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Compte rendu par Dominique Hervier Nombre de mots : 1145 mots Publié en ligne le 2010-04-19 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=847 Lien pour commander ce livre
La volonté conjointe de la Région Franche-Comté et du savoir-faire de l’inventaire général qui se déploie en France depuis bientôt un demi-siècle – conduit hier par l’État, aujourd’hui par les régions – démontre grâce à cette publication éditée par Lieux Dits que la mise en valeur du patrimoine gagne à s’appuyer sur une connaissance approfondie et qu’un livre très modeste en apparence, mais fruit d’une enquête appuyée sur des recherches rigoureuses [1], possède toutes les qualités requises pour intéresser un large public.
Le regroupement des petites cités comtoises de caractère, qui rassemble actuellement 31 communes rurales de moins de 6 000 habitants, adhérentes à un label de qualité, témoigne de la volonté des élus de préserver, valoriser et promouvoir leur patrimoine, leur savoir-faire et leur savoir-vivre. Elles s’inscrivent ainsi dans une démarche « en réseau », ayant pour but le développement du tourisme en milieu rural.
Jougne, situé au débouché d’un des rares cols permettant le franchissement de la chaîne du Jura, fait parti de ce réseau et entend bien s’appuyer sur le tourisme pour développer son territoire. Perché à 1 000 m d’altitude sur un plateau qui domine la vallée de la Jougnena, situé sur le chemin qui conduit en Italie et en Suisse, poste avancé pour les guerriers, relais pour les marchands, halte pour les religieux, Jougne accueille aujourd’hui promeneurs et skieurs séduits par les paysages qui ont fait sa renommée. Dominé par trois montagnes dont la plus haute, le Mont-Suchet, culmine à 1 588 m, l’agglomération est composée du village de Jougne et de sept hameaux : Entre-les-Fourgs, Le Moulin, Les Maillots, La Ferrière, Les Échampés, Les Tavins et les Piquets.
Selon le plan bien rôdé des volumes de cette collection, une introduction historique d’une dizaine de pages précède la présentation du patrimoine architectural et mobilier. Le parcours part du centre « ancien » de Jougne et s’éloigne progressivement – vers la frontière, en suivant la vallée de la Jougnena puis en remontant vers le Joux de Jougne – donnant ainsi au lecteur ce sentiment d’appropriation du territoire qui fait la dynamique de la collection des Parcours du Patrimoine (anciennement Itinéraires du Patrimoine, dont elle a poursuivi la numérotation).
La démarche d’inventaire général, ayant situé en préalable les données ou faits historiques – péage médiéval alimenté par le commerce des draps entre l’Italie et les Flandres ; arrivée du chemin de fer en 1867 ; incendie de 1870 – se livre in situ à une analyse minutieuse qui permet de retrouver les traces du riche passé médiéval (caves voûtées des maisons, remarquable chapelle romane Saint-Maurice), de comprendre certains traits de l’urbanisme (ruelles au sol de terre aujourd’hui herbu), d’enrichir la lecture de l’architecture rurale par la connaissance des pratiques pastorales, enfin de reconstituer la micro-histoire industrielle (passage du savoir-faire artisanal à l’industrie). Et ce n’est pas l’un des moindres mérites de cet ouvrage que de mettre en lumière les liens et les échanges qui de tout temps furent entretenus entre le chef-lieu de la commune et les sept hameaux aux activités artisanales, industrielles et pastorales, égrenées le long du cours de la Jougnena. Depuis le Moyen Âge, les alternances de récession et d’expansion urbaine coïncident avec celles où dominent l’agriculture pastorale traditionnelle (crémerie, fromagerie) ou les activités industrielles. Après l’incendie de 1870 les reconstructions s’étirent sur près de 15 ans et concourent à donner des allures de ville à ce gros bourg : presbytère, mairie-écoles avec son bureau de poste proche de la mairie comme c’est l’usage sous la IIIe République, salle des fêtes (remarquons la présence sur le territoire communal de deux scènes de théâtre !), entrepôt et bureau des douanes, et jusqu’à ces fermes qui sont reconstruites avec de nombreuses fenêtres pour « faire urbain » et surtout à ce musée d’histoire naturelle constitué grâce à deux legs de particuliers : ceux de Paul Parriaux en 1930 puis de Régis Marin en 1990.
Certes l’histoire du rail, détrôné par la route avec l’augmentation du trafic, est relativement brève. En outre, la commune paye un lourd tribut durant la Première Guerre mondiale comme en témoigne le monument aux morts de Paul Robbe. Néanmoins, la situation géographique de commune frontalière, marquée par 52 bornes (numérotées de 18 à 69 sur la carte d’ensemble du territoire), et la Jougnena qui procurait au XIXe siècle la force motrice nécessaire à l’industrie (carte p. 56) sont autant d’atouts qui favorisent le développement. C’est ainsi que Jougne attire et fait travailler une bonne douzaine d’architectes depuis le début du XIXe siècle jusqu’aux dernières décennies du XXe siècle. Venus de Besançon ou de Pontarlier, ils ont été sollicités soit par les élus, soit par des particuliers, et c’est un des mérites de ces enquêtes systématiques que de mettre en lumière les noms et les carrières de ces modestes praticiens que l’on pourrait qualifier d’ordinaires, alors qu’ils concourent, avec l’aide d’entrepreneurs locaux, à structurer l’architecture urbaine et à introduire aux alentours de plaisantes maisons de villégiature. Citons ainsi Alphonse Delacroix, actif au premier tiers du XIXe siècle, Maximin Paincheux, L. Girod ou Louis Pompée qui œuvrent sous le Second Empire, puis, après l’incendie, Louis Lavie, Léon Richard, Arthur Parrot, Paul Robbe qui construit aussi bien des demeures que de l’architecture industrielle, Pierre Cencelme, auteur de la gendarmerie (1964), Michel Pionchon (1970, Lyon). Liliane Hamelin et Carole Josso, les auteurs de l’ouvrage, livrent également une analyse fine des composantes de l’architecture rurale (chalets rectangulaires ou carrés, porte coupe-feu en métal, chambre du berger). Elles donnent aussi fort judicieusement les noms locaux et les termes particuliers servant à désigner les édicules et les matériaux : buvette pour kiosque de jardin, talvane, tavaillons pour bardeaux, et bien d’autres encore : crèches, platine, brési, vachelin, bourancle.
Signalons le développement qui retrace l’histoire surprenante de l’alimentation en eau dans cette commune de montagne, avec ses difficultés d’approvisionnement et ses problèmes d’insalubrité, la construction de réservoirs et d’une grande variété de citernes et de fontaines en béton, tôle ou fonte, que l’enquête a permis de photographier. L’histoire de l’industrie s’écrit dans les hameaux de la vallée, et celle des forges de Julien Vendel n’est pas la moins spectaculaire. Dès le début du XIXe siècle, l’activité touristique se développe, et les hôtels ainsi que les résidences de villégiature privées concourent à enrichir la diversité du paysage architectural.
Un seul petit regret au terme de ce parcours : la carte consacrée à l’agglomération aurait gagné à proposer des concordances numériques avec les édifices cités dans le texte, ce qui est habituel pour un parcours. Soulignons cependant à quel point les vertus de la mise en page donnent aux illustrations – dont le format modeste n’empêche pas de sentir la force et le charme – une grande pertinence dans leur accord avec le texte. Souhaitons que cette publication s’impose comme un atout supplémentaire au développement local de cette cité comtoise. [1] L’ensemble de la documentation sur Jougne et sur les autres communes déjà inventoriées est consultable sur les bases de données du ministère de la culture, (www.culture.gouv.fr), Mérimée (architecture), Palissy (objets mobilier) et Mémoire (iconographie) ou à la Direction du Patrimoine -Région Franche-Comté, 8, rue Denfert-Rochereau, 25 000 Besançon.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |