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Vaivre, Jean-Bernard de, et al.: de Vaivre, Jean-Bernard; Plagnieux, Philippe ; Richard, Jean ; Corvisier, Christian ; Faucherre, Nicolas ; Grivaud, Gilles ; Otten-Froux, Catherine ; Schabel, Christopher ; Soulard, Thierry, Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, "L'Art gothique en Chypre", tome XXXIV, 480 p., 384 ill., 14 pl., 120 € (Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2006) Compte rendu par Françoise Robin, Université Paul Valéry - Montpellier III Nombre de mots : 2121 mots Publié en ligne le 2007-05-24 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=86 Lien pour commander ce livre Sous la direction de Jean-Bernard de Vaivre et Philippe Plagnieux, assistés de plusieurs collaborateurs, parait un bel ouvrage de 478 pages sur l'Art gothique en Chypre, tant religieux que militaire. Il bénéficie d'une introduction historique donnée par Jean Richard. Un grand nombre d'illustrations en noir et blanc, souvent trop petites (mais nous savons tous ce que sont les contraintes éditoriales) et certaines, fort belles, en couleurs, agrémentent ce livre qui se veut d'abord un hommage et s'inscrit dans la suite du livre fondateur de Camille Enlart : L'art gothique et de la Renaissance en Chypre, paru en 1899. Il se divise en plusieurs sections bien distinctes. Dans la première (p.15-56), Jean-Bernard de Vaivre fait revivre Camille Enlart et reprend son périple chypriote. La longue introduction historique de Jean Richard est suivie de deux courtes études sur les villes de Nicosie et Famagouste de Gilles Grivaud et Christopher Schabel pour la première, de Catherine Otten-Froux pour la seconde (p.60-118). Toute la suite est consacrée à une série de monographies. Les premières sur les édifices religieux étudiés conjointement par Philippe Plagnieux et Thierry Soulard ou, pour le dernier par Jean-Bernard de Vaivre (cathédrale et églises de Nicosie, abbaye de Bellapaïs, cathédrale et églises de Famagouste, chapelle royale de Pyrga). Les secondes sur les châteaux et sites fortifiés (Famagouste, les trois châteaux de Kantara, Buffavent et Saint-Hilarion, Larnaca, Limassol, Pafos et Kolossi) décrits et analysés soit par Nicolas Faucherre soit par Christian Corvisier soit par Jean-Bernard de Vaivre qui conclut également l'ouvrage par une longue étude sur le décor armorié encore présent dans l'île. Dans un long avant-propos, Jean-Bernard de Vaivre raconte la genèse de cette entreprise qui, à l'origine, se voulait beaucoup plus ambitieuse : réimpression des deux tomes de l'ouvrage de Camille Enlart puis remise en perspective des monuments décrits par notre illustre devancier, pour suivre la progression de nos connaissances sur l'art gothique. L'état des églises et des châteaux vus par Enlart dans la seconde moitié du XIXe siècle, s'est depuis lors, comme on l'imagine aisément, considérablement modifié. A cela devait s'ajouter un volume de reproductions de photographies de chantiers prises dans les années 1930-1940 par Théo Mogabgab alors attaché à la direction des Antiquités de Famagouste et une série de clichés inédits de Camille Enlart retrouvés dans les réserves du Fort Saint-Cyr. Une conception d'hommage, de confrontation et de renouveau originale et ambitieuse, difficile à mener à bien dans ce pays divisé, qui n'avait pu être envisagée que fermement soutenue sur le plan financier par la fondation chypriote de Constantinos Levantis dont la disparition en 2002 a remis en cause une partie de l'entreprise. Le projet a donc dû être sévèrement révisé, l'idée des quatre volumes abandonnée. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a cependant accepté de publier ce tout de même bel ouvrage, certes abrégé mais dans lequel subsistent néanmoins et la présence de Camille Enlart et les nouveaux travaux élaborés par l'équipe qui a contribué à ce volume. Ces explications ne sont pas inutiles pour comprendre, admettre et bien volontiers pardonner un effet de juxtapositions parfois regrettable dans la progression de la réflexion scientifique. Jean-Bernard de Vaivre s'est attaché à retracer brièvement la carrière de Camille Enlart jusqu'au moment où il arrive à Chypre en 1896. Un pays que quelques devanciers seulement avaient exploré, Louis de Mas Latrie en 1879 qui avait publié un petit livre dans lequel il décrivait sommairement les quelques sites utiles pour ses recherches historiques, Edmond Dutoit, une quinzaine d'années plus tard, architecte et dessinateur dont quelques-uns des dessins (120 sur les 1200 avec lesquels il disait revenir), conservés à Amiens, ont été présentés en 1999 dans le catalogue d'une exposition. Des dessins seulement toutefois, sans étude archéologique ou historique. Deux architectes anglais avaient également précédé Camille Enlart en 1882, ramenant un rapport d'une trentaine de pages sur les principaux monuments de Nicosie, Famagouste, Larnaca, avec 21 planches de dessins. C'est dire si Camille Enlart se trouvait devant un terrain à peine défriché. S'il a légué la plus grande partie de sa collection de clichés à sa ville natale de Boulogne-sur-Mer (près de 17000 photographies), les clichés concernant Chypre se trouvent cependant dans les fonds de la Médiathèque du Patrimoine, l'ancien musée de sculpture comparée dont Camille Enlart, dès qu'il en prit la tête, eut à cœur de développer le fonds iconographique, en acquérant des photographies de diverses sources. L'examen systématique du fonds Enlart a permis à Jean-Bernard de Vaivre de retrouver plusieurs dizaines de clichés inédits pris en 1896 et 1901 qui venaient s'ajouter à ceux du Fort Saint-Cyr. A partir de cette patiente reconstitution des fonds, Jean-Bernard de Vaivre a tenté de suivre le périple de Camille Enlart en Chypre en renvoyant aux dessins de son livre. Cette description n'est pas toujours facile à suivre si l'on n'a pas les volumes d'Enlart sous la main puisque les références sont constantes aux figures de son ouvrage. Une carte précise de l'itinéraire aurait également été la bienvenue pour qui n'est pas complètement familier avec la topographie de l'île. Peut-être chacun des dessins et chacune des études d'Enlart aurait-elle constitué une belle introduction aux monographies de la suite de l'ouvrage évitant ainsi quelques redondances. Mais l'on comprend la volonté de cet hommage rendu ici à Enlart dont les deux volumes de 1899 sont devenus difficiles à consulter et dont le réimpression de 1966 à Famagouste est désormais difficile à trouver. Avec son habituel talent, Jean Richard a réussi le tour de force de faire tenir en trente pages la très mouvementée histoire du royaume chypriote des Lusignan et de la domination vénitienne. Ces développements ne sont pas, là encore, toujours faciles à suivre en l'absence d'une généalogie digne de ce nom, le rapide rappel des règnes chypriotes de la p.88, sans références à ceux du royaume de Jérusalem, ne saurait en tenir lieu. L'auteur doit en être le premier navré qui a si bien montré les implications des affaires de Chypre avec celles de la Terre Sainte. L'évolution du royaume, les règnes et les conflits, la figure d'Henri II, l'épopée de Pierre Ier comme celle des Génois, les affrontements, plus tard, de Jacques II et de Charlotte de Savoie, le destin de Catherine Cornaro et le triomphe de Venise jusqu'à sa chute en 1571 devant les forces turques, font l'objet de récits clairs et brillants. II est, cependant, dommage que l'auteur n'ait pu, faute de place certainement, consacrer de plus longs développements à l'Eglise latine comme à l'Eglise grecque, aux établissements monastiques latins et aux dévotions communes, aux donations des Francs et aux mariages mixtes, bref à une situation ecclésiastique qui, tout comme la vie de cour qui sous-tend tellement la production artistique, est un peu délaissée dans cette introduction, prélude pourtant à une série de monographies d'architecture religieuse ou militaire. L'étude de la ville de Nicosie par Gilles Grivaud et Christopher Schabel est une version abrégée d'une large étude (à paraître) sur l'histoire et la ville de Nicosie. Les auteurs ont largement travaillé à partir des sources écrites, les seules jusqu'à présent, en l'absence de fouilles plus approfondies, qui nous soient conservées. Nos connaissances sur le palais royal, celui détruit en 1426 par les Mamelouks, comme celui du roi Janus et de Catherine Cornaro en dépendent essentiellement. C'est encore d'après les sources écrites que les auteurs évoquent les palais seigneuriaux (celui de Guy d'Ibelin, évêque de Limassol décédé en 1367), séparés par de vastes portions d'espaces non bâtis, les jardins des institutions religieuses et la centaine d'églises, de monastères et de chapelles qui peuplent la ville. On comprend bien la difficulté d'établir ici un plan, d'autant que beaucoup de ces établissements ont disparu lors de la construction des remparts au XVIe siècle. N'était-il pas possible cependant d'esquisser un simple schéma qui aurait au moins guidé un lecteur quelque peu perdu : la cathédrale, les églises encore en place, ce Pédiaios qui traverse la ville auraient certainement, correctement placés, aidé à se faire une idée, même vague, de la ville. Pour Famagouste, la vue cavalière, même agrandie, du siège de 1571, n'apporte que des éclaircissements partiels : elle ne montre pas grand-chose de la situation des églises, pourtant faciles à repérer par un visiteur contemporain pressé, même si l'on comprend bien, comme le souligne Catherine Otten-Froux, les dangers d'une véritable reconstitution. C'est, naturellement, la présence génoise, cet état dans l'état pendant plus de 80 ans, qui est, ici, bien mise en avant et son grand chantier religieux (sur lequel on aurait aimé davantage de précisions puisque, comme le dit l'auteur à la fin de son article, les sources génoises citent bien des églises existantes au XIVe siècle). Toute cette partie historique, précédée de la reconstitution du périple de Camille Enlart est, certes, agréable à lire, mais pêche, encore une fois, par l'absence de généalogies et de cartes (pas même une carte digne de ce nom pour situer les châteaux : seule, celle de Camille Enlart a été reproduite p.61). Peut-être manque-t-il une véritable étude de la société laïque et religieuse qui sous-tendrait mieux encore le reste du livre. Toute ces contributions sont, certes, appuyées sur un abondant appareil critique : on aurait cependant aimé trouver ne serait-ce qu'une bibliographie succincte (on comprend bien que tous les écrits sur l'histoire de Chypre ne pouvaient figurer ici) : les « Abréviations bibliographiques » de la page 472 (qui correspondent à l'ensemble du livre ?) laissent quelque peu perplexe. Dix-sept édifices religieux et une dizaine de châteaux et fortifications ont été pris en compte et analysés, chacun faisant l'objet d'une monographie, naturellement plus ou moins longue. Pour les deux cathédrales, celles de Nicosie et de Famagouste, Philippe Plagnieux et Thierry Soulard ont choisi de commencer par décrire le contexte historique de la création, suivant les chantiers soutenus par les évêques successifs jusqu'aux devenirs du monument à l'époque moderne. La seconde partie est, naturellement, consacrée à l'Analyse du monument pour la première, à l'Analyse archéologique pour la seconde sans que l'on perçoive bien la différence. Les campagnes sont ici reprises dans un souci, comme il est naturel, chronologique mais néanmoins des Repères chronologiques suivent encore en guise de conclusion, ce qui complique un peu le discours. La tâche qui consisterait à attribuer telle ou telle autre campagne de construction à tel évêque est, certes, une mission quasi impossible, tant les renseignements restent , le plus souvent, flous mais l'exposé aurait peut-être gagné à être moins morcelé. Les auteurs, à juste titre, comme l'ont fait leurs prédécesseurs, font de constantes et indiscutables références et comparaisons à l'architecture religieuse de Terre Sainte. Les nombreuses références aux monuments gothiques de la France du Nord, certainement justifiées, auraient néanmoins gagnées à être plus étayées (simples citations souvent) et peut-être moins vastes. On a parfois l'impression d'une accumulation qui noie le lecteur. Se restreindre n'était, à vrai dire, pas si facile, les colonnes baguées se retrouvant partout à certaines dates, les inspirations cisterciennes également à d'autres. Certains rapprochements, le chevet de la cathédrale d'Amiens et celui de Saint-Nicolas de Famagouste n'emportent pas franchement l'adhésion. Ne pourrait-on chercher quelques sources d'inspiration dans les grands monuments du XIVe siècle avignonnais ou, surtout, napolitain ? Cette piste, pourtant prometteuse, semble, en grande partie ignorée ici. Un regret aussi : il est bien dommage que les auteurs, faute de place sans doute ou de moyens techniques, n'aient pas pu, après leur belle analyse du porche de Sainte-Sophie de Nicosie, reproduire et analyser les sculptures des voussures du porche central. Malgré ces quelques réserves qui traduisent surtout l'intérêt suscité par ces descriptions fouillées et argumentées, on ne peut qu'admirer la somme de travail, la précision, et la pertinence de la plupart des conclusions sur des édifices qui sont, pour beaucoup, aujourd'hui réduits à l'état de ruines et pour lesquels on mesure la difficulté et l'effort que Philippe Plagnieux et Thierry Soulard ont dû fournir au fil de ces mois de travail. La grosse étude de Nicolas Faucherre sur l'enceinte urbaine de Famagouste (suivie par celle de Christian Corvisier sur le château) remet dans une autre perspective les travaux anciens en attribuant à l'époque des Lusignans ce qu'il qualifie de « plus vaste enceinte urbaine d'orbite occidentale intacte des années 1300 ». C'est là une étude originale, clairement construite et appuyée, comme celle, de même qualité de Christian Corvisier, sur de nombreux plans. Toute l'architecture et la défense militaire de l'île revit magnifiquement ici, même des châteaux en grande partie ou complètement disparus. Jean-Bernard de Vaivre termine en reprenant en partie sa très importante étude de la forteresse de Kolossi parue dans les Monuments Piot en 2000. Voici donc le résultat d'une entreprise qui a, semble-t-il, connu bien des avatars mais qui néanmoins a pu, bien qu'amputée, être menée jusqu'à un terme acceptable. Une réussite qu'il faut saluer avec intérêt et qui, certainement, suscitera d'autres vocations d'historiens de l'art vers l'île de Chypre.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |