Chatenet, Monique - Mignot, Claude (éd.): L’architecture religieuse européenne au temps des Réformes, 21x27 cm, 296 pages, 247 illustrations, ISBN-13: 978-2708408456, 49 euros
(Editions Picard, Paris 2009)
 
Reviewed by Stéphane Gomis, Université Blaise Pascal-Clermont II
 
Number of words : 1982 words
Published online 2010-01-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=860
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          Ce livre rassemble les communications des deuxièmes « Rencontres d’architecture européenne », qui ont eu lieu en 2005 au château de Maisons-sur-Seine (Maisons-Laffitte). Au total, ce sont dix-neuf contributions qui s’emploient à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion à propos d’une architecture entre « héritage de la Renaissance et nouvelles problématiques », comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage. En effet, si cet art relève du cadre législatif tridentin, dont les contours généraux sont connus, ses modalités d’application restent à préciser. C’est à cette évaluation que se sont consacrés les participants à ces journées tenues dans le cadre de l’un des plus beaux édifices français de l’âge classique. Le tout est agrémenté d’une riche iconographie, indispensable à la bonne compréhension des thèses défendues par les auteurs. Il s’agit de plans, de gravures ou encore de photographies qui, judicieusement choisis, viennent soutenir le propos des différents contributeurs.

 

          Dans un premier temps, il s’agit d’amener le lecteur à s’interroger sur la mise en relation entre l’apparition de nouveaux ordres (jésuites, oratoriens, ursulines…) et la conception de leurs sanctuaires. S’intéressant aux églises jésuites de la province Germania superior (Allemagne du sud), Ulrich Fürst s’interroge sur l’existence d’« un style jésuite ». Il montre que si ce dernier est symptomatique de l’identité de la Compagnie, celui-ci n’est pas uniforme. D’une part, il se nourrit d’influences diverses ; d’autre part, il s’inscrit dans le cadre du mécénat princier. Par ailleurs, il a exercé un rôle certain sur l’ensemble de l’architecture sacrée catholique de la région, en se faisant le propagateur des normes de la Réforme catholique. De fait, le rôle des jésuites est patent dans la diffusion du nouveau type d’église « Wandpfeile » dans tout le sud de l’Allemagne. Pour sa part, Daniela Del Pesco, traitant de la congrégation de l’Oratoire à Rome et dans le vice-royaume de Naples, met en évidence le recours à la tradition. C’est par exemple le cas à l’oratoire borrominien de Rome, qui constitue une référence incontournable en vue d’une action pastorale efficace. Il en va de même pour les disciples de Philipe Néri à Florence. Des études de cas viennent à l’appui de ces principes généraux. Dans l’Italie méridionale, on rencontre des églises de l’ordre à trois vaisseaux séparés par des colonnes (en lieu et place des nefs accompagnées de leurs pilastres). Les oratoriens cultivent également leur spécificité, sur la longue durée, en termes d’ordonnancement des dessins des façades. C’est par exemple le cas à l’église Saint-Philippe Néri de Spolète qui, dans la première moitié du XVIIIe siècle, reprend des formes et des matériaux semblables à ceux utilisés plus d’un siècle auparavant à Santa Maria in Vallicella. Menant son enquête en Franche-Comté, Christiane Roussel, révèle l’œuvre majeure des religieux architectes du XVIIe siècle. Leurs réalisations sont d’autant plus considérables que nous sommes ici dans une région « frontière de catholicité », où se pratique une foi empreinte d’une certaine austérité. La forte activité de ces religieux s’explique d’une part, par leur volonté d’appliquer la Réforme catholique dans toutes ses dimensions ; d’autre part, ils se substituent à des spécialistes décimés par les différents épisodes de la Guerre de Trente ans. Ces bâtisseurs d’un genre nouveau posent les fondements de l’architecture du XVIIIe siècle, notamment à travers l’église-halle voûtée d’arêtes et le plan centré. Ce dernier est l’objet des recherches de Philippe Bonnet, avec le cas des ursulines françaises. Délaissant le système initié par Charles Borromée, et son chœur disposé autour d’un sanctuaire carré, cet ordre participe aux réflexions à propos du plan centré. Au final, ces religieuses n’hésitent pas à faire preuve d’innovations, comme en témoignent les églises des couvents du Mans ou de Rennes.

 

          Dans un second temps, trois contributions portent précisément sur le thème du plan centré. Tod A. Marder porte le regard sur l’œuvre du Bernin. Celle-ci s’avère d’une grande complexité qui montre combien ces différents chantiers sont avant tout une succession de laboratoires expérimentaux. En définitive, toutes ces églises (Saint-André du Quirinal, San Tommaso di Villanova à Castelgandolfo, la chapelle des Trois-Mages…) témoignent de la recherche de leur créateur pour parvenir à la représentation la plus parfaite du plan centré. Pour sa part, Krista De Jonge nous convie à une visite des bâtiments des Pays-Bas méridionaux. Leur plan centré en constitue un élément phare de l’application des décisions tridentines, non sans adaptations locales. Konrad Ottenheym démontre que ce type de plan n’est pas l’apanage des sanctuaires catholiques. En effet, les calvinistes et les juifs hollandais adoptent également ce type architectural. Pour les premiers, il s’agit de trouver ici une expression pure de l’ordre divin. Pour les seconds, il importe de se rapprocher du modèle antique du temple de Salomon.

 

          Dans un troisième temps, plusieurs textes posent la question de la pertinence des modèles nationaux. Restant aux Pays-Bas méridionaux, Joris Snaet étudie l’introduction du baroque, notamment dans les premières églises des jésuites ou des capucins. Son enquête révèle la persistance de traditions locales de deux natures : en matière de procédés architecturaux (tels que l’emploi du blanchiment à la chaux ou bien concernant l’art du vitrail) et en matière de style (le gothique est toujours attesté au XVIIe siècle). Claude Mignot interroge l’adaptation du modèle romain au cas français. On retrouve là une réappropriation gallicane du prototype italiens : voûtes compartimentées aux lunettes profondes, hauts combles, façades à trois ordres… Ces dernières sont tout particulièrement l’objet de l’étude de Catherine Chédeau qui pose la question des marqueurs de leur évolution entre Renaissance et Réformes. Étudiant le cas autrichien, Wolfgang Lippmann montre que les différents modes d’architectures font partie intégrante des luttes religieuses. Ainsi, alors que les communautés protestantes privilégient les formes gothiques, leurs adversaires catholiques mettent en avant le modèle classique, généralement venu d’Italie. L’exemple hongrois, développé par Peter Farbaky, montre la lente diffusion en terres réformée du modèle tridentin. Elle est principalement l’œuvre des jésuites. L’architecture protestante, quant à elle, est sévèrement limitée jusqu’à la promulgation de l’Édit de tolérance de 1781. Le contexte anglais, évoqué par Gordon Higgott, est bien différent. L’auteur s’intéresse tout spécialement à l’œuvre de Christopher Wren, chargé notamment de la reconstruction de la cathédrale Saint-Paul de Londres, à la suite du grand incendie de 1666. Cet architecte est également celui qui diffuse le modèle des églises à tribunes, suivant en cela l’usage profane des salles de spectacle londoniennes. L’exemple de l’Écosse de Charles McKean permet de ne pas quitter les Iles britanniques. La situation écossaise offre l’avantage d’analyser la coexistence de trois modèles : catholique, réformé et épiscopalien. Elle montre que l’architecture classique ne s’est guère déployée au-delà des églises réformées en milieu urbain. En fait, l’Écosse a développé un modèle national, à l’image de l’architecture civile, telle que celle des demeures seigneuriales.

 

          Enfin, le dernier grand chapitre est consacré très logiquement au « saint des saints », l’espace liturgique. Paulo Varela Gomes est le premier à ouvrir le débat, en évoquant le cas des cathédrales portugaises. Ces dernières obéissent à un schéma qui place le chœur des édifices au sein d’espaces intérieurs unitaires. Il s’agit ici de répondre aux exigences de la Réforme catholique, tout en restant fidèle à un système hérité de la préréforme de l’Église initiée au XVe siècle. Alfonso Rodriguez G. de Ceballos poursuit la réflexion concernant l’espace ibérique avec l’exemple des espaces spécifiques consacrés en Espagne au culte eucharistique. Il s’agit de l’apparition des « sagrarios », lieux aménagés derrière l’abside, voués tout spécialement à l’adoration du saint sacrement. C’est le cas à l’Escorial ou encore dans les chartreuses du royaume. Dans le Levant, on trouve des « chapelles de la communion », érigées en dehors du sanctuaire, où se donne l’eucharistie. Enfin, dernier cas de figure, celui des « chapelles sacramentales », utilisées par des confréries du Saint-Sacrement. Joaquin Berchez et Fernando Marias s’emploient à redéfinir le nouvel usage affecté au déambulatoire dans les cathédrales espagnoles de l’âge d’or et du siècle suivant. Ils mettent notamment en évidence les usages privatifs de cet espace, à travers l’érection d’autels, ou encore la construction de chapelles dans la partie tournante du chevet. En rappelant que tout religieux « meurt au monde », Laurent Lecomte pose la question des incidences architecturales induites par l’application de la règle monastique de la clôture. L’étude du cas des couvents féminins français lui permet de réfléchir sur la pertinence du modèle borroméen préconisant une étanchéité totale entre la communauté conventuelle et le monde des laïcs. Si l’application stricte de ces préconisations connaît bien des limites, l’objectif reste tout de même de faire en sorte que la religieuse ne doit « ni voir ni être vue ». En dernier lieu, Massimo Bisson nous convie à un voyage dans les églises vénitiennes du XVIe siècle. Dotées généralement d’un chœur liturgique, celles-ci connaissent des transformations dans leur agencement intérieur, notamment sous l’impulsion des visiteurs apostoliques. Ainsi, nombreux sont les chœurs qui se voient déplacés en des espaces plus périphériques de l’édifice.

 

          Au total, cet ouvrage, fruit d’un stimulant colloque international, permet de saisir dans toutes leurs nuances les modalités d’application des décrets tridentins. Il révèle les fortes capacités d’appropriation et d’adaptation des différentes aires géographiques concernées, depuis l’Europe septentrionale jusque dans ses parties les plus méridionales. Il dit également combien les décisions conciliaires se sont imposées à tous, sans pour autant conduire à une homogénéité faisant fi des traditions et des usages locaux. En outre, les évolutions propres aux pays protestants ne sont pas oubliées, que cela soit dans le cas anglais ou bien hollandais. Ce souci permet d’utiles points de comparaison entre monde catholique et monde réformé.

 

 

Sommaire :

 

Introduction : L’architecture au temps des Réformes, par Claude Mignot (Paris-Sorbonne)

 

De nouvelles églises pour de nouveaux ordres ?

 

- The Impact of Jesuit Churches on Ecclesiastical Architecture in Southern Germany, par Ulrich Fürst (Munich)

- L’importanza dei modelli : tre esempi di architettura della Congregazione oratoriana tra Roma e Viceregno napoletano, par Daniela Del Pesco (Rome)

- Les religieux architectes en Franche-Comté au XVIIe siècle, par Christiane Roussel (Franche-Comté)

- Le plan centré, une exception chez les ursulines françaises du Grand Siècle, par Philippe Bonnet (Bretagne Sud)

 

Permanence et rebondissements du plan centré

 

- Bernini and the centralized churches : Genesis, Intentions, Interrelationships, par Tod A. Marder (New Brunswick)

- Aux frontières du monde catholique. Eglises de plan centré dans les Pays-Bas méridionaux au XVIIe siècle, par Krista De Jonge (Leuwen)

- Centralised Dutch Calvinist Churches, Jewish Synagogues in Amsterdam and the Model of The Temple of Salomon, par Konrad Ottenheym (Utrecht)

 

Des typologies nationales ?

 

- Rénovation versus tradition : l’architecture au temps de la Contre-Réforme dans les Pays-Bas mériodionaux, par Joris Snaet (Bruxelles)

- Architecture et territoire : la diffusion du modèle d’église à la romaine en France (1598-1685), par Claude Mignot (Paris-Sorbonne)

- La façade d’église en France entre Renaissance et Réformes (XVIe-XVIIe siècles). Quelques remarques, par Catherine Chédeau (Besançon)

- Tipologie di chiese in Austria e Germania meridionale all’insegna delle riforme e delle lotte religiose (secc. XVI-XVII), par Wolfgang Lippmann (Allemagne)

- Architecture of the Counter-Reformation in Hungary, par Peter Farbaky (Budapest)

Wren’s galleried churches and his First Model design for St Paul’s Cathedral 1669-1670, par Gordon Higgott (Londres)

- The Architecture of Three Religions. Scottish Religious Architecture after the Council of Trent, par Charles McKean (Dundee)

 

L’espace liturgique : un espace fragmenté

 

- Préréforme, réforme catholique et architecture. Les cathédrales portugaises du XVIe siècle : type, langage et partition de l’espace, par Paulo Varela Gomes (Coïmbra)

- Edificios singulares de Espana en relacion con el culto eucaristico : sagrarios, capillas de comunion, y capillas sacramentales, par Alfonso Rodriguez G. de Ceballos (Madrid)

- La recuperacion del deambulatorio en la Espana de los siglos XVI y XVII, par Joaquin Berchez (Valencia) et Fernando Marias (Madrid)

- Ni voir ni être vue. Clôture et cura monialum dans les couvents féminins français aux XVIIe et XVIIIe siècles, par Laurent Lecomte (Lille III)

- La collocazione dei cori e degli organi nelle chiese veneziane del Cinquecento : tendenze innovatrici e conservatrici negli anni della « Controriforma », par Massimo Bisson (Venise)