| Isman, Fabio : I predatori dell’arte perduta. Il saccheggio dell’archeologia in Italia. 25.000 opere ritrovate e fotografate. I personaggi inquisiti, i musei coinvolti. Un milione di oggetti trafugati e ricettati. 15 x 21 cm, 256 pagine, 60 colori e b/n, brossura, € 19,90
ISBN 9788861309494 (Skira, Milano 2009)
| Reviewed by Laurent Haumesser, Université Grenoble 2 Number of words : 1202 words Published online 2009-12-14 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=803 Le livre de
Fabio Isman est d’actualité, puisqu’il s’inscrit dans le prolongement de deux
événements récents : d’une part le procès retentissant dans lequel ont été
impliqués à Rome Marion True (une ancienne responsable du J. Paul Getty
Museum de Malibu) et plusieurs personnages
troubles du commerce international d’antiquités, et d’autre part le retour très
médiatisé en Italie de chefs-d’œuvre archéologiques exhumés et exportés
illégalement (cf. le catalogue de l’exposition de Rome (cité en note) : L.
Godart et S. de Caro (éd.), Nostoi. Capolavori ritrovati, Rome, 2007). Ces deux affaires ont mis sous les
projecteurs le phénomène pourtant ancien, voire endémique, du pillage du
sous-sol italien au profit de grands collectionneurs privés et de trop
nombreuses institutions muséales. L’auteur, qui a suivi de près le procès
Getty, se fonde sur cette histoire exemplaire pour mettre en lumière les
arcanes du trafic des pièces archéologiques provenant de la Péninsule, dressant
un tableau aussi effarant que désolant de l’ampleur du système des
« prédateurs » à l’œuvre, et donnant la mesure de la gravité du
désastre que représentent ces fouilles sauvages pour le patrimoine italien.
L’auteur
s’attache à rendre compte des différents niveaux de responsabilité, depuis les tombaroli du dimanche jusqu’aux grands musées européens et
américains ; il met surtout en évidence le rôle-clé des intermédiaires,
qui contrôlent des régions entières (ainsi Giovanni Medici pour l’Étrurie et
Gianfranco Becchina pour l’Italie méridionale), et des quelques
marchands-trafiquants (Robert Hecht et Robin Symes) qui, du point de vue
économique, sont les grands bénéficiaires du système. À cet égard, le chapitre
8 (« Dramatis personae :
alcuni protagonisti ») est le chapitre central du livre : il donne à
voir l’organisation du système plus clairement et plus synthétiquement que les
chapitres précédents et suivants, qui multiplient les cas, dans des récits
passionnants, mais dont l’accumulation (et parfois la répétition, comme pour le
Visage d’ivoire auquel sont
consacrés le chapitre 1 et plusieurs pages du chapitre 7) nuit en partie à la
clarté de l’ensemble.
L’enquête repose surtout sur l’action
des carabiniers et de la justice italienne, qui ont partiellement remis en
cause ces dernières années le fonctionnement des filières. Elle exploite ainsi
un certain nombre de documents saisis, comme les photographies des œuvres à
différents stades de leur histoire clandestine : en cours de fouilles (comme
les fresques romaines d’une villa non localisée de la région du Vésuve), à
peine sorties de terre, ou déjà restaurées par des spécialistes au service des
marchands et entassées dans des entrepôts secrets. Cette documentation
précieuse révèle de nombreuses pièces qui ne sont pas (encore ?)
réapparues sur le marché, soit qu’elles attendent des jours meilleurs dans
d’autres réserves clandestines, soit qu’elles aient déjà été reversées dans des
collections privées inaccessibles. C’est le cas par exemple d’une version
inédite du modèle du sarcophage étrusque des Époux (fig. 6), dont les deux
grands exemplaires attestés font la fierté du Louvre et du musée de la Villa
Giulia à Rome : le polaroïd reproduit ne permet malheureusement pas de
juger plus précisément le monument – à commencer par son authenticité : le
trafic favorise également les faussaires. Mais dans bien d’autres cas, il est
possible de suivre les œuvres illustrées sur ces photos jusque dans les salles
des grands musées ; comme le montrent les photos reproduites (fig. 19-20
et 23), Medici et Hecht se plaisent d’ailleurs à se prendre en photo devant les
vitrines des chefs-d’œuvre qu’ils ont fournis au Getty ou au MET. Par ailleurs,
la justice a pu disposer de la correspondance entre Marion True et les
marchands, qui évoquent les pièces exhumées et attendues au Getty Museum :
comme l’attestent plusieurs passages cités par Isman, ces lettres ne laissent
guère planer le doute sur la part prise par le conservateur dans ce système
frauduleux – le chapitre 9 (« Il "caso Getty" ») est
consacré à cette affaire.
