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Compte rendu par Anthony Alvarez Melero, Université libre de Bruxelles et Universidad de Sevilla Nombre de mots : 1940 mots Publié en ligne le 2010-07-20 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=929 Lien pour commander ce livre
Témoignage de l’intérêt croissant porté aujourd’hui à l’épigraphie, ce volume rédigé en langue espagnole et édité sous l’égide de J. Andreu Pintado, entouré de quelques collaborateurs, s’avère un instrument de travail indispensable, pour tous ceux qui désirent se confronter à l’étude des inscriptions latines. Egalement consultable sur Internet (http://www.liceus.com/cgi-bin/aco/areas.asp?id_area=2), l’ouvrage est conçu à l’image des grands manuels épigraphiques de R. Cagnat, de I. Calabi Limentani ou encore de J.-M. Lassère, dont il prend d’une certaine manière la suite, sans néanmoins prétendre à les remplacer. Parmi les apports de ce nouvel ouvrage, qui puise largement dans la documentation provenant des provinces hispaniques, il convient d’évoquer les sections consacrées à l’épigraphie juridique ou amphorique, sur lesquelles je reviendrai.
À l’instar de ses illustres prédécesseurs, ce livre affiche un objectif pédagogique très clair. En effet, le lecteur s’y familiarise avec la méthode à mettre en œuvre pour étudier un texte épigraphique en l’exploitant au maximum, tant du point de vue du fond que de la forme, puisqu’on a tendance à négliger le support au profit du formulaire. Pour ce faire, en plus de développements très détaillés et très au fait des dernières recherches, l’ouvrage comporte une bibliographie exhaustive, mise à jour, rangée à la fin de chaque chapitre et à la fin du livre, sans exclure les sites Internet. En outre, le recours fréquent aux illustrations contribue à renforcer le caractère pédagogique de l’ouvrage.
Le volume est divisé en quatre grandes parties, subdivisées à leur tour en chapitres rédigés, sauf mention contraire, par J. Andreu Pintado. Ainsi, la première section contient les prologues de A. Alvar Ezquerra et de I. Rodá de Llanza, de A. Donati ainsi que de J. Andreu Pintado que complètent la présentation des auteurs et les références aux illustrations figurant dans l’ouvrage. J. Andreu Pintado est l’auteur des trois chapitres de la deuxième section dénommée « La epigrafía como ciencia » (p. 3-60) qui sert de présentation générale. Le premier chapitre (p. 3-14) fournit une définition de l’épigraphie tout en rappelant son importance comme fait culturel et comme mode de communication dans l’Antiquité. L’auteur y évoque aussi la relation qu’elle entretient avec les autres disciplines au cœur de l’Altertumswissenschaft. Suivent une histoire de la pratique épigraphique depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours (p. 15-36), puis un exposé consacré au mode d’édition des inscriptions latines, avec une allusion au support et aux signes diacritiques (p. 37-60).
Ayant pour titre « Introducción a la epigrafía latina » (p. 61-295), la troisième section s’intéresse, comme son nom l’indique, aux divers pré-requis indispensables sans lesquels il serait difficile d’apprécier une inscription à sa juste valeur. En premier lieu (p. 63-93), revendiquant pleinement, sur le modèle de I. di Stefano Manzella, le support comme critère de classification des inscriptions, J. Andreu Pintado rappelle à juste titre que la fonction « monumentale » des épigraphes ne peut s’expliquer sans prendre en compte le type de matériau sur lequel elles ont été gravées. En outre, il souligne que des appellations employées actuellement, telles que « cippus » ou « basis », sont souvent sujettes à confusion car elles divergent de leur signification originelle, raison pour laquelle il plaide avec force pour une clarification. Le chercheur de Pampelune propose donc de ranger les inscriptions selon qu’elles sont gravées sur pierre, sur métal, sur céramique ou sur verre et sur bois, en fournissant au passage une définition précise des vocables au sens trompeur. Dans le chapitre suivant (p. 95-119), il est question d’un thème en général peu traité dans les manuels : celui de l’écriture épigraphique, de son histoire et de son évolution (signes diacritiques, abréviations), sans oublier la terminologie variant selon le type de caractères, qu’ils soient épigraphiques ou paléographiques (écriture capitale, monumentale, etc.). Ensuite (p. 121-142), vient le thème relatif au processus de « fabrication » d’une inscription latine depuis l’extraction et la taille de la pierre jusqu’à l’installation du monument ainsi obtenu, en passant par l’intervention du lapicide et de son officina, l’ordinatio du texte, la damnatio memoriae, etc. Si les données matérielles et stylistiques fournissent des éléments qui s’avèrent indispensables pour bien commenter et contextualiser une inscription, il en va aussi de même pour l’onomastique qui fait l’objet du chapitre suivant (p. 143-173). Il n’est pas dans les intentions de J. Andreu Pintado de détailler les nombreux apports de cette méthode historique. C’est pourquoi il se limite à quelques éléments-clés : tria nomina, filiation, tribu, éléments d’indication de l’origine, de la provenance et du domicile, sans oublier les supernomina (agnomen et signum). Il en profite également pour faire état de l’onomastique des divers groupes sociaux romains. E. Tobalina Oraá, quant à elle, participe à la confection de l’ouvrage grâce au chapitre qu’elle consacre au cursus honorum sénatorial mais aussi équestre et décurional (p. 175-234). Elle décrit tous les jalons de la carrière de ces personnages (sans oublier les sacerdoces), en tenant compte des réformes augustéennes et des évolutions intervenues au cours des IIIe et IVe s. et elle illustre son argumentaire par l’adjonction de treize inscriptions paradigmatiques. La contribution suivante de A.A. Jordán Lorenzo a pour thème la titulature impériale qu’il analyse soigneusement terme après terme (p. 235-253). Enfin, pour clôturer la troisième partie, E. Tobalina Oraá évoque le rapport étroit entre la prosopographie, méthode historique dont elle fournit une excellente définition tout en en soulignant les avantages, et l’onomastique, en traitant la question de l’adoption (p. 255-294).
La dernière section, intitulée « Tipología de las inscripciones latinas » (p. 295-611), s’ouvre avec la contribution de A. Alvar Ezquerra, parue à l’origine sur Internet à l’adresse indiquée plus haut, qui consiste en une présentation synthétique des principaux types d’inscriptions, qu’il appuie par des exemples et qu’accompagnent des considérations sur l’onomastique, sur le cursus honorum et sur la titulature impériale (p. 297-320). Après ce bref exposé introductif, J. Andreu Pintado commence par évoquer l’épigraphie funéraire (p. 321-364). Conformément au plan qu’il suivra pour les chapitres suivants, il replace ces épigraphes dans leur contexte et il mentionne leur terminologie ainsi que leur typologie. Toutefois, il n’oublie pas non plus les spécificités de cette catégorie d’inscriptions en abordant la question de l’autoreprésentation, de la commémoration et celle du formulaire, avec ses critères de datation variables selon les régions. L’épigraphie honorifique, au centre de ses préoccupations dans le chapitre suivant, (p. 365-395), fait l’objet d’une importante mise au point de sa part. En effet, en raison de confusions tenaces, J. Andreu Pintado décide de laisser de côté les dédicaces impériales et votives pour ne traiter, comme un tout unitaire, que des inscriptions gravées sur des bases de statues ou sur des monuments érigés en l’honneur de personnalités illustres des communautés d’où proviennent ces témoignages et qui font ressortir l’autoreprésentation de ces individus dont les faits et gestes sont ainsi célébrés. Ensuite, c’est aux tituli operum publicorum que l’auteur prête son attention avec, d’emblée, un impérieux problème de définition (p. 397-463). Puisque pratiquement toutes les inscriptions latines ont une fonction monumentale, dans le sens étymologique du terme, il détermine que seuls les tituli architectoniques (c’est-à-dire ceux en rapport avec de grands travaux), ainsi que les miliaires, les bornes et les autres documents qui indiquent des constructions seront au centre de son argumentation. À l’instar des chapitres précédents, la question du support est abordée, tout comme celle du formulaire, avec les dédicants, les motifs de la dédicace et la forme de la construction publique évoquée sous la forme d’un catalogue, de grande utilité, de tous les vocables pouvant définir ces bâtiments (temples, édifices de spectacles, thermes et autres constructions hydrauliques, etc.). Enfin, le thème de l’évergétisme, brièvement traité, n’est pas laissé de côté car il entretient une relation étroite avec les constructions publiques à Rome. Reprenant une thématique qu’il n’avait pas analysée jusqu’à maintenant, J. Andreu Pintado s’intéresse aux inscriptions religieuses mais uniquement aux votives, c’est-à-dire