans des ouvrages spécialisés sur les fards et les cosmétiques, écrits par de grandes plumes, écrivains (comme Ovide), médecins (Archigénès d’Apamée et Criton, Galien), ou des personnages politiques de premier plan (Cléopâtre VII).

            Élisabeth Taburet-Delahaye revient sur les traditions antiques et les apports orientaux en ce qui concerne le soin corporel au Moyen Âge, à partir de sources plus rares : les objets de la vie profane médiévale. Certains maintiennent une ambiguïté : par exemple, aquamaniles et gémellions sont employés au lavement des mains dans la vie quotidienne, et également servent au cours de cérémonies liturgiques.

            Deux contributions se répondent : celle d’Isabelle Bardiès-Fronty traite du bain public dans l’Antiquité, et celle de Thierry Crépin-Leblond des appartements des bains à la Renaissance. Tous deux expliquent l’évolution des pratiques liées aux usages corporels de l’eau, de la sphère publique, à la sphère privée et intime, ce qui suppose par ailleurs, d’importants changements dans l’architecture civile.

            Enfin, Cécile Scailliérez analyse la toilette comme un genre à la croisée des genres. Elle montre comment le thème de la dame à sa toilette est devenu une sorte de genre en soi « à la fois plus intime et plus idéal que le portrait, plus ambitieux et allégorique que la scène de genre, plus prosaïque et moins narratif que la fable, plus réaliste et anecdotique que l’allégorie. » (p. 63).

 

            À ces diverses contributions qui ne sauraient  être considérées comme une simple introduction, succède un catalogue raisonné qui surprend le lecteur par la richesse de l’iconographie, la qualité des notices explicatives et l’élégance de la mise en page. L’ensemble des objets présentés lors de cette exposition est ordonné selon une démarche thématique, ce qui permet aux différents auteurs de suggérer une évolution chronologique et/ou spatiale.

            Laurent Olivier retient le Gaulois se suicidant après avoir tué sa femme (p. 77), Anaïs Boucher étudie la stèle d’un parfumeur dit « le parfumeur de Capoue » (p. 111), alors que Stéphane Martin revient sur la signification des portraits impériaux (hommes et femmes) et leur diffusion à partir des collections du cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France (p. 145, par exemple, médaillon d’Hadrien). Plus loin, Nicole Rodrigues, en collaboration avec Jean-François Goret, analyse plusieurs objets médiévaux dont un miroir convexe de la fin du XVe siècle (p. 207). De nombreuses statues en bois polychrome permettent à Isabelle Bardiès-Fronty et Raphaël Chamak de proposer des critères de la coiffure médiévale, pendant qu’Adeline Rucquoi, en étudiant les manuscrits médiévaux, propose une hypothèse quant à la circulation des savoirs en Occident.

 

 

            La seconde partie de ce catalogue concerne des objets conservés au musée national de la Renaissance pour lesquels Michèle Bimbenet-Privat signe les commentaires et notices. Elle retient en particulier une gravure de Dürer Le Bain des hommes pour montrer l’évolution des pratiques sociales liées aux usages corporels de l’eau (p. 254), ainsi qu’une gravure de Virgil Solis Le Bain public dit Bain des anabaptistes (p. 258). Comme exemple de traités consignant des secrets de beauté, elle présente une reproduction de l’Instruction pour les jeunes dames par la mère et la fille d’alliance de Marie de Romieu, à côté du frontispice de l’ouvrage de David Rivault de Fleurance L’Art d’embellir tiré du sens de ce sacré paradoxe : la sagesse de la personne embellit sa face, estendu en toute sorte de beauté, et ès moyens de faire que le corps retire en effect son embellissement des belles qualitez de l’Ame (p. 290). Elle illustre le cérémonial de la toilette grâce à de nombreuses références picturales de la Renaissance, dont le tableau de Toussaint Dubreuil Hyante et Climène à leur toilette (p. 304). Enfin, elle souligne combien les préparations « chimiques » des parfums et senteurs sont instables à la Renaissance et se prêtent mal à une conservation durable, ce qui accorde une plus grande importance aux bijoux de senteur (pommes ou poupées de senteur, en argent doré, en forme de grenade, s’ouvrant à six ou huit quartiers).

 

Sommaire de l’ouvrage

Miroirs et bains de l’Antiquité à la Modernité (Georges Vigarello) p. 14

Le Bain et le Miroir, soins du corps et cosmétiques de l’Antiquité au Moyen Âge (Isabelle Bardiès-Fronty et Philippe Walter) p. 23

Le Bain et le Miroir, soins du corps et cosmétiques à la Renaissance (Michèle Bimbenet-Privat) p. 29

Fards et cosmétiques dans les sources littéraires antiques (Évelyne Prioux) p. 35

Les matières de la beauté (Philippe Walter) p. 41

Entre sacré et profane, traditions antiques et apports orientaux : les objets du soin corporel au Moyen Âge (Élisabeth Taburet-Delahaye) p. 47

Le bain public dans l’Antiquité (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 53

Les appartements des bains en France à la Renaissance (Thierry Crépin-Leblond) p. 59

La toilette : un genre à la croisée des genres (Cécile Scailliérez) p. 63

 

1. Soins du corps et cosmétiques de l’Antiquité au Moyen Âge (Musée de Cluny, Musée national du Moyen Âge). Catalogue p. 73

 

L’image du  Gaulois (Laurent Olivier) p. 76

Le décor intérieur des thermes (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 80

Le corps dévoilé d’Aphrodite (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 86

Au bain ! (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 92

La beauté et la mort (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 102

Secrets de beauté : les crèmes et les huiles parfumées (Anaïs Boucher) p. 108

L’analyse des onguents (Philippe Walter et Elsa van Elslande) p. 114

Les analyses chimiques des fards (Philippe Walter et Elsa van Eslande) p. 126

Le modèle impérial : originaux et déclinaisons (Stéphane Martin) p. 142

La coiffure dans l’Antiquité, un art de vivre (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 156

Le beau et l’utile : une industrie du luxe au service de la toilette (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 164

Des formes qui traversent le temps (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 180

Le renoncement (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 190

L’archéologie de la toilette médiévale (Nicole Rodrigues et Jean-François Goret) p. 202

La coiffure médiévale (Isabelle Bardiès-Fronty et Raphaël Chamak) p. 214

La circulation du savoir (Adeline Rucquoi) p. 224

Cachez ce sein... Le bain au Moyen Âge (Isabelle Bardiès-Fronty) p. 234

 

2. Soins du corps et cosmétiques à la Renaissance (Musée national de la Renaissance – château d’Écouen). Catalogue p. 245

 

Des étuves populaires au bain aristocratique : images et réalités (Michèle Bimbenet-Privat) p. 248

La littérature cosmétologique : traités et secrets de beauté (Michelle Bimbenet-Privat) p. 280

Le cérémonial de la toilette vu par les peintres de la Renaissance (Michèle Bimbenet-Privat) p. 298

Bijoux de senteur (Michelle Bimbenet-Privat) p. 322

 

Bibliographie p. 338