Marechal, Dominique: Alfred Stevens (Bruxelles, 1823 - Paris, 1906), exposition aus Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles (8 mai - 23 août 2009), et au Van Gogh Museum, à Amsterdam (18 septembre 2009 - 24 janvier 2010). 208 pages, 27 x 22 cm, 150 illustrations en couleur, ISBN 978 90 6153 874 5, 34.95 euros
(Editions Fonds Mercator, Bruxelles 2009)
 
Compte rendu par Celine De Potter, Université Charles-de-Gaulle, Lille 3
 
Nombre de mots : 1605 mots
Publié en ligne le 2011-01-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=813
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           L’ouvrage Alfred Stevens, Bruxelles-Paris, 1823-1906 est le catalogue de l’exposition éponyme organisée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles du 8 mai au 23 août 2009 et au Van Gogh Museum à Amsterdam du 18 septembre 2009 au 24 janvier 2010.

 

           Réalisée sous la direction de Dominique Maréchal, conservateur de la section peinture du XIXe siècle aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, et de Danielle Derrey-Capon, attachée au Centre international pour l’étude du XIXe siècle, cette exposition, complétée par un numéro spécial des Cahiers des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique consacré à « Alfred Stevens (1823-1906) et le Panorama de l’histoire du siècle » (n° 5, Gand : Snoeck, 2009), s’inscrit dans le cadre d’un travail partenarial entrepris par les Musées royaux, le Centre international pour l’étude du XIXe siècle et le Van Gogh Museum d’Amsterdam et destiné, comme l’indique la préface, à « explorer l’art du XIXe siècle dans la diversité de ses formes d’expression. Et ce, à partir d’un regard contemporain qui interroge l’œuvre dans son fondement esthétique pour la replacer dans son contexte social, politique et culturel. »

 

           D’un point de vue strictement historiographique, cette exposition était plus qu’attendue : hormis l’exposition du tableau Vagabondage ou les Chasseurs de Vincennes (Musée d’Orsay) dans le cadre de l’exposition Le Romantisme en Belgique, entre réalités et souvenirs organisée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique en 2005, l’ouvrage qui fut consacré à Alfred Stevens à l’occasion du centenaire de sa mort par Christiane Lefebvre (Brame et Monceau, 2006) et le très bel accrochage du tableau Le Bain au Musée d’Orsay, cela faisait longtemps que l’artiste n’avait pas été mis en valeur dans le cadre d’une exposition monographique. La dernière qui lui fut consacrée dans un musée européen semble l’avoir été, en effet, au Palais des Beaux-Arts de Charleroi, en 1975. Et la toute dernière en date à Ann Arbor et à Baltimore aux États-Unis et à Montréal au Canada en 1977-1978 [1].

 

           Le catalogue qui nous occupe ici s’ouvre sur une importante biographie : « Entre femmes et reflets, Alfred Stevens : une biographie (Bruxelles 1923 – Paris 1906) », par Danielle Derrey-Capon (p. 11 à 61). Suivent ensuite des contributions de Jean-Claude Yon, « Culture et société dans le Paris d’Alfred Stevens » (p. 63 à 81) ; Michel Draguet, « Alfred Stevens, un poète moderne à l’apogée du capitalisme » (p. 83 à 105) ; Dominique Maréchal, « Joseph et Alfred Stevens à l’aube du réalisme social (1845-1857) » (p. 107 à 129) ; Saskia de Bodt, « Alfred Stevens et les anciens maîtres hollandais » (p. 131 à 147) ; Danielle Derrey-Capon, « L’exotisme bourgeois : la femme mise en scène » (p. 149 à 175) ; Ingrid Goddeeris, « Les trois frères Stevens : à propos de deux expositions (1850 et 1880) » (p. 177 à 198). Les illustrations, d’une qualité remarquable, sont placées dans le texte.

 

           La biographie, dense et détaillée,  permet non seulement d’éclairer la vie de l’artiste mais aussi l’histoire de ses œuvres, de leur conception à leur exposition.

 

           Jean-Claude Yon, maître de conférences en histoire à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, propose un essai destiné à recontextualiser la carrière d’Alfred Stevens au sein des différents aspects de la vie culturelle parisienne de son époque. De manière fidèle à son travail, les différents aspects évoqués sont : les femmes et leur statut dans la société de l’époque, la mode, les spectacles, les musiciens, le Boulevard et les cafés, les Expositions universelles et les panoramas.

 

           D’après Michel Draguet, directeur des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et fin connaisseur des scènes artistiques belge et française de la fin du XIXe siècle, Alfred Stevens incarne, par son parcours académique (formation, reconnaissance académique, désir d’enseignement), le basculement de la hiérarchie académique qui voit la peinture de genre supplanter la peinture d’histoire, entre précision mimétique et valeur symbolique accordée aux objets. Mais le travail d’Alfred Stevens ne se limite pas à un simple aspect documentaire, comme en témoigne son rapport à la photographie. Bien au-delà, le détail « fixe l’attention » et « est investi d’une dimension narrative ». « [L’] ambition [d’Alfred Stevens], écrit Michel Draguet, n’est pas [dans « l’idée » en tant que telle, mais dans l’absence de celle-ci,] dans cette sensation de vide qu’aucun geste délié ne peut masquer : une conscience d’être au monde sans possibilité d’en échapper. Et d’en tirer parti dans la simplicité sophistiquée d’un instant arrêté. » (p. 102)

 

           Dominique Maréchal, conservateur chargé des collections du XIXe siècle aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et commissaire, en 2005, dans ce même musée, d’une très belle exposition consacrée au Romantisme en Belgique, entre réalité, rêves et souvenirs (Bruxelles, Racine, 2005), se propose de revenir, dans son article, sur le rôle de précurseurs joué par Joseph et Alfred Stevens dans le mouvement réaliste belge dit « de première génération », c’est-à-dire entre 1845 et 1857 (soit bien avant que celui-ci ne prenne toute son ampleur, en 1868, avec la fondation à Bruxelles de la Société libre des Beaux-Arts) et de revenir sur les relations des deux frères Stevens avec le peintre français Gustave Courbet.

 

           Danielle Derrey-Capon, pour sa part, s’intéresse à la place accordée à la femme dans le contexte particulier de l’ouverture du marché et de l’accession à la richesse des classes bourgeoises suscitées par le Second Empire : « puisque l’époque a ses vitrines, écrit Danielle Derrey-Capon, l’homme fortuné se doit d’avoir les siennes : sa demeure et son épouse, la seconde étant le faire-valoir de la première. » (p. 153) C’est l’apogée de l’éclectisme, du bibelot, du collectionnisme (d’objet de valeur ou de pacotille). Que ce soit dans sa vie personnelle ou dans son œuvre d’artiste, Alfred Stevens s’intéresse lui-même à l’exotisme et à l’accumulation d’objets et d’éléments de décor éclectiques. Dans les œuvres qu’il a produites « en respectant son art » (soit, précise l’auteur, en ne se soumettant pas à des contraintes financières de grande production), Alfred Stevens vise avant tout la minutie dans le détail, l’harmonie des tons ou encore les nuances de la matière. « Dans ces tableaux, écrit Danielle Derrey-Capon, une odeur de soufre, mais si légère qu’elle ne les empêche nullement de prendre place au salon. » (p. 166)

 

           Saskia de Bodt, professeur d’histoire de l’art à l’Université d’Utrecht et à l’Université d’Amsterdam, s’interroge sur la permanence et l’importance de la référence à l’art flamand et hollandais du XVIIesiècle durant la seconde moitié du XIXe siècle. Elle souligne, à cette occasion et à juste titre, que malgré le fait qu’il a habité et travaillé à Paris pendant la plus grande partie de sa vie, Alfred Stevens a toujours été considéré comme belge et comme appartenant à l’« École du Nord ». D’après l’auteur l’origine de cet état de fait « doit sans doute être trouvée dans le cadre de l’avènement du nationalisme mais aussi dans le fait que les Français, admirant les idéaux politiques de la République, sont naturellement portés vers l’art hollandais – et, dans certains cas, l’art flamand – du XVIIe siècle, considéré comme un art ’démocratique’ » (p. 131), opinion reprise par l’artiste lui-même. « Une étincelle de lumière posée sur un accessoire par un maître hollandais ou flamand, écrit-il dans une phrase mise en exergue par Saskia de Bodt, est plus qu’une habileté de pinceau, c’est un trait d’esprit. » (p. 146) Voilà précisément en quoi, indique l’auteur, Alfred Stevens se considère comme un hériter des anciens maîtres.

