Duval, Paul-Marie: Les Celtes (De la préhistoire aux Celtes) [1977], préface de Christiane Eluère. Collection L’Univers des Formes, nouvelle présentation. Présentation et mise à jour bibliographique de Christiane Eluère. Nouvelle édition, 352 pages, 308 ill., cart., sous couv. ill., 195 x 235 mm. 29 €. ISBN 9782070126712.
(Gallimard, Paris 2009)
 
Compte rendu par Walter Leclercq, Université Libre de Bruxelles
 
Nombre de mots : 1949 mots
Publié en ligne le 2010-04-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Rééditer un ouvrage majeur constitue toujours un pari difficile, réussi par Christiane Eluère, l’ouvrage offrant des bases toujours d’actualité que les découvertes récentes ont contribué à mettre à jour – voire réorienter – jamais à remettre en question. Le mot d’ordre fut de respecter la philosophie de la première édition de 1977 à laquelle fut adjointe une bibliographie actualisée mais bien démarquée de l’originelle. Les éditions Gallimard ont tenu à remettre en circulation, sous un format au prix plus accessible (l’ancienne édition se faisant rare), une collection de référence dont la qualité de l’illustration ne fut jamais mise en doute pour la première édition, la seconde ne dérogeant pas à la règle.

 

          L’ouvrage de P.-M. Duval traite essentiellement de l’art – et peu de l’archéologie – d’une population dont les limites territoriales restèrent floues, cause parfois du désintérêt de la part d’un certain milieu scientifique : les Celtes. Pourtant, leur courant artistique sut, par un enchaînement presque envoûtant des motifs et l’utilisation d’un répertoire iconographique tant humain, animalier que floral, se libérer de l’imitation pour devenir un art à part entière. Et c’est cet art que cette synthèse s’efforcera de mettre en évidence à travers la sculpture, la céramique, l’orfèvrerie et les productions métalliques, tout en relevant son originalité. 

 

          L’auteur fait remonter les premières traces des populations aux vestiges archéologiques des champs d’urnes de l’âge du Bronze. Les Celtes s’étendirent sur une large partie de l’Europe jusqu’au Sud de la Bavière en passant par la Rhénanie, la Gaule, la Bohême et l’Autriche, périodiquement l’Espagne pour ne citer que quelques exemples. Ils franchirent également les mers pour arriver sur les côtes irlandaises. L’étendue de ce vaste territoire, des côtes atlantiques aux rivages de la Mer Noire, a constitué le talon d’Achille de la civilisation celtique, démantelée tant par les Romains que par d’autres peuplades, les îles constituant seules un havre d’épanouissement.

 

          Dès la première période de La Tène, la richesse des Celtes s’illustra notamment à travers les tombes princières, reflet de la qualité artistique des productions essentiellement métalliques. Celles-ci touchent à la fois le domaine de l’armement et de la parure avec les épingles et les torques ; certaines, en raison de leur petite taille, pouvaient dès lors circuler et véhiculer des traits communs. L’or et l’argent composaient une partie des matières premières utilisées dans des œuvres d’une haute qualité. Il est évident que le façonnage de la céramique ne reste pas à l’écart, de simples poteries utilitaires côtoyant une production de luxe. Cette céramique présente de nombreuses spécificités dues, selon P.-M. Duval, à leur caractère local. Les productions monétaires occupent une grande place dans l’art celtique, pour cette raison, il est important de ne pas les négliger. A contrario, la pierre fut, au vu de la réalité archéologique, très peu utilisée. Il est évident que la création celtique ne s’arrête pas avec ces matériaux de base. Viennent s’adjoindre également l’utilisation du corail dans les armures et parures mais également du verre.

 

          La maîtrise de ces matières premières va de pair avec les connaissances techniques adéquates afin de monter et ornementer ces différents types de surfaces. Ciselets, marteaux, poinçons, pour en énumérer quelques-uns, étaient des outils fréquents dans l’art celtique. Ignorant la technique du filigrane et de la granulation étrusques, ils privilégiaient l’émaillage et développèrent le pastillage, frappèrent les monnaies d’or et d’électrum à chaud au marteau. Le tour ne se répandant qu’à partir du IIe siècle av. J.-C., l’usage de la tournette pour finaliser les céramiques était commun – sans pour autant effacer le façonnage à la main. Le compas pouvait servir pour finaliser l’ornementation de la surface.

 

          Dès le milieu du Ve siècle, dans une tradition hallstattienne, les Celtes héritèrent d’un bagage technique tant d’un point de vue métallique que céramique, bagage qu’ils ne cessèrent de développer. Quelques années plus tard, avec les prémices du IVe siècle, certaines caractéristiques de l’ornementation celtique firent leur apparition : à l’alternance de pleins et de vides, s’adjoignit la fusion de deux images voisines dont une des parties leur devient commune. Les fibules plastiques firent leur apparition ; les motifs fusionnés d’animaux, puis de végétaux, ornèrent les vases en bronze généralement agrémentés d’un