Si la
documentation ne fait donc pas défaut au livre, on regrettera en revanche
l’absence de témoignages plus directs des personnes impliquées : certes
les fouilleurs clandestins livrent volontiers à l’auteur les récits édifiants
de leurs expéditions, mais on aurait aimé en savoir davantage sur les grands
protagonistes que les quelques phrases arrachées à Hecht durant un intervalle
du procès (p. 139-140). On reste également dans un certain flou sur la question
du ralentissement et du déplacement du trafic, évoquée à plusieurs reprises
(cf. notamment p. 203-204) : si l’on conçoit que les affaires récentes
aient porté un coup dur à quelques grands marchands, on souhaiterait en savoir
davantage sur les nouvelles régions touchées et sur les nouveaux circuits mis
en place.
L’analyse
menée fait une part à la réflexion sur le contexte politique et législatif dans
lequel s’est développée l’activité des « prédateurs ». Comme le
rappelle Isman (chapitres 5 et 6), le trafic est favorisé par le manque de
moyens du ministère des Beni culturali
et par l’inadéquation du cadre législatif : suivant une formule plusieurs
fois utilisée dans le livre (et qui permet à l’auteur de glisser une référence
un peu hors de propos à un travail précédent sur l’origine italienne des
jeans : p. 35, n. 36), le vol à l’étalage d’un jean est plus durement
sanctionné que le commerce illicite d’œuvres d’art. L’historique du système
législatif italien de protection du patrimoine archéologique est rappelé à la
fin du livre (pp. 192-195 ; sur ce sujet, on se reportera au livre de P.G.
Guzzo, Archeologa e antico,
Bologne, 2004²) et débouche sur quelques propositions, émanant pour certaines
des magistrats et des carabiniers spécialisés dans la lutte contre ces
trafics : le maintien du recours aux écoutes (menacé par un projet de lois
du gouvernement Berlusconi), l’aggravation des peines encourues ou encore la
possibilité d’une amnistie conditionnelle, qui permettrait de récupérer une
partie du patrimoine perdu. Tout cet aspect aurait sans doute mérité d’être
davantage développé, de même qu’on aurait aimé en savoir davantage sur certains
aspects sociaux et économiques du sujet : ainsi les rapports entretenus
dans certaines régions entre les fouilles clandestines et le crime organisé,
auxquels il est fait ici et là allusion (notamment p. 170). En revanche,
l’auteur aurait pu épargner au lecteur le passage trop rapide et mal venu sur
les liens supposés entre le trafic de pièces archéologiques et Atta, le terroriste
du 11 septembre (ibid.) où la
rigueur de l’information est sacrifiée au goût douteux du sensationnel.
On touche sur
ce point aux limites de ce livre, qui a les défauts de ses qualités : un
récit richement informé et très vivant mais, comme nous l’avons déjà signalé,
parfois difficile à débrouiller (signalons une petite erreur factuelle :
le siège d’Interpol est à Lyon et non à Paris) ; des citations de
spécialistes disséminées dans le texte et pour lesquelles il est parfois
difficile de comprendre s’il s’agit de propos repris, d’extraits de véritables
entretiens ou (pour certains archéologues qui font au détour d’un paragraphe
une apparition fugitive – comme M. Barbanera p. 117) de propos attrapés dans
des couloirs d’université ou de tribunaux ; enfin, des références
bibliographiques perdues dans les notes à la fin de chaque chapitre et qui font
la part belle aux articles de l’auteur sur lesquels se fonde apparemment ce
livre : il eût été ici préférable de regrouper les principaux travaux
cités dans une bibliographie à la fin de l’ouvrage. On rappellera en
particulier (ils sont cités) les deux numéros du Bollettino d’arte (Allegato al n. 89-90, 1995 et Supplementoal n. 101-102, 1997),
correspondant à la publication de deux colloques sur les « Antichità
senza provenienza », où est analysée
la situation des fouilles clandestines dans les différentes régions d’Italie,
ainsi que le livre de Daniel Graepler et Marina Mazzei, Provenienza :
sconosciuta ! Tombaroli, mercanti e collezionisti : l’Italia archeologica
allo sbaraglio, Bari, 1996, sur la
situation dans les Pouilles.
Il reste que,
au-delà de ces quelques réserves, le livre militant de Fabio Isman a le grand
mérite d’attirer l’attention d’un public plus large sur les conséquences
dramatiques pour le patrimoine italien et pour la science de ces décennies de
pillage.
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