 

           Ingrid Goddeeris, enfin, attachée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, nous propose, dans sa contribution, de revenir sur la participation des trois frères Stevens – Joseph, Alfred et Arthur – à deux des plus grandes expositions d’art organisées en Belgique dans la seconde moitié du XIXe siècle, soient la « Fête artistique » du 5 janvier 1850 et l’exposition rétrospective de l’art belge des fêtes du Cinquantenaire de l’Indépendance en 1880. Ces expositions, quelque peu oubliées dans l’historiographie de l’art aujourd’hui, constituèrent pourtant en leur temps des événements artistiques majeurs : destinées à créer un sentiment artistique national, elles mettaient en contact les artistes et le public, éclairé comme juste curieux, et elles impliquaient dans leur conception aussi bien des marchands que des collectionneurs d’art. Alors que les frères Stevens apparaissaient comme des débutants à l’exposition de 1850, ils furent comptés, trente ans plus tard, parmi les artistes belges les plus importants des cinquante années écoulées.

 

           L’ouvrage se clôt sur la liste des œuvres exposées, une bibliographie sélective et une liste des principales expositions auxquelles a participé Alfred Stevens.

 

           Il n’est jamais évident de rendre en quelques lignes la complexité des articles et arguments exposés par tous les auteurs mais l’abondance des essais critiques va ici bien au-delà de la simple présentation du travail de l’artiste.

 

           L’ambivalence d’un catalogue d’exposition qui doit à la fois fournir une information pour un large public et constituer une avancée scientifique sur un sujet donné se ressent dans la répartition des articles et va de pair avec la notoriété de leurs auteurs. Si les informations données par Jean-Claude Yon, Dominqiue Maréchal ou Danielle Derrey-Capon nous semblent plus familières c’est parce qu’elles ont déjà fait l’objet de publications plus exhaustives. C’est donc tout naturellement chez de plus jeunes chercheurs, ici Saskia de Bodt et Ingrid Goddeeris, que se trouvent des approches plus « inattendues ».

 

           Contrairement à ce qui pouvait être ressenti lors de la visite de l’exposition, qui laissait une large place à l’appréciation esthétique des œuvres sans fournir de large support explicatif ou analytique, il s’agit donc bien ici de décrire la complexité du parcours de l’artiste et du contexte historique et culturel dans lequel celui-ci évolua.

 

           Le seul (et tout petit) regret que nous puissions formuler ne naît que par la suggestion du sous-titre de l’exposition, « Bruxelles-Paris, 1823-1906 », et tient à la sensation de manque d’un article problématisant les relations entretenues par les deux métropoles culturelles, Paris et Bruxelles, durant la période. Il ne fait nul doute pourtant que les auteurs travaillent actuellement à ce sujet et c’est avec hâte que nous espérons pouvoir lire leurs conclusions.

 

           Soulignons, enfin, la richesse et la qualité des reproductions du catalogue, qui font de cet ouvrage un travail d’édition particulièrement remarquable.

 

[1] Pour compléter la bibliographie analytique récente sur l’artiste citons aussi l’article de Nicolas Wanlin, « Alfred Stevens ou les Impressions d’un peintre belge à Paris » publié dans le recueil Écrit(ure)s de peintres belges, publication des actes du colloque organisé aux FUNDP de Namur les 24 et 25 mai 2007 sous la direction de Laurence Brogniez chez PIE-Peter Lang, Bruxelles, 2008.