Morard, Thomas: Horizontalité et verticalité. Le bandeau humain et le bandeau divin chez le Peintre de Darius, 264 p., 120 pl., ISBN 978-3-8053-3965-0, 69,00 euros [D] ou 113,00 CHF [CH]
(Philipp von Zabern, Mainz am Rhein 2009)
 
Rezension von Hélène Cassimatis, CNRS
 
Anzahl Wörter : 3838 Wörter
Online publiziert am 2010-06-14
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=925
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          Le sujet de cette thèse porte sur un principe de composition des imageries vasculaires, italiotes essentiellement, celui de la séparation spatiale d’un récipient en deux parties échelonnées, dans les mises en scènes d’épisodes provenant des mythes ou des tragédies, qui place les dieux dans le bandeau supérieur au-dessus de celui des humains. En effet, le peintre de Darius a utilisé cette disposition de façon systématique.

 

 

 

          Ces termes d’"horizontalité" et de "verticalité" impliquent donc une approche géométrique de l’espace, visuelle et psychologique : chaque bandeau est, tout à la fois, horizontal et vertical, occupant la largeur d’une partie de la hauteur de la panse ; en même temps, l’interdépendance, qui existe ou non, entre les scènes divines et humaines suit une ligne verticale que l’ œil parcourt et que l’esprit enregistre et interprète. Une telle disposition met en jeu plusieurs mobiles : la cohérence visuelle d’une image, la relation entre les scènes, relation active avec l’intervention du haut vers le bas, relation sous-entendue car non apparente, ou simple rappel de l’omniprésence des dieux.

 


 

          Le parti pris du peintre s’explique-t-il comme une invention personnelle, ou bien d’autres, avant lui, ont-ils utilisé le même procédé ?  D’autre part, les dieux intervenaient-ils dans les affaires humaines ? Comment cette intervention était-elle exprimée par les imagiers, attiques d’abord, italiotes ensuite, et singulièrement par les peintres apuliens ? Quelle part accordait-on aux textes et au fonds iconographique ? Celui-ci suffisait-il à exprimer histoire, intention, but ? Jusqu’à quel degré d’importance chaque domaine influait-il sur le résultat ?

 

 

          A ces diverses questions, l’auteur répond, après avoir passé en revue les propositions des nombreux chercheurs qui se sont préoccupés du sujet, en particulier sur le rôle des divinités. 

 

           Le sujet se heurte, en effet, à de nombreuses difficultés que Morard a dû surmonter à l’aide de multiples exemples. L’on ne peut que louer l’auteur d’avoir mené à bon port sa tâche, sachant que la céramique à figures rouges d’Italie, s œur cadette de la céramique attique, a adapté les contenus de sa s œur aînée pour satisfaire les  imaginaires locaux, créant ainsi des répertoires différents.  

 

 

          La solution proposée par Morard, les liens avec l’épopée, pose à son tour un nouveau défi à qui voudra analyser certaines des imageries savantes des peintres italiotes, car la démonstration est pertinente. Ce serait par Homère que s’expliqueraient plusieurs des compositions du peintre de Darius, plutôt que par le théâtre tragique. Plusieurs études portant sur les représentations vasculaires des mythes et des tragédies confortent cette dernière observation, car l’on peine souvent à retrouver une adéquation avec une pièce théâtrale. En effet, même lorsque le sujet traité est identifié, une mise en scène, ou des annexes que l’on ne retrouve ni dans les tragédies telles que nous les connaissons, ni dans leurs représentations telles qu’on les attend ou les imagine, brouillent la perception. Les peintres juxtaposent des événements, incorporent des épisodes pris à des traditions différentes, conjuguent, dans une même image, un avant et un après plus ou moins proches, contractent le temps. La peinture ne reflète jamais fidèlement ce qu’a dit le poète. Non pas que l’image se replie sur son propre discours, mais elle peut combiner différentes sources, se conformant également aux demandes spécifiques qui peuvent lui être faites, et suit sa propre logique, prisonnière aussi de son support, et limitée par le temps unique qui est le sien.

 

 

          Ces considérations concernent essentiellement les images qui tirent leurs propos de la littérature, mythes, légendes ou pièces théâtrales, et non celles qui illustrent des activités plus quotidiennes et plus proches des vécus cultuels. Et pour ces histoires, la perte de pans entiers de la littérature antique, des poètes de Grande Grèce spécialement, peut fausser nos interprétations.    

 

 

 

          D’autre part, jusqu’à quel point doit-on accorder liberté, voire indépendance par rapport aux autres formes d’expression, à la démarche iconographique qui possède une réelle spécificité ? Morard affirme, avec raison, cette spécificité, tout en soulignant l’influence du "dit", sans lequel il n’y aurait pas d’image antique. Mais le peintre crée à son tour, puisant dans le matériau propre à son art, et propose ainsi sa lecture. Motivées par d’autres vouloirs, les mises en scène des héros et des dieux obéissent à une ligne conductrice, à un programme. A l’arrière-plan se profile ainsi « l’intention », comme le suggérait déjà Th. Panofka, cité par l’auteur (p. 2, note 4).

 

 

 

          L’indépendance de l’iconographie et l’influence du texte, se trouvent à la racine des interprétations de ces imageries savantes. L’auteur a raison de plaider pour une étude des représentations en elles-mêmes et pour elles-mêmes, la tradition figurée et le langage iconographique contenant les possibilités de leurs renouvellements (p. 4). Les textes offrent matière à images mais les imagiers ne sont pas de serviles illustrateurs et suivent les impératifs de leur art ainsi que les suggestions de leur imagination (l’on découvre même des images sans texte - connu en tout cas – comme par exemple Néoptolème fracassant Astyanax contre le corps de Priam, au lieu de le précipiter du haut des remparts selon l’Iliade). Dilemme que Morard résoud en rapprochant les deux branches du problème, histoire écrite ou orale et histoire peinte.

 

 

          A ces influences, ajoutons celle des représentations théâtrales. L’apport du théâtre sur le plan visuel ne semble  pas devoir être ignoré, car il peut être une source pour des peintures complexes, avec des idées de mises en scène, des accessoires, des costumes, incorporés comme des "pièces détachées", un ferment pour des montages que l’analyse des documents par Morard met d’ailleurs en évidence. Même les scènes « génériques » ou « anonymes », sans liens avec le mythe ou la tragédie, celles construites au moyen de formules, interchangeables bien souvent, ne sont pas exemptes de ces contaminations, certaines mises en page trahissant l’apport, même lointain, des artifices scéniques. Par exemple, les images phlyaques attestent de la réalité d’un théâtre populaire ambulant et facilement accessible. Cela étant, l’image n’est pas l’illustration d’un texte, comme elle n’ambitionne pas de reproduire, sur ses propres supports, les manifestations des tréteaux scéniques : l’« interaction entre les deux modes d’expressions » (p. 3) est superficielle. 

 

 

          Que signifie donc la disposition en bandeaux privilégiée par le peintre de Darius, lointain descendant des imagiers attiques qui, à cette époque, ne l’utilisent plus ?           

 

 

 

          L’auteur veut « considérer les assemblées divines en elles-mêmes et non plus uniquement au travers du mythe représenté au registre inférieur » et il pose son objectif (p. 5 et p. 6) : « retracer la genèse de ces scènes à deux frises superposées, puis comprendre les raisons qui ont poussé les peintres de vases apuliens à choisir ce mode de représentation.... exposer le mécanisme des deux bandeaux... Proposer un épisode du mythe, en supprimant toute action (en effet les dieux n’interviennent pas dans le registre humain) en séparant radicalement les protagonistes, les dieux d’une part, les humains d’autre part, et en montrant les figures disposées les unes à côté des autres, n’était-ce pas détruire l’image mythologique telle qu’on l’avait représentée... ? ». C’est ce que présuppose l’indépendance de l’iconographie. Mais celle-ci peut-elle se dispenser de l’intention ? L’imagier œuvre-t-il in vacuo ?

 

 

 

          Dans le premier chapitre « Les Assemblées divines dans l’art grec » (prises à leur début dans l’époque archaïque), subdivisé en plusieurs sous-chapitres, on retiendra l’exemple de la Naissance d’Athéna, par le peintre C, qui introduit Poséidon parmi les spectateurs. Or, le dieu de la mer n’est pas « sans fonction » ici, car sa  présence préfigure son combat ultérieur avec la déesse pour la possession de l’Attique. C’est un clin d’ œil significatif et un cas de la contraction du temps. Il en est de même pour Héraclès (sur l’amphore pl. 62, 2 et p. 11-12)) qui, logiquement, n’a pas sa place dans la naissance de sa protectrice. L’introduction de divinités ou de héros n’est pas gratuite, elle s’accorde avec l’intention du peintre, maître de son expression, mais nous ne la connaissons pas.

 

 

 

          On constate ainsi la malléabilité de l’imagerie. Non seulement le mythe ne tient pas compte du temps, mais la représentation le transcende également, et peut en jouer, mettant au jour des sous-entendus.

 

 

          Dans cette recherche des précurseurs de la disposition en bandeau horizontal, Morard cite deux objets, le vase François et la coupe de Sosias. Sur l’un, chaque zone est séparée de la précédente et de la suivante par une ligne matérialisée ; sur l’autre, les personnages s’alignent, debout et assis, paratactiques, sur l’espace restreint de la coupe. Deux choix de mises en page s’établissent, en zones indépendantes, ou en continu. La séquence en continu est reprise par la sculpture sacrée (que l’auteur interroge également) bien que ses bâtiments ne puissent être traités à l’aune des imageries vasculaires. Mais quelle que soit la disposition, l’on s’aperçoit que les dieux des artisans du Céramique restent entre eux et ne se soucient guère des mortels. La « dimension politique » qui veut que « l’art grec, individualiste, n’a jamais opposé à un despote triomphant la masse indifférenciée d’un peuple d’esclaves » (p. 39-40) est une remarque intéressante.

 

          Au terme de son incursion dans la céramique attique, l’auteur (p. 30) constate qu’on « ne peut opérer, à priori, une adéquation entre les images et les différentes catégories de réunions qu’évoquent les poètes », les divinités ne se préoccupant que d’elles-mêmes. « A aucun moment les peintres du Céramique n’ont mis leurs assemblées divines en relation avec les actions des  humains ». Ce qui les distingue de leurs émules apuliens qui ne cultivent pas aussi radicalement cet éloignement, et pourrait signifier une dimension liée à des sensibilités politiques fort différentes. Ainsi, dans le bandeau supérieur les dieux, à l’instar de ceux d’Homère, suivent l’action des humains qui est représentée en bas, sans intervenir directement : ils sont en effet des spectateurs vigilants. A la différence des dieux attiques repliés sur leur monde, les divinités italiotes tournent leur intérêt vers l’extérieur.


          L’auteur introduit la notion intéressante « d’aimantation », pour expliquer la présence de certains êtres divins dans des épisodes où ils semblent inutiles, consistant à greffer d’autres personnalités autour du noyau originel, (p. 22). Il serait nécessaire, avant d’interpréter le phénomène comme un acte sémantiquement gratuit, d’étudier la personnalité des participants, car la gratuité totale paraît discutable.

 

 

          Nous ne retiendrons pas l’idée que (p. 26) « avec Dionysos, libation et beuverie s’intervertissent et s’équivalent » : les deux actions sont rituelles et procèdent du sacré. La libation peut se faire aussi avec du lait et du miel, alors que boire du vin renvoie plus intimement à la divinité.

 

          Les premières manifestations italiotes trahissent les expériences du Céramique attique (p. 49 sq.). « La terre pour les hommes et le ciel pour les dieux » dit Morard, matérialisée par une disposition en bandeaux. Celle-ci ne s’impose pas, pourtant, et les personnages divins peuvent planer au-dessus des héros, sans que soient définies de strictes limites spatiales. Les nombreux exemples cités permettent de mettre l’accent sur ce qu’a de spécial la séparation « verticale et horizontale ». Mais (p. 49-52) un peintre ne choisit pas au hasard son sujet, ni a fortiori la manière de le représenter : tout conditionne sa mise en page. Les imagiers de Grande-Grèce ont fait œuvre personnelle, et pour les peintres de la stature du peintre de Darius, œuvre originale.

 

          On pourrait dire que, en fin de compte, ce qui distingue l’italiote de l’attique, c’est peut-être le dialogue : celui qu’entretiennent les personnages entre eux, celui des divinités avec les mortels auxquels elles peuvent se mêler, comme on le voit avec Eros, Aphrodite, Dionysos, ou avec lesquels elles peuvent communiquer de loin par les regards. Et aussi, celui de l’image avec le spectateur qu’elle interpelle par l’activité de ses participants, le répertoire non littéraire en proposant de nombreux exemples.


          Les bandeaux représentent donc une disposition commode pour la composition. Ils s’affirment comme tels sans séparation matérialisée. Chaque ensemble forme une scène en soi, distincte, étalée sur la largeur de la panse dans un étagement vertical. Ces bandeaux sont structurants.

 

 

          Mais ce dispositif ne sépare pas uniquement des dieux et des humains. Sur certaines images, par exemple, les différents espaces séparent des dieux : sur le grand cratère à volutes de Bruxelles (pl. 85,2) c’est un Dionysos au symposion que survole le quadrige d’Athéna emmenant Héraclès. Or, le triomphe du héros occupe la plus grande largeur de la panse, le symposion étant relégué en bas. Chaque événement est bien détaché de l’autre sans séparation matérialisée. Peut-être faut-il alors comprendre ce programme (car cela en est un) comme l’apothéose d’un défunt, assimilé au héros, et se plaçant sous la protection de Dionysos dont il avait embrassé le culte. Le cortège des jeunes garçons avec tambourin, torche, canthare et situle, sur le col au-dessus, dans un autre espace, et le banquet divin en seraient les signes révélateurs et une double signature du contexte.

 

          Les nombreux exemples réunis par Morard mettent en évidence ce qu’a d’original cette disposition privilégiée par le peintre de Darius, et ceci lui permettait d’introduire de la clarté dans la lecture de scènes complexes. 

 

          Car les peintres se trouvaient devant une contradiction : construire de l’imagerie qui rendrait compte des imaginaires, des sensibilités, des désirs de paraître de leurs acheteurs, et respecter des croyances, des cultes, des préoccupations eschatologiques, et ce de manière cohérente. La proximité, entre divinités et humains ressentie par les populations qu’ils servaient, les obligeait à user d’artifices qui marqueraient en même temps la distance inévitable entre les deux mondes.

 

          C’est sans doute ces considérations qui pourraient expliquer la continuité d’un procédé. C’est « dans le creuset iconographique italique... » puis grâce à « une évolution locale rapide et efficace » où la taille des vases et leurs utilisations ont joué un rôle non négligeable qu’il faut chercher (p. 54). Morard a tout à fait raison de le souligner.

 

          Mais (p. 55 sq.) c’est dans la littérature, et précisément chez Homère, que l’auteur trouve la justification des nombreuses scènes de ce répertoire, ainsi que dans les possibilités portées par le langage et la tradition iconographiques. « Dans l’Iliade, les dieux jouent un rôle aussi important que les héros. Ils suivent avec attention ce qui se passe sur terre, et les affrontements entre Grecs et Troyens suscitent en eux des passions violentes. Indépendamment de leurs interventions directes dans la mêlée, ils tiennent régulièrement des assemblées... ». Il semble qu’à partir du moment où l’on retrouve des échos  de ces épopées dans les peintures vasculaires, on tienne une partie de l’explication de leur provenance et de leurs mises en page. Les possibilités du corpus iconographique des ateliers étaient mises à contribution, adaptées, affinées, ajustées à l’histoire à représenter.


