Cellauro, Louis - Richaud, Gilbert: Antoine Desgodets. Les Édifices antiques de Rome, Studi sulla cultura dell’antico, 21 x 29,7, cartonato, 344 p., € 75.00, ISBN: 8880168665.
(De Luca Editori d’Arte, Roma 2008)
 
Compte rendu par Marco Cavalieri et Caroline Heering, Université catholique de Louvain
 
Nombre de mots : 1221 mots
Publié en ligne le 2010-04-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=835
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          Les édifices antiques de Rome est le titre de l’ouvrage d’Antoine Desgodets (1653-1728) contenant les dessins de vingt-cinq monuments antiques de Rome réalisés avec une exactitude de mesures et une précision scientifique jusque-là inégalées. Cet ouvrage, publié à Paris en 1682 chez Jean-Baptiste Coignard, est le fruit d’une importante entreprise de relevés réalisée à Rome par Antoine Desgodets entre 1676 et 1677 sous le mécénat de Jean-Baptiste Colbert et parrainée par l’Académie Royale d’Architecture. Le caractère systématique et scientifique de sa méthode a contribué à en faire l’étude de référence sur les monuments antiques de Rome jusqu’au XIXe siècle. Comme le soulignent les auteurs des chapitres introductifs du présent volume, cette étude émerge dans le cadre de la Querelle des Anciens et des Modernes, qui alimente les débats sur l’architecture dans la France de Louis XIV, et s’inscrit dans une période de regain d’intérêt pour l’Antiquité. La recherche d’une méthode scientifique de représentation de l’antique qui caractérise l’entreprise d’Antoine Desgodets devait être garante d’une nouvelle promotion de l’architecture française. Émule de la grandeur antique, cette nouvelle architecture, au service de la politique du Roi Soleil, allait contribuer à la définition d’un classicisme spécifiquement français et à son rayonnement européen.

 

          L’ouvrage de Louis Cellauro et Gilbert Richaud propose une reproduction en fac-similé des 180 pages du Manuscrit 2718 de l’Institut de France réalisé par Antoine Desgodets et contenant les planches de relevés effectués à Rome avec des légendes explicatives précises et détaillées. Ce recueil, jusqu’ici inédit, fut présenté à l’Académie Royale d’Architecture en 1677 pour faire l’objet de commentaires par les membres de l’Académie, avant de servir à l’élaboration des Édifices antiques de Rome de 1682, dont les planches sont également reproduites dans cet ouvrage. Outre l’extrême précision des relevés, utiles à notre connaissance des monuments antiques et à leur état de conservation au XVIIe siècle, l’intérêt majeur de ce manuscrit réside non seulement dans le fait qu’il contient les relevés de 48 monuments antiques – soit presque le double de ceux présentés dans Les édifices antiques de Rome – mais également dans les commentaires parfois importants ajoutés par l’architecte, qui ont fait l’objet d’une retranscription dans les apparats critiques du présent ouvrage.

 

          La publication en fac-similé du manuscrit est précédée de deux chapitres introductifs qui ont le mérite de donner au lecteur les clés de compréhension de l’entreprise d’Antoine Desgodets au sein de son cadre culturel ainsi que de lui permettre de mieux en évaluer l’importance.

 

          Le propos de Maria Luisa Madonna, dans son Introduction à la méthode de relevé de Desgodets, est de fournir une mise en perspective générale de l’ouvrage. Après avoir brossé le contexte dans lequel s’inscrit la vaste entreprise de relevés, l’auteur expose la méthodologie adoptée par l’architecte, qui justifie le rôle fondateur et l’importance de ce travail. À travers une brève analyse comparée du manuscrit et des planches publiées dans l’ouvrage de 1682, appuyée sur quelques exemples précis, l’auteur relève des ajouts, des modifications du mode de présentation des monuments, des rectifications et expose les critères qui ont présidé à la réduction du nombre d’édifices publiés dans l’ouvrage par rapport à ceux présents dans le recueil.

 

          Dans le deuxième chapitre, en s’appuyant sur une bibliographie des plus exhaustives, Louis Cellauro et Gilbert Richaud reconstituent la genèse de la mission de Desgodets et retracent son voyage à Rome et en Italie. La description du recueil de 1677, avec ses dessins et ses annotations, permet ensuite de préciser – non sans quelques répétitions avec le chapitre précédent – la méthodologie déployée par l’architecte pour effectuer les relevés et les transcrire sur papier. Quelques comparaisons de planches et de la méthode de Desgodets avec celles d’ouvrages précédents, tels que ceux de Serlio, Labacco, Palladio ou Fréart de Chambray, mettent en exergue les apports du recueil de Desgodets. En montrant que ces apports répondent à de nouvelles exigences, dictées par l’Académie Royale d’Architecture, les auteurs soulignent que le parcours menant à la publication des Édifices antiques s’inscrit dans les débats de cette époque.

 

          Succédant à ces chapitres introductifs, les apparats critiques sont constitués d’une transcription de l’inventaire après décès d’Antoine Desgodets ainsi que d’une transcription des légendes et annotations du manuscrit. Si l’utilité de la transcription de l’inventaire pourrait paraître comme secondaire – si ce n’est la mention de quelques estampes ou traités d’architecture –, celle des commentaires participe quant à elle à la valeur de ce volume. Outre les légendes des monuments antiques, accompagnées de leur identification actuelle (traduite en anglais et en italien), ces annotations nous fournissent en effet de précieux renseignements sur l’état de conservation des monuments (parties conservées, détruites ou enterrées, opérations de fouilles entreprises pour mettre au jour des parties enterrées, etc.), sur les matériaux et quelques aspects techniques, précisent certaines mesures, décrivent des détails non visibles sur les dessins et transcrivent les inscriptions monumentales. À côté de quelques considérations ou jugements d’ordre esthétique, ces commentaires distinguent les monuments que l’architecte a relevés, ceux qu’il a dessinés sans les mesurer ou ceux reproduits d’après des plans ou des élévations existantes. 

 

          Le Manuscrit 2718, imprimé en fac-similé dans sa totalité, comprend 104 folios. Il est suivi de la reproduction en fac-similé des planches des Édifices antiques de Rome  de 1682. Si ces planches sont reproduites sans le texte original qui les accompagne dans l’édition de 1682 – ce qui pourrait paraître a priori comme dommageable – c’est qu’il faut certainement voir leur intérêt dans la comparaison immédiate qu’elles permettent avec les planches du recueil.

 

          En termes de consultation et de manipulation du volume, une table de concordance facilite la comparaison entre les dessins du manuscrit et les planches qui sont publiées dans Les édifices antiques. Un index des monuments romains représentés dans le recueil, et a fortiori dans l’ouvrage de 1682, aurait cependant ajouté à la facilité de consultation de l’ouvrage.

 

          Il faut encore ajouter que, si le volume est un reflet du climat propre à l’histoire de l’art du XVIIe siècle, il est également un précieux outil de travail pour l’archéologue qui entreprend une étude diachronique des monuments de la Rome antique. Le manuscrit reproduit en effet les complexes monumentaux de la ville impériale durant la période historique qui précède les grands travaux de restauration et les réaménagements débutés au XIXe siècle (au cours desquels, par exemple, l’Arc de Titus fut restauré par Valadier). La spécificité de la méthodologie de relevé de Desgodets se base sur une représentation objective, mathématique de l’architecture antique : une manière d’étudier et de reproduire le paysage romain qui semble trouver sa comparaison théorique plutôt dans la tradition du dessin architectural d’Alberti que dans l’activité transformatrice du Bernin en architecture (comme, par exemple, l’aménagement de deux clochers sur le Panthéon) ou de Pannini en peinture. L’œuvre de Desgodets et le volume qui en reproduit le manuscrit offrent donc une possibilité extraordinaire, celle de reconstruire l’état de conservation des ruines antiques les plus célèbres de Rome entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle.

 

          En conclusion, ce volume se présente comme un outil publiant l’important manuscrit d’Antoine Desgodets, jusqu’alors inédit, contenant les relevés des monuments antiques. Il offre une introduction qui permet d’en comprendre l’importance et les enjeux au sein de son contexte de création. L’ampleur relativement limitée des deux chapitres introductifs laisse cependant le lecteur avide d’informations de fond, sur la réception de l’entreprise de Desgodets, par exemple, ainsi que son impact réel au sein de l’architecture contemporaine, son utilisation effective, au-delà de sa contribution évidente à la mise en place d’un classicisme inspiré de modèles antiques. Mais n’est-ce pas justement le propre d’une reproduction en fac-similé d’un recueil ou d’un ouvrage ancien que de fournir au lecteur les matériaux qui permettront d’alimenter, à des degrés divers, les études futures ?