Ghedini, Francesca : Il carro dei Musei Capitolini Epos e mito nella società tardo antica (Antenor Quaderni 13), Dipartimento di archeologia, Università degli Studi di Padova, 21x29,5, 278 p., 225 fig. in b/n, 23 tavv. a colori, ISBN 978-88-7140-402-8, 72,00 €
(Edizioni Quasar, Roma 2009)
 
Compte rendu par Michel Feugère, CNRS
 
Nombre de mots : 962 mots
Publié en ligne le 2011-01-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=938
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          Les plaques en bronze décoré qui apparurent en 1872, encore pleines de la terre dont venait de les extraire un paysan, entre les mains d’un revendeur qui les céda immédiatement à l’antiquaire Castellani, sont devenues rapidement l’objet de la curiosité érudite des spécialistes. La provenance exacte (« provincia di Campagna ») reste inconnue : la découverte semble cependant avoir été faite près de Rome, dans un rayon d’une soixantaine de kilomètres.

 

          Cette incertitude n’est que la première d’une série d’interrogations dont une partie aurait pu être économisée avec quelques observations sur le site : s’agit-il d’une tombe, ou d’une villa tardive ? Toute l’interprétation de l’objet et de ses reliefs aurait pu être éclairée par la connaissance du lieu de découverte, et plus encore par celle du propriétaire. S’agit-il seulement d’un char... ? Avec sagesse, l’auteur passe en revue les différentes hypothèses suggérées par la typologie et l’iconographie. La datation seule peut être établie avec une certaine fiabilité : le IVe ou Ve s. de notre ère, une époque à laquelle le triomphe est tombé en désuétude. Il ne saurait donc s’agir d’un char de ce type, ni même d’apparat : le matériau est trop modeste, et l’iconographie renvoie exclusivement à la vie d’Achille. C’est peut-être le véhicule de transport d’un personnage aisé, comme on croit en reconnaître sur plusieurs reliefs du IVe s. L’aspect général pouvait être proche de la représentation (début Ve) d’une vignette de la Notitia Dignitatum, celles des attributs des préfets du Prétoire pour l’Italie, qui semble avoir fortement influencé les restaurateurs des Musées du Capitole. Les clous à grosse tête ronde qui bordent la lisière arrondie des reliefs vont certainement dans le sens d’une telle interprétation, plutôt que celle d’un siège.

 

          Le « décor », en fait un véritable programme iconographique, est strictement organisé en tableaux formant des bandes parallèles : dans la restitution ancienne, trois larges frises alternant avec deux étroites, qui reproduisent apparemment les mêmes scènes : le « grand cycle » affiche respectivement trois, quatre et cinq groupes de trois tableaux, entrecoupés de quatre grands médaillons circulaires dans le registre médian, figurant une déesse à la conque (Thétis ?) ; le « petit cycle », moins bien conservé, semble avoir présenté les mêmes tableaux en suite ininterrompue. Les deux bandes étroites, au milieu et au bas du char, illustrent un thiase bachique. Les cycles d’Achille se composent de douze tableaux (6 pour la jeunesse du héros, 6 pour les épisodes troyens) mais dans les deux cycles, les tableaux ne se présentent pas toujours dans le même ordre ; il en va de même dans le défilé bachique. Enfin, sous le premier registre, de petits médaillons figurent Alexandre, Bellérophon, ainsi qu’un homme et une femme anonymes. Toutes ces scènes sont parfaitement illustrées dans les planches de photographies (pl. 6-22) complétées par une planche de dessins (pl. 5).

 

          La proposition ancienne rencontre un certain nombre d’objections, dont la principale est son manque de cohérence interne. L’objet comporte donc un cycle d’Achille, répété plusieurs fois, avec, en position médiane,  de grands médaillons de Thétis; sous les tableaux d’Achille, plusieurs médaillons figurant divers personnages, héroïques ou non ; enfin, un long thiase bachique. Sans entrer dans les détails du raisonnement qui amène l’auteur à proposer une nouvelle disposition des reliefs (pl. 23), précisons ici que F. Ghedini s’appuie sur la logique des images plus que sur les collages éventuels : l’objet, pièce maîtresse du musée romain, n’a pas été « dérestauré ». Gageons que l’opération, si elle est réalisée un jour, apportera sa moisson de nouveaux arguments pour ou contre telle ou telle hypothèse.

 

          Après la présentation générale du premier chapitre, l’ouvrage s’organise essentiellement par rapport à l’analyse iconographique et à la réception des images du cycle d’Achille dans l’Antiquité (chap. II et III). Depuis la tradition grecque, en effet, les divers épisodes de la vie du héros servent d’illustration à des vertus classiques, comme le devoir patriotique, l’appel sacré des armes, la force de l’amitié … etc. Mais d’autres épisodes, comme l’enseignement de la musique par le Centaure Chiron (qui est aussi le maître d’Asclépios), ou la fragilité d’une protection même divine (le fameux talon), font du destin d’Achille un ensemble plus complexe, qui justifie en partie son succès dans l’Antiquité tardive. L’auteur a donc exploré très largement le développement de la tradition épique, des séquences narratives et du genre biographique aux époques hellénistique et impériale, ce qui lui permet d’apprécier pleinement le choix de ce thème sur un char ornemental privé de la fin de l’Antiquité : Achille est alors un clair symbole de la paideia, dont la seule évocation peut suffire à établir une connivence culturelle entre des personnages d’un même milieu social, but avéré de nombreuses images publiques et privées de cette époque (mosaïques, argenterie...).

 

          Ces aspects amplement développés par l’auteur à partir de supports très variés brossent un tableau érudit, non seulement de l’iconographie d’Achille, mais aussi de son utilisation dans la société gréco-romaine au cours des siècles. Les éléments de ce solide dossier permettent d’aborder ensuite (chap. IV) les autres thèmes abordés sur le char, notamment la déesse à la coquille, dans laquelle F. Ghedini propose de reconnaître Thétis. Plus obscur reste pour nous l’association du thiase bachique avec le char, une relation étroite dans l’Antiquité. À l’époque où le char du Capitole a été conçu, l’image de Dionysos avait pris une place importante dans les concepts d’auto-représentation du dominus dont découlent les décors domestiques. C’est en partie ce qui a joué ici pour justifier l’association d’un thiase au cycle d’Achille. Mais le dieu et le héros sont également liés par plusieurs épisodes de leurs cycles respectifs. Alexandre et Bellérophon, adoptés pour les autres médaillons, jouent également ici le rôle de référence, de héros, de modèle.

 

          L’ouvrage, qui se clôt sur des réflexions (peut-être un peu moins convaincantes que les pages précédentes) relatives à l’aspect artisanal du char, les auteurs des reliefs et leurs modèles, se présente donc avant tout comme une étude d’envergure sur l’iconographie d’Achille, avec une illustration particulièrement complète pour les parallèles mentionnés. Comme pour toute pièce exceptionnelle, il manque à cet ensemble, qui reste stupéfiant à plus d’un titre), les éléments de comparaison qui auraient permis de comprendre en quoi le char de ce propriétaire se distinguait des ceux de ses voisins, et où se situait la différence que devait sans doute présenter cette commande « sur mesure ». Mais avec ce livre, F. Ghedini a réussi à transformer une découverte mal documentée, et finalement peu exploitée jusqu’ici, en pierre angulaire de l’iconographie gréco-romaine.