          La première tâche consistera à analyser la représentation des dieux dans l’épopée : comment ils se comportent entre eux, envers les mortels, ce qu’ils font, leurs réactions. Curieusement cette agitation du monde céleste se reflète fort peu dans ce qu’en donnent les artistes attiques. Pourtant, le chassé croisé dieux/mortels implique une “double motivation”, divine et humaine (p. 59 sq.). L’une ne peut aller sans l’autre. Mais, “Entre l’imagier et le spectateur s’interpose le texte. Le geste rhétorique suppose un discours et c’est le contenu de ce discours qui confère à l’image sa signification”. Deux discours donc, solidaires et pourtant indépendants. La réalisation visuelle est une réélaboration par les outils de l’iconographie, ainsi “l’image évite d’illustrer Homère ou Euripide”.

 

 

          Que proposent les œuvres italiotes ? Le chapitre V entre dans le vif du sujet avec “Les deux bandeaux superposés du peintre de Darius” (p. 73).

 

          Cette reconstruction par l’image suppose, reconnaît l’auteur, 1) que les textes soient connus des peintres, et de ceux qui commandaient et achetaient leurs œuvres, en ayant peut-être au préalable précisé le sujet à traiter. Il est vraisemblable que dans ces régions, comme ailleurs à toutes les époques, certaines familles avaient dans leur entourage des lettrés qui lisaient, chantaient, déclamaient ; 2) mais que les imagiers disposaient aussi des textes, et qu’ils aient été capables de les lire, ou de se les faire lire. Et surtout, qu’ils étaient en mesure de les transposer dans leur art, car le fonds à leur disposition ne devait pas contenir toutes les figures nécessaires. Or, les compositions des peintres de Darius et des Enfers sont aussi savantes que les textes dont ils s’inpiraient. 

 

          Pour le cratère de Naples, par exemple, illustrant les funérailles de Patrocle, Morard note (p. 74-75, cat. 32, pl. 25) qu’il a été composé par le peintre de Darius lui-même qui “s’est appuyé sur le texte de l’Iliade”,  dont on reconnaît le chant XXIII. “Intertextualité”, en effet, répérable sur d’autres vases également, qui repose sur deux media, texte écrit ou oral existant, texte peint à créer.

 

          Ce grand cratère met en évidence comment le peintre a créé une image lisible, sans trahir le poète : s’appuyant sur le principe des zones, il a étagé trois bandeaux, séparés virtuellement, donnant toute l’importance aux deux supérieurs. Ce traitement a permis d’inclure plusieurs indications du poème, sans brouiller la lecture, dans une oeuvre hautement évocative, où se conjuguent motifs iconographiques et motifs littéraires.  


          Sur le vase des Perses (cat. 31, pl. 23-24)) trois bandeaux encore se partagent la hauteur de la panse, le troisième, en bas, plus étroit est d’un intérêt secondaire. La disposition, également claire, se passe d’une séparation matérialisée.  La face B participe de la même vision, mais en brise la rigidité par Pégase et la Chimère au centre, l’un survolant l’autre.

 

 

          Ces compositions ne doivent rien au hasard et tout à la littérature (Homère est un conteur dont les descriptions sont autant de tableaux) et aux expériences des prédécesseurs dans la tradition iconographique.

 

          L’une des caractéristiques des imageries italiotes est constituée par une prolifération d’objets. “Le langage des objets” (p. 80) m’a toujours paru déterminant pour comprendre une scène : ils en sont les attributs et font partie des éléments de la signification.

 

          Evitant de se livrer à des conclusions d’ordre général, l’auteur se veut prudent car des exceptions (p. 88-90 et 101 sq.) empêchent de figer les images dans des interpétations strictes. En effet, dans cette zone supérieure, peuvent figurer des personnifications, ou des héros divinisés, intrusion qui marquerait le “gage de l’immortalité” (p. 116) et confèreraient à une image une autre dimension, une autre intention.

 

          Cette pluralité de significations et la croyance d’une existence dans un au-delà (car ces gens croient à une autre existence, différente de la vie) justifient les deux derniers chapitres de l’ouvrage qui portent sur le “décor” (qui n’en est pas un) végétal et sur l’absence de Dionysos et d’Eros dans les Assemblées divines. Or ni Dionysos ni Eros ne sont des Olympiens, et en outre, ces vases sont pour la tombe. Lorsqu’Eros vagabonde parmi les fleurs, celles-ci et les autres plantes ne sont pas là pour plaire au spectateur, mais pour rappeler les prairies fleuries de Perséphone (p. 150-151).

 

          Quant au dieu du vin, ses liens avec le monde des morts l’exclut des réunions olympiennes proprement dites. Il reste l’étranger malgré les efforts des poètes. 

 

          Eros est, lui, en Grande Grèce, davantage le Megas Daimon (de Platon/Diotime) que le fils d’Aphrodite : les scènes non mythologiques l’attestent abondamment. C’est dans les représentations des mythes et des tragédies qu’il se tient près d’Aphrodite et devient son intendant. Il assume alors le rôle que les histoires lui assignent. La différence de son personnage portée par les scènes non littéraires, qui reflètent mieux la vision populaire, témoigne d’une autre conception de cette divinité. Il est proche de Dionysos, jusqu’à faire partie du cortège bacchique ou à recueillir pour lui le jus de la treille, et il se tient près des tombes au même titre que les humains venus rendre hommage, et avec eux. Eros a un côté sulfureux.

 

          En mettant en évidence les relations entre l’épopée et l’iconographie, Morard ouvre une voie nouvelle vers une recherche plus pointue de l’interprétation et de la compréhension de ces tableautins. Il paraît indéniable que la littérature grecque a circulé très tôt dans les colonies, spécialement la geste des héros, et s’est affirmée avec la diffusion de textes écrits, sans doute bien répandus au IVe s.

 

          Partant d’un problème de répartition et de mise en page des éléments iconographiques, l’auteur a soulevé de très nombreuses questions au cours de cette étude dense, qui puise dans un large cercle d’exemples. Ses incursions dans plusieurs domaines ont mis en évidence la difficulté à interpréter ces imageries italiotes, qu’il faudrait interroger presque une par une, non seulement pour celles produites par le peintre de Darius et ses contemporains, mais aussi pour celles d’autres peintres moins éminents. Les rapprocher des textes (d’Homère et non pas seulement des tragiques, comme on le fait trop souvent), des variantes des mythes et des légendes dispersées à travers de nombreux écrits, dont les échos nous parviennent fort assourdis, constitue un complément indispensable à leur interprétation.

 

          L’ouvrage comprend deux parties principales : Horizontalité et double motivation – Verticalité et immortalité, subdivisées en IX chapitres, contenant chacun des sous-chapitres. Il se clôt par un catalogue de 84 numéros, dont l’auteur explique le maniement. Les illustrations, d’excellente qualité, se divisent en deux parties : par numéros du catalogue, cités comme tels dans le texte ; par planches, dont les exemples ne figurent pas dans le catalogue.

 

          Ce travail interroge l’iconographie non seulement comme technique d’expression visuelle, par la mise en place d’éléments “dans un certain ordre assemblés”, mais également comme révélateur de domaines cachés dont la signification est à découvrir. C’est une contribution importante dans la recherche sur l’art vasculaire italiote, d’où ne sont pas exclues les imageries attiques qui ne peuvent qu’en bénéficier.