à celles qui portent la formule canonique « u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito) » aux multiples variantes (p. 465-498). Ce choix peut paraître arbitraire à première vue mais il le justifie en affirmant avec raison que de nombreuses inscriptions documentant le fait religieux peuvent tout aussi bien être rangées dans la catégorie des tituli operum publicorum (p. ex. la mention de la construction d’un temple) ou encore parmi les épigraphes honorifiques (dédicaces à l’empereur ou au Genius) ou les inscriptions sur objets divers (comme les tabellae defixionum, dont il sera question plus loin). Après ces développements, suit le chapitre consacré à l’épigraphie juridique qui connaît un renouvellement constant grâce, entre autres, aux découvertes récentes faites en Espagne (p. 499-532). Cette discipline a pour fonction l’étude, l’édition et le commentaire des documents, émanant ou destinés à l’administration, qui illustrent le fonctionnement du droit romain, tant dans le domaine public que privé. En plus de cette définition, J. Andreu Pintado souligne trois réalités caractéristiques de ce type d’inscriptions : en premier lieu, le bronze, qui constitue le principal support pour les textes juridiques ; ensuite, les textes gravés sur ce matériau sont la résultante d’un processus de fabrication et de diffusion qui leur sont propres ; enfin, les épigraphes s’articulent en fonction d’une typologie (leges, edicta, etc.) qui s’est complexifiée avec la consolidation de cette discipline dans l’historiographie. P. Ozcáriz Gil, pour sa part, présente une classe d’inscriptions aux contours parfois imprécis : l’instrumentum domesticum et l’instrumentum inscriptum (p. 533-577). Cette terminologie s’applique aux ustensiles et aux matériaux transportables utilisés dans la vie quotidienne et qui comportent des inscriptions. De plus, leur rapport avec l’épigraphie de production doit être signalé. Parmi les types d’inscriptions que l’on retrouve réunies par exemple sur les amphores Dressel 20, citons les marques et les sceaux (sur briques, tuiles, etc.), les graffitti (ante et post cocturam) et les tituli picti. Enfin, J. Andreu Pintado conclut cette section par le chapitre dévolu aux inscriptions sur supports et objets divers, à la définition peu claire (p. 579-611). Le point commun entre toutes les inscriptions de cette catégorie est leur caractère spontané et casuel, très souvent privé et parfois avec des implications économiques, symboliques voire publiques. Leur emplacement peut être variable, qu’il s’agisse de murs, pavement ou objets privés. Les textes, quant à eux, peuvent être gravés, peints ou encore composés avec des tesselles.
Pour clôturer le livre, figurent trois appendices rédigés par J. Andreu Pintado et P. Ozcáriz Gil. Le premier rassemble toutes les éditions scientifiques de corpus épigraphiques, rangés région par région. Le deuxième consiste en une table synoptique présentant les cursus sénatoriaux et équestres qui précède ainsi qu’un répertoire d’un choix d’abréviations épigraphiques et les index analytiques réalisés par D. Espinosa.
En conclusion, à la lecture de cet ouvrage, on peut affirmer que ses apports sont variés. Le volume des thématiques abordées, le soin et la précision avec lesquels celles-ci sont traitées (songeons aux exposés historiographiques), le recours permanent aux sources épigraphiques et littéraires ainsi qu’aux illustrations sont autant d’arguments pour souligner la qualité pédagogique du manuel. La bibliographie, exhaustive et actualisée, sans oublier la mention systématique des sites Internet existants sont conformes à l’objectif que s’étaient fixés les auteurs. Malgré tout, il ne faut pas perdre de vue les quelques lacunes et défauts que contient le livre. Par exemple, certains clichés photographiques, essentiellement en noir et blanc, ne sont pas toujours lisibles : peut-être aurait-il fallu adjoindre un CD-Rom ou bien autoriser un accès à ceux-ci grâce à Internet. De plus, aucune mention n’est faite des cursus administratifs ou militaires de certains groupes sociaux tels que les soldats ou les affranchis impériaux. De même, la traduction des textes des inscriptions présentées n’est pas systématique. Toutefois, ces imperfections n’enlèvent rien au mérite et au crédit qu’il convient d’accorder à ce volume qui témoigne de la vitalité de l’étude de l’épigraphie qu’il contribue à rendre accessible au plus grand nombre.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |