Baubérot, Arnaud - Bourillon, Florence (dir.): Urbaphobie, La détestation de la ville aux XIXe et XXe siècles, 352 p. ISBN 978-2-85276-009-8, 33 €
(Editions Bière, Bordeaux 2009)
 
Rezension von Dominique Hervier
 
Anzahl Wörter : 1187 Wörter
Online publiziert am 2011-12-14
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=911
 
 


          Publier les actes d’un colloque est souvent un exercice à hauts risques, si bien que cet ouvrage doit être salué à plus d’un titre. Il offre en effet, tant par l’intérêt du thème – la ville détestée et détestable – que par la diversité de ses approches, un ensemble d’une grande cohérence, nourri des recherches les plus récentes sur quelque vingt-trois sujets traités à l’échelle européenne. Ce colloque s’est tenu à Paris-12-Val-de-Marne en mars 2007, organisé par l’Institut Jean-Baptiste Say (Université Paris-12), le centre d’histoire du XIXe siècle, (Universités Paris-I et Paris-IV), Vie urbaine UMR LOUEST-IUP, avec le concours du Bonus Qualité Recherche de l’université de Paris-12 et le soutien du Conseil général du Val-de-Marne (Archives départementales du Val-de-Marne) sous la direction de deux enseignants-chercheurs : A. Baubérot, spécialiste des mouvements naturistes, et Fl. Bourillon, rompue aux problématiques posées par l’étude du Paris haussmannien et attentive aux contextes urbanistiques de la crise urbaine.

 

          Vingt-six chercheurs en majorité historiens mais aussi urbanistes et archivistes étudient une double histoire, celle des manifestations de rejet de la ville et celle de l’invention des remèdes à une urbanité dévoyée. L’urbaphobie, est en effet à la confluence des programmes de recherches conduits naguère à l’Institut Jean-Baptiste Say. Elle est abordée par ses deux promoteurs de façon quasi pionnière en situant d’emblée clairement leur ambition : « analyser l’urbaphobie en tant qu’élément consubstantiel du fait urbain occidental » et observer ainsi la façon dont « les manifestations urbaphobiques jouent un rôle actif dans la dynamique de transformation de la ville contemporaine ».

 

          L’ouvrage est organisé en quatre parties, précédées par une courte introduction d’Arnaud Baubérot qui contribue efficacement à la structuration des sujets traités.

– La ville tombeau de la religion

– Néo-ruralisme et utopies anti-urbaines

– Sortir de la ville : projet thérapeutique, projet pédagogique

– Refuser ou réformer la ville

Un texte de Florence Bourillon clôt l’ouvrage : Urbaphobie. En guise de bilan ?

 

          André Encrevé, en ouverture de « La ville tombeau de la religion », signale que les différentes familles religieuses seraient moins hostiles à la ville en tant que telle qu’aux conséquences induites par une urbanisation de plus en plus étouffante. Du brillant pamphlet anti-hugolien de Louis Veuillot, Les odeurs de la ville, présenté par Philippe Boutry, au phénomène des megachurches aux Etats-Unis (Sébastien Fath), les auteurs scrutent les villes absentes de l’œuvre de la Comtesse de Ségur (Paul Airiau), l’attitude des catholiques allemands sous l’Empire et la République de Weimar (Paul Collonge), et celle des catholiques lyonnais face à la croissance urbaine de l’après Seconde Guerre mondiale (Olivier Chatelan).

 

          Florence Bourillon introduit ensuite le « Néo-ruralisme et utopies anti-urbaines », en annonçant avec pertinence que « l’intérêt repose ici dans l’exceptionnalité des démarches et leur validation dans le réel de l’utopie » ; multiplier les cas – et il y en aurait en effet bien d’autres – ne pourrait rien ajouter à la vision de l’ « anti-ville ». Après l’étude - attendue mais qui ne renouvelle guère le sujet, par Michel Granger du célèbre Walden ou La vie dans les bois d’Henry D. Thoreau, Rémi Fabre propose une lecture du Jean Giono d’avant 1945, « un cas  d’urbaphobie radicale ». Frédéric Moret et Céline Baudet, quant à eux, mobilisent les mouvements politiques anglais et français (socialistes et anarchistes) pour y traquer le refus de la ville industrielle et des aliénations qu’elle engendre.

 

          Les sept articles de la troisième partie, « Sortir de la ville : projet thérapeutique, projet pédagogique », introduits par Arnaud Baubérot, gagnent à se trouver regroupés, voire ouverts à une dimension internationale si bien que les études de cas comme celui de Cempuis (Christiane Demeulenaere-Douyère) ou l’Ecole des Roches (Nathalie Duval), initiatives sans grand lendemain, prennent du sens dans ce contexte.

 

           La conviction, répandue dès le XVIIIe siècle que « plus la ville recèle le vice et le désordre, plus la nature redresse et régénère », implique un retour à la campagne comme remède, sans qu’on quitte pour autant la ville de manière définitive. C’est ce qu’illustre dans des domaines très variés cette partie consacrée à l’invention des remèdes : colonies pénitentiaires disséminées sur le territoire durant le XIXe siècle (Ivan Jablonka), expérience des asiles d’aliénés à la campagne (1850-1860) exposé par Hervé Guillemain, débuts du camping en France (Olivier Sirost), rôle de la nature dans la pédagogie des mouvements de jeunesse (1920-1930) présenté par Julien Fuchs comme une utopie anti-urbaine et enfin mouvements naturistes de la Belle Epoque aux années Trente (A. Baubérot).

 

          L’approche et, partant, l’émergence de ce thème de l’histoire urbaine, l’urbaphobie, n’auraient pas été complètes sans la dernière partie, « Refuser ou réformer la ville », qui, sous l’autorité de Laurent Coudroy de Lille, puise fort à propos dans les champs de l’urbanisme et de l’architecture, domaines essentiels à l’étude de l’urbaphobie. Survient alors judicieusement l’interrogation nécessaire : la ville détestée, n’est-ce pas en réalité la trop grande ville, la ville trop dense…la ville excluant tel ou tel groupe ? et la réflexion non moins nécessaire que « la ville ne peut être disqualifiée, sans avoir été préalablement décrite, analysée » ; ce qui pose la question : « est-il légitime d’étendre à la notion même de ville une détestation qui porte d’abord sur ce qui est perçu comme dysfonctionnement ? ». Dans son introduction, Laurent  Coudroy de Lille dégage l’idée forte que « la détestation de la ville est à la mesure des espérances qu’elle peut susciter […] tour à tour perçue comme un risque fondamental ou comme une chance pour le développement humain ». Trois sujets traitent tour à tour de l’Allemagne (Isabelle Mity, l’offensive eugéniste sous le Kaiserreich, 1871-1914), de la Suisse (Joëlle Salomon Cavin, le modèle du village ou l’urbanisme contre la ville), et du rayonnement européen de l’architecte austro-hongrois, Camillo Sitte (1843-1903), dont l’œuvre est heureusement en passe d’être redécouverte (Marc Cluet). Ensuite, si Florent Lazarovici analyse l’action politique d’Albert Thomas pour aménager les fortifications de Paris, si Mayalène Guelton traite du sujet très attendu des cités-jardins et de la cité linéaire chez Benoît-Lévy (1880-1971), enfin si Claire Carriou évoque les Habitations à Bon marché, il n’en demeure pas moins qu’on aurait souhaité voire évoquer la solution radicale de la table rase, prônée par Le Corbusier, de même que la création de villes modèles en pleine campagne (Richelieu, La Roche-sur-Yon), en bordure de ville (Le Vésinet, Maisons-Laffitte) ou en bordure de mer, ainsi que le phénomène des lotissements aux Etats-Unis et en Europe, afin d’enrichir les contours de la « ville perfectible ». Le thème des villes de villégiature (villes thermales, stations de sports d’hiver) est, semble-t-il, tout juste en passe d’être découverts par les historiens et, à cet égard, on ne peut que regretter la persistance du cloisonnement entre historiens et historiens de l’architecture. Malgré ces quelques réserves mineures – car bien évidemment toutes les facettes ne pouvaient être abordées - cette partie contribue à la richesse de l’ensemble de l’ouvrage en ouvrant vers une direction essentielle à l’analyse du thème.


          Au terme de ce parcours très stimulant, les conclusions de cet ouvrage qui fera date soulignent à quel point la pensée urbaine du début du XXe siècle se construit en « secondarité » par rapport à un XIXe siècle riche d’expériences,  de telle sorte que les remèdes aux maux de la ville confortent ainsi indirectement le fait urbain. Finalement, l’urbaphobie, à l’instar de toute réaction antimoderne, participe pleinement de la modernité qu’elle dénonce.