Racinet, Philippe (dir.): Archéologie et histoire d'un prieuré bénédictin en Beauce : Nottonville (Eure-et-Loir), Xe-XVIIe siècles, (Archéologie et histoire de l'art, 21), Comité des travaux historiques et philologiques, Paris, 505 p., 197 fig. dans le texte et 18 + 4 pl., 27 x 21 cm, ISBN 2-7355-0569-3, 40 euros
(Comité des travaux historiques et philologiques (CTHS) 2006)

 
Recensione di Gaëlle Dumont, archéologue, Université libre de Bruxelles
 
Numero di parole: 1388 parole
Pubblicato on line il 2007-11-12
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=85
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Le village de Nottonville, où se trouve le site de l’Abbaye du Bois qui fait l’objet de cet ouvrage, se situe en Beauce, non loin de Châteaudun. Entre 1990 et 1998, parallèlement au chantier de fouilles, une équipe de recherche pluridisciplinaire est mise sur pied, réunissant une quarantaine de chercheurs issus du CNRS, d’universités ou de laboratoires, et dont Philippe Racinet, spécialiste de la vie monastique au Moyen Âge, assure la direction. Le programme d’étude comporte deux axes principaux : le premier concerne le site castral et prioral, ses origines, son évolution et ses fonctions, tandis que le second porte sur l’environnement du site, l’organisation du terroir et l’implantation de l’habitat.

Dans un premier chapitre est présenté le contexte naturel (géologique et botanique) du site : en effet, l’étude des écosystèmes est indissociable d’une étude historique et archéologique, puisque leurs transformations sont autant de témoignages de l’occupation humaine.

Les prospections terrestres et aériennes ont permis de mettre en évidence une occupation du terroir de Nottonville depuis l’époque néolithique, favorisée par les terres fertiles et par la proximité d’une confluence de deux rivières (les Conie). Aux Ier et IIe siècles ap. J.-C., deux grandes villas situées de part et d’autre de la voie Chartres-Blois constituent des pôles d’habitat, probablement relayés au Moyen Âge par les châteaux de la Brosse et du Bois.

Une curtis d’époque carolingienne (fin IXe-début Xe siècle) est implantée à 400 m de la villa du Bois. Aucune preuve ne permet d’affirmer une présence mérovingienne, mais l’organisation du parcellaire et la toponymie tendent à indiquer qu’il n’y a pas eu de rupture dans l’occupation depuis l’époque romaine.

La première curtis sera englobée au début du XIe siècle dans une résidence fortifiée, comportant peut-être une motte dominant un réseau de fossés et des bâtiments légers en terre et bois ; dans cet espace cohabitent les vicomtes de Chartres et les moines de Marmoutier qui, suite à d’importantes donations dans la région dès 1073, y installent un prieuré. Celui-ci est un centre de gestion dépendant de l’abbaye-mère plutôt qu’un véritable ensemble monastique : en effet, le nombre de moines sur place semble avoir oscillé de un à trois, et aucune chapelle ni ensemble claustral n’a été repéré.

Le milieu du XIIe siècle voit l’érection d’une tour résidentielle flanquée d’un logis rectangulaire de type hall, et qui constitue le point focal de l’espace castral. Ces nouveaux édifices servent à la résidence des vicomtes, tout en remplissant un rôle stratégique (surveillance de la voie et du gué tout proches) et symbolique (affirmation du pouvoir seigneurial). Trois réseaux de fossés assurent la défense du site.

Entre 1219 et 1225, profitant des difficultés de succession comtales et vicomtales, les moines de Marmoutier acquièrent un pouvoir croissant sur le terroir de Nottonville : ils perçoivent les taxes dues par les villageois et ont la mainmise sur les bois, les moulins et les revenus de la paroisse, causant quelques tensions avec la noblesse locale. En parallèle, le site castral subit plusieurs transformations par l’adjonction de nouveaux bâtiments ou résidaient probablement les moines.

Suite aux troubles qui secouent la fin du Moyen Âge a lieu une réorganisation administrative du territoire, une remise en valeur des cultures et plusieurs campagnes de réaménagements de l’espace castral, témoignant du pouvoir croissant des moines. Une enceinte en pierre associée à un fossé est édifiée autour du site, à laquelle s’ajoutera vers 1460-1475 une poterne monumentale, assurant un rôle défensif aussi bien qu’ostentatoire. Les grands changements se poursuivent à partir de 1485, avec la construction d’un vaste grenier, d’un colombier et d’un nouvel ensemble résidentiel. La tour et le logis médiévaux sont profondément remaniés et deviennent la résidence du receveur de l’abbaye de Marmoutier. L’organisation des cours est repensée, l’espace s’organisant désormais autour de trois pôles : le logis du receveur et des moines, la métairie et la zone qui comprend le grenier, la tour (probablement utilisée comme prison) et la poterne monumentale, et qui sont l’affirmation du pouvoir abbatial.

Le caractère religieux du site s’efface donc peu à peu, l’abbé jouant un rôle de plus en plus civil, notamment dans la profonde – bien que progressive – réorganisation du terroir. Ce n’est qu’en 1617 que le site est renommé abbaye, lui rendant son caractère primitif.

Parallèlement à l’étude archéologique et historique du site castral et prioral, une étude du terroir et de ses transformations au cours du temps est également envisagée. Riche et varié (vallées, plateaux propices à la culture des céréales et des vignes), il s’organise autour de deux pôles : le château du Bois, qui est le centre administratif, et le village. Le terroir est probablement organisé dans la seconde moitié du Xe siècle par les agents du vicomte de Chartres, depuis une curtis fortifiée. À la fin du XIe siècle, les moines de Marmoutier procèdent à des défrichements et à des regroupements de terres, aménagent les cours d’eau et installent plusieurs moulins. Une seconde campagne de mise en valeur a lieu entre 1150 et 1250, sous une poussée démographique. L’organisation du terroir ne se modifiera plus fondamentalement après cette période.

Quant à l’habitat, il semble dans un premier temps s’organiser à l’emplacement du village actuel de Nottonville, surtout à hauteur de la confluence ; l’habitat aristocratique, représenté par une villa gallo-romaine, est situé un peu à l’écart vers le nord, au Bois. C’est à partir de ce pôle qu’un habitat intercalaire se développera par la suite, le long d’un diverticule qui mène à la voie Chartres-Blois. Il y a fort à parier que le même mécanisme s’est opéré de l’autre côté de la voie, depuis la villa devenue le château de la Brosse. Quant au noyau primitif situé au village, il perdure sans se déplacer.

La microtoponymie permet de se faire une idée assez précise de l’organisation du terroir et de l’affectation des parcelles : ainsi, les termes « pièce », « champ », « terre », « septier », « muid », « ouche », « réage » et « champtier » désignent des terres cultivées ; « houx », « fougères » et « buis » indiquent des friches ; « pré » est attribué à des parcelles liées à la pratique de l’élevage (il faut noter qu’elles sont peu nombreuses et que l’élevage semble être une activité secondaire dans la région) ; il faut ajouter à cette liste les termes explicites « bois », « vignes », « moulins » et « pêcheries ».

L’accent est mis sur l’évolution du site castral et sur les modifications du terroir qui lui est associé. De nombreuses disciplines sont croisées afin de donner une vue la plus complète possible de la problématique : à l’étude archéologique s’ajoute une exploitation des sources historiques et des archives, permettant souvent une datation précise des structures mises au jour. Les méthodes de datation absolue, telles que la dendrochronologie et l’archéomagnétisme, ne sont pas oubliées. Pour l’époque moderne, les données archéologiques sont couplées à des études monumentales portant aussi bien sur les édifices que sur les charpentes. D’autres disciplines permettent de se faire une idée assez précise de la vie tout au long de l’existence du site castral et prioral : céramologie et terres cuites architecturales, numismatique, étude du mobilier en verre et métallique (en nombre plutôt restreint, ce qui est étonnant pour un site aussi vaste et ayant connu une durée d’occupation aussi longue), archéozoologie et parasitologie (ces deux dernières disciplines intervenant dans l’étude du contenu d’une latrine du XVIe siècle). Le terroir et son évolution sont approchés sous divers angles tels que la géographie et la géologie, la topographie, la toponymie et la micro-toponymie, la botanique. Enfin, des campagnes de prospections terrestres et aériennes ont été menées, afin de détecter des traces d’occupation humaine sur le terroir de Nottonville.

Il en résulte une belle étude sur ce site qui présente la particularité d’avoir vu cohabiter les vicomtes de Chartres et les moines de Marmoutier, avant que ces derniers ne se rendent progressivement maîtres des possessions vicomtales, finissant par devenir les véritables seigneurs de la région, reléguant leur rôle religieux à l'arrière-plan.

Les descriptions archéologiques sont complètes et, malgré leur aridité, très compréhensibles car elles sont assorties de plans et de coupes aisément lisibles. Il en va de même pour les chapitres qui traitent de thèmes spécifiques tels que la céramologie, l’archéozoologie ou la numismatique. Des synthèses en fin de chaque chapitre reprennent l’essentiel de l’information.

Cet ouvrage intéressera donc non seulement les archéologues des époques médiévale et moderne, mais également les historiens et les spécialistes du bâti. Les archéologues et historiens du paysage y trouveront également d’intéressantes informations.