Müller, Felix: L’art des Celtes, 700 avant à 700 après J.-C. Exposition au musée historique de Berne, 18 juin au 18 octobre 2009, puis au musée régional du Bade-Wurtemberg, 304 pages, 28 x 24.5 cm, 450 illustrations en couleur, ISBN 978 90 6153 862 2,978 90 6153 863 9, 44.95 euros
(Editions Fonds Mercator, Bruxelles 2009)
 
Recensione di Germaine Leman-Delerive, Université de Lille 3
 
Numero di parole: 1267 parole
Pubblicato on line il 2009-10-31
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=812
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          Prévu pour accompagner l’exposition présentée au Musée historique de Berne puis au Landesmuseum Württemberg de Stuttgart, ce beau livre ne remplit pas le rôle d’un catalogue dans sa formulation habituelle . Il a été conçu, aux dires mêmes de l’auteur, comme un ouvrage autonome. C’est en effet un livre synthétique qui rassemble en trois grandes parties acquis et connaissances sur l’art celtique.

          La première partie intitulée Histoire, archéologie et art, résume un certain nombre de données classées de façon chronologique, après un premier chapitre de définitions. En second lieu, un catalogue dénombre quarante objets significatifs de l’art celtique depuis le VIIe s. av. J.–C. jusqu’au VIIIe s. de notre ère. La troisième section offre un recueil de 101 motifs d’art celte. Suivent ensuite en annexe une carte, un index des principaux sites et lieux de découvertes mentionnés dans l’ouvrage, une bibliographie fournie, classée par chapitres.

          Après une série de photos qui flattent l’œil, l’ouvrage s’ouvre par un tableau chronologique. À l’inverse des ouvrages auxquels sont habitués les archéologues, celui-ci n’est pas construit sur les définitions typo-chronologiques habituelles, mais il met en concordance les événements propres à la Grèce, à Rome, distinguant aussi le déroulement de l’histoire celte d’une part, et de l’art celte d’autre part.  La chronologie utilisée avec raison dans le volume, on le comprend aussitôt, est une chronologie absolue. C’est en effet, aujourd’hui, la seule expression commode du temps en protohistoire, du moins récente.

 

          La partie synthétique débute par une série de définitions et de rappels historiques. Qui sont les Celtes, qu’est-ce que l’art ? L’auteur définit le statut de l’artisan à partir des concepts propres au monde classique, avec lequel il sous-entend ainsi une certaine analogie. Il détaille ensuite les différents matériaux sur lesquels s’illustre l’artisan celte et passe en revue les techniques du fer, du bronze, de la céramique… Enfin ce chapitre rassemble quelques données littéraires comparant encore le sentiment identitaire chez les Grecs et les Romains avec ce qui apparaît au contraire comme un émiettement dans le monde parlant la langue celtique. Le développement de la synthèse se poursuit ensuite de façon chronologique. Un premier chapitre intitulé Aux sources du Danube, du VIIe au Ve siècle av. J.-C, décrit les sépultures exceptionnelles au mobilier fastueux, révélateur des relations avec le monde méditerranéen : cette période coïncide en effet avec l’érection des grands tumulus, dont la taille imposante fut souvent cause de destruction, ou du moins de fouille ancienne (Ins, Magdalenenberg, Apremont…) et qui ont pour corollaire un habitat fortifié au sort variable : retenons par exemple le site de Bourges, à la surface d’occupation déjà vaste au Ve s. et qui se développa encore jusqu’à l’époque césarienne, alors que la Heuneburg connaît une désaffection dès le milieu du Ve s.  À partir du VIIe s., cette opulence révèle la mise en place d’une élite qui imite les modes funéraires (et aussi domestiques) des populations méditerranéennes et, pour l’auteur, surtout étrusques. Le mode d’ornementation privilégié des objets, céramique ou métallique, est avant tout de schéma géométrique.

 

           La période suivante, entre le Ve et le IIIe s. av. J.–C, trahit plus précisément la place de l’Italie, des Balkans et de l’Asie Mineure dans l’évolution de l’art celtique si on en croit le titre même du chapitre : à partir d’analyses littéraires, l’auteur y détaille clairement l’importance des mouvements de populations celtes vers l’Italie et rend compte ensuite des transformations de l’art celte au contact des influences grecques, directes  ou indirectes, donnant naissance au « premier style ». Celui-ci s’exprime souvent par nombre de masques, de figures grotesques ; l’un des motifs essentiels est le personnage dit maître ou maîtresse des animaux mais d’autres, purement décoratifs comme les palmettes ou les fleurs de lotus sont aussi sources de transformations, de transpositions dans une autre esthétique. L’usage du compas est bien attesté dès le Ve s. Le siècle suivant se caractérise par le style dit de Waldalgesheim qui s’exprime surtout dans la réalisation de rinceaux ondulés et de lyres, les figures et les masques tendant à disparaître. Ici aussi, l’influence grecque est pour l’auteur prépondérante.  Cette dernière forme d’expression se développe encore pour donner naissance aux styles tardifs, appelés style plastique et style des épées. Les mêmes motifs sont désormais exprimés en volume, dans les trois dimensions. Le style des épées, à l’inverse, est graphique et, comme son nom l’indique, développe surtout sur les fourreaux d’épée et les pointes de lance, des rinceaux, des griffons symétriques.

 

          Le troisième chapitre (au cœur de l’Europe du IIe siècle av. J. –C. à la naissance du Christ) fait une large part au texte césarien mais aussi aux découvertes des dernières décennies en Gaule du Nord ou en pays trévire. Si l’imagination créatrice semble s’essouffler, l’auteur souligne néanmoins le raffinement dans la décoration de certains objets exceptionnels, comme les torques d’or. Mais ce qui peut correspondre à un relatif déclin sur le continent, coïncide en revanche avec un développement brillant dans le sud de l’Angleterre comme en témoignent par exemple les dépôts d’Ipswich et de Snettisham. Autre témoin de ce développement, la peinture des vases du centre de la France, aux environs de Clermont- Ferrand.

 

           Les deux dernières sections sont consacrées aux survivances de l’art celtique sur le continent, mais surtout dans les îles britanniques et en Irlande. La Gaule se romanise et les expressions artistiques celtiques se prolongent seulement dans les statues de bois (trouvées dans les sanctuaires des eaux), de pierre (taillées parfois comme celles en bois), de bronze. Des éléments antérieurs comme le port d’un torque, l’adjonction d’animaux laissent supposer une origine pré-romaine de la divinité. Quelques pages sont accordées à la description des pièces majeures qui constituent, au dire de l’auteur, l’âge d’or de la décoration graphique sur métal. L’originalité de ces objets provient surtout de l’utilisation magistrale de l’émaillerie, certes déjà connue sur le continent aux époques antérieures mais qui atteint ici un degré d’habileté exceptionnel. Cet art ne franchit pas la fin du premier siècle ap. J.–C. dans le climat de romanisation générale. En revanche, l’ornementation de style celte se poursuivra, dans les régions non romanisées comme l’Irlande, dans les œuvres paléochrétiennes.

 

          Le catalogue rassemble 40 « chefs d’œuvre » de l’art celtique. Il faut souligner ici l’intérêt particulier de ces textes qui sont plus riches que les habituelles notices de catalogue. Chaque objet, ou groupe d’objets est remis dans son contexte, les textes étant rédigés parfois par quelques collaborateurs, spécialistes de tel ou tel site (on citera en particulier les textes de T. Hoppe, S. Bollinger Schreyer, M. A. Guggisberg, J. –J. Charpy, V. Guichard). Bien sûr, la fastueuse tombe de Hochdorf y tient une place de choix mais on n’y trouvera guère de chef d’œuvre inédit.

          L’ouvrage se ferme par un catalogue de motifs de l’art celte. Cette recension des différents thèmes est classée par ordre chronologique et typologique, avec indication de l’origine du dessin et de sa chronologie. Le but poursuivi est de faire la démonstration des nombreuses connexions entre les types d’ornementation celtique dans l’ensemble des régions et des périodes.

 

          On retiendra particulièrement cet ouvrage pour la qualité de son illustration et pour la prudence de son auteur. Les différentes hypothèses en cours sur un certain nombre de chapitres sont honnêtement énoncées, sans prise de position nette de l’auteur. On regrettera néanmoins l’absence de pièces inédites, voire de clichés novateurs. La cartographie reste un peu limitée par le choix d’une position dans une maquette en deux colonnes par page. Mais il n’en reste pas moins que cet ouvrage constitue un volume de qualité, une excellente synthèse qu’on prendra plaisir à feuilleter, à lire et relire.