AA.VV.: (Cartron, Isabelle - Barraud, Dany - Henriet, Patrick - Michel, Anne), Autour de Saint-Seurin : lieu, mémoire, pouvoir. Des premiers temps chrétiens à la fin du Moyen Age, 352 pages, 22 x 28, 70 €, ISBN : 9782356130129
(Ausonius Editions, Bordeaux 2009)
 
Reseña de Cécile Dufau, Université de Pau
 
Número de palabras : 1941 palabras
Publicado en línea el 2010-11-22
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=921
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          Une réflexion d’ensemble a été menée sur la basilique Saint-Seurin de Bordeaux et son intégration dans le tissu urbain bordelais, à partir de l’Antiquité tardive jusqu’à aujourd’hui, dans le cadre d’un colloque rassemblant historiens, historiens de l’art et archéologues. Par le croisement des données, issues d’une redécouverte des textes anciens, des cahiers de fouilles anciennes ou récentes, d’une relecture du complexe architectural, cette réflexion autour de la fondation de la basilique, de son protecteur, du bâtiment, des différentes sociétés qui lui étaient associées et de ses possessions temporelles invite à une redéfinition de la place du site et de ses occupants dans le contexte géopolitique et social de la ville de Bordeaux et du grand Sud-Ouest, de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge.

 

          Par tradition, l’église de Saint-Seurin est connue comme la nécropole des premiers chrétiens et la première église bordelaise. L’historiographie ancienne bénéficie à ce titre des travaux archéologiques partisans de Cirot de la Ville (1840-1891), de Paul Courteault (1909-1910) ou de la marquise de Maillé et de Raymond Duru (années 1960), qui cherchent surtout à faire reconnaître Saint-Seurin comme premier établissement chrétien bordelais, avec comme argument imparable l’ancienneté et l’importance de la nécropole paléochrétienne et la présence supposée de reliques dans la crypte de la basilique. Pourtant, la stratigraphie extrêmement complexe et la continuité d’occupation de la nécropole comme de l’église rendent difficile l’établissement d’une quelconque chronologie ou analyse d’évolution. Les découvertes actuelles (Institut national de recherches archéologiques [INRAP], Service régional de l’archéologie [SRA]) et la relecture des archives historiques ainsi que des cahiers de fouilles anciennes tendent plus à rendre compte des développements et relations internes de la topographie bordelaise antique et médiévale dans son ensemble. À ce titre, la mise en relation entre Saint-Seurin, née durant la première moitié du IVe siècle à l’extérieur de l’enceinte et le long d’une voie d’accès de la ville antique, et les autres pôles de la ville antique et médiévale, autour du port et intra muros comme extra muros, tend à souligner la prospérité de la ville dès le IVe siècle. Elle ne démontre pas une réelle prééminence de l’église Saint-Seurin dans la distribution spatiale et sociale de Bordeaux à ces dates. L’étude hagiographique montre bien que les textes établis sur saint Seurin de Bordeaux  par la communauté des religieux de l’église, entre le VIe et le XIIe siècle, n’ont d’autre volonté que de magnifier l’importance du pôle religieux qui lui est associé. Malgré les confusions possibles avec saint Seurin de Cologne, l’évêque Severinus est présenté comme un saint aquitain ; il apparaîtrait dans l’histoire de la cité au tout début du Ve siècle, et deviendrait alors un saint et un protecteur faisant naître un pèlerinage local autour de son tombeau et de ses reliques. Saint-Seurin est donc une église où se sont concentrés différents enjeux et ce quasiment dès sa fondation. Elle est une collégiale gérée par des chanoines soucieux d’affirmer leur indépendance vis-à-vis de Cluny, de la cathédrale Saint-André et des comtes de Bordeaux. Les actions des chanoines n’ont visé qu’à en faire la première cathédrale de la ville. Les dispositions architecturales de l’église illustrent ces luttes de revendication.

 

          La nécropole est accolée au flanc sud de l’église. Elle semble s’être constituée autour de deux enclos rectangulaires, puis développée avec la construction de mausolées, d’autres enclos, puis d’un édifice à abside, probablement de culte. Elle témoigne de la mixité de pratiques différentes, de catégories sociales distinctes, et de l’évolution du culte funéraire, du IVe au VIIIe siècle pour le moins. La première église Saint-Seurin associe une crypte à un espace ecclésial qui lui est  superposé. Un diagnostic portant sur le bâti de la crypte, de l’église et l’étude des chapiteaux permettent aujourd’hui d’avancer des hypothèses de chronologie relative du bâtiment, dans l’attente de datations plus avancées ; il faut en outre savoir que les réaménagements ayant eu lieu à partir du XVIIe siècle rendent difficile une lecture de l’édifice.

 

          La crypte se développe autour d’un espace premier restreint à vocation funéraire, de type mausolée, caractérisé par le dépôt de sarcophages et en lien direct avec la nécropole, puis, à l’ouest du mausolée, la construction de la crypte actuelle et l’agrandissement de cet espace par une structure à trois nefs, peut-être à l’époque romane. La configuration romane tient compte de ces dispositions primitives et est axée sur la présence du tombeau, installé dans la crypte, puis de sa mise en scène un peu plus tard, au XIVe siècle, dans une construction monumentale occupant le fond de l’abside. Dans la partie nord de l’église, au niveau supérieur, l’inhumation de Raimond Fabri, au début du XIIIe siècle, témoigne de l’attachement de ce chanoine de Saint-Seurin à la collégiale. Le mobilier funéraire identifie le chanoine, certainement d’origine bordelaise, comme membre de la cour du pape avignonnais Clément V ayant voulu terminer ses jours dans sa région d’origine. L’étude de ce mobilier illustre comment ici patène et calice furent produits en vue de l’inhumation et de l’identification du défunt, soit lors de la réouverture probable des tombes, liée au mouvement incessant des inhumations dans les églises, à Saint-Seurin comme pour les autres, et de la réoccupation successive des sépultures, soit lors de son ouverture définitive pour le Jugement dernier.

 

          La commémoration des reliques d’autres saints, Amand, Bénédicte, Martial..., vient alors se greffer dans la crypte et dans l’espace absidal, faisant évoluer la topographie interne de l’édifice. La concentration de plusieurs protecteurs légitimerait les prétentions de l’église. En effet, l’intégration de ces personnages dans l’histoire de Saint-Seurin et la présence de reliques prestigieuses (bâton de saint Martial, caillou de saint Étienne, ...) viennent bien renforcer l’indépendance de Saint-Seurin et l’affirmation de sa haute antiquité, en la rattachant directement à un passé prestigieux. Dans ce cadre, la relecture du programme iconographique des chapiteaux vient confirmer l’évolution des dispositions internes de l’édifice. Dans le porche de la collégiale, le cadavre de saint Seurin est exposé couvert de ses attributs sacerdotaux et dans un sépulcre refermé sur lui, image illustrant la mort du fondateur du diocèse, la vocation funéraire du porche au bas Moyen Âge, et revendiquant encore la primauté de Saint-Seurin comme première cathédrale de Bordeaux. Le chœur offre une disposition caractéristique du début du XIIe siècle, quand la nef, les portails et les chapelles portent la marque d’une évolution du gothique vers le gothique flamboyant. Vers le milieu du XIIIe siècle, un portail est construit sur le flanc méridional de l’église. Son iconographie, celle du Jugement dernier, est en liaison directe avec le cimetière vers lequel ouvre le portail ; les saints intercesseurs privilégiés par le décor sculpté sont les saints présents lors du passé originel de la collégiale : saint Seurin et saint Martial. La Grande Chapelle, à destination mariale, est un exemple des modifications architecturales de l’église particulièrement riche et illustre l’émulation architecturale bordelaise, française et anglaise du milieu du XVe siècle, tout comme la volonté de la collégiale de montrer et maintenir son rang face à la cathédrale Saint-André.

 

          Dans le contexte bordelais, l’intégration au cartulaire (compilé en partie à la fin du XIIe siècle) d’une coutume plus ou moins authentique d’investiture comtale, « selon laquelle le tout nouveau comte de Bordeaux ne peut légitimement gouverner la ville de Bordeaux s’il n’a auparavant reçu l’honneur de son consulat du susdit évêque (Seurin), la tête baissée et ensuite acquitté le "tribut annuel" à l’instar de ses prédécesseurs », inscrit directement Saint-Seurin dans la sphère politique bordelaise et essaye d’en affirmer la suprématie : au moment même où la collégiale est reconstruite, les obligations des comtes de Bordeaux envers Saint-Seurin sont (re)dessinées.

 

          Une sauveté est attachée au chapitre, avec pour chœur l’enclos canonial originel disparu. Certainement née au XIIe siècle, elle ne constitue qu’une partie – la part urbaine – de la paroisse. La domination du chapitre s’exerce dans la perception de la dîme et des redevances foncières, les droits de justice, les résidents de la sauveté ayant droit à certaines franchises. Le temporel de Saint-Seurin est, pour les XIIe et XIIIe siècles, aussi important que celui de Saint-André. Hormis dans la paroisse de Saint-André, le chapitre collégial détient des droits ecclésiaux dans quatorze des quinze paroisses de la ville, limites qui sont également celles de son emprise foncière. L’importance de ce temporel n’est que locale ; si la présence est importante dans la périphérie immédiate de la paroisse, au-delà de cette limite, le chapitre n’est qu’un seigneur foncier parmi d’autres et ses possessions sont strictement limitées à la région bordelaise.

 

          L’ouvrage est dense, les points de vue divers. Il ne s’agit pas d’un ouvrage à unique portée bordelaise, comme le montrent les comparaisons multiples avec les complexes religieux de Saint-Junien, Auxerre, Saint-Quentin, etc. La couverture photographique est bonne, et complétée par la reproduction de documents anciens et une cartographie nourrie, nécessairement très présentes. L’ouvrage offre des données sur la topographie religieuse de la Gaule durant l’Antiquité tardive, illustre comment l’appropriation des vitae de saints et de leur image par une communauté peut fonder et légitimer cette même communauté pendant toute la période médiévale. Pour la période romane, l’enjeu de cette image est d’asseoir l’indépendance de l’Église et son exploitation directe reste financière puisqu’elle favorise l’afflux de capitaux et permet le renouvellement de son image architecturale, avec des remaniements architecturaux incessants entre les XIIe et XVIe siècles. Il semble que cet esprit revendicatif soit même resté vivace jusqu’à il y a quelques années...

 

          Le point est fait sur le dossier « Saint-Seurin » : dans cet ouvrage, données anciennes et données actuelles ont été prises en compte afin d’établir un état des lieux efficace et documenté. Les pistes sont ouvertes dans l’ouvrage pour approfondir cette documentation : il conviendrait en effet d’effectuer une étude de bâti complétée par des sondages pour établir une chronologie absolue des faits architecturaux aujourd’hui défaillante, en l’absence de marqueurs chronologiques sûrs.

 

Table des matières

 

Henriet (P.), « Saint-Seurin, Monumentum », p. 13-16.

 

Genèse du Site

Boissavit-Camus (B.), Guyon (J.), « Introduction », p. 19-22.

Barraud (D.), avec la collaboration de Migeon (W.), « Topographie de Bordeaux dans l’Antiquité tardive à la lumière des nouvelles découvertes archéologiques », p. 23-34.

Cartron (I.), « À la recherche des origines chrétiennes de Bordeaux : quelques jalons historiographiques autour de Saint-Seurin », p. 35-44.

Barraud (D.), Cartron (I.), Pichonneau (J.F.), Sauvaitre (N.), « La nécropole de Saint-Seurin à la fin de l’Antiquité : un complexe monumental revisité », p. 45-64.

 

Hagiographie et reliques

Lauwers (M.), « Introduction », p. 67-70.

Beaujard (B.), « Le culte des évêques en Gaule au VIe siècle », p. 71-78.

Baillet (C.), Henriet (P.), Junique (S.), « Le dossier hagiographique de Saint-Seurin », p. 79-86.

Baillet (C.), « Le mémorial des saints. Les reliques de l’église Saint-Seurin de Bordeaux (VIe – XIVe siècle) », p. 87-116.

Henriet (P.), « Lectionary with Canon of the Mass for the Use of Bordeaux (New York, 2006) ou comment un manuscrit de Saint-Seurin fut perdu, retrouvé, puis perdu de nouveau. Note sur l’ "eucologe" de Cirot de la Ville », p. 117-120.

Colette (M.N.), « À propos des neumes du manuscrit de l’eucologe de Saint-Seurin de Bordeaux », p. 121-122.

François (G.), « Plaque de croix émaillée (Limoges, XIIIe siècle) sur la reliure de l’eucologe de Saint-Seurin de Bordeaux », p. 123-124.

 

Textes et images : construction des identités de la communauté

Treffort (C.), « Introduction », p. 127-128.

Henriet (P.), « Res gestas scripti memorie comendare. Rufat et le premier cartulaire de Saint-Seurin (années 1160-1190) », p. 129-140.

Voyer (C.), Debiais (V.), « La mort de l’évêque fondateur : une image de la collégiale Saint-Seurin », p. 141-158.

Bernadet (A.), « Redécouverte d’un panneau d’évêque provenant de l’ancienne vitrerie de Saint-Seurin », p. 159-170.

 

Autour de la collégiale : la mémoire du saint

Sapin (C.), « Introduction », p. 173-176.

Araguas (P.), « Saint-Seurin de Bordeaux : les grandes étapes de l’évolution de l’église canoniale du XIe au XIXe siècle », p. 177-196.

Michel (A.), coll. Cartron (I.), Piat (J.L.), « Saint-Seurin de Bordeaux. Étude archéologique de la crypte : observations préliminaires », p. 197-234.

Sparhubert (E.), « Les chanoines, le saint et la collégiale : construire une identité collective autour d’une ambition monumentale. L’exemple de la collégiale limousine de Saint-Junien », p. 235-248.

 

Enjeux de pouvoir (XIIe-XVe siècle)

Lainé (F.), « Introduction », p. 251-254.

Boutoulle (F.), « Le rite d’ investiture au comté de Bordeaux à Saint-Seurin : emprunts et intentions d’une construction sans précédents locaux », p. 255-266.

Lavaud (S.), « Le temporel et la collégiale Saint-Seurin de Bordeaux au Moyen Âge : pouvoirs et espaces de pouvoirs », p. 267-288.

Boyer-Gardner (D.), Cartron (I.), « Chronique d’une mort préparée. Autour de la sépulture de Raimond Fabri, chanoine de Saint-Seurin », p. 289-306.

 

Construire à la fin du Moyen Âge

Araguas (P.), « Introduction », p. 309-310.

Schlicht (M.), « La grande chapelle dite Notre-Dame-de-la-Rose », p. 311-330.

Piccinini (C.), « Le portail sud de la collégiale : hypothèses entre iconographie, datation et style », p. 331-344.

Bonnet (C.), « Conclusions », p. 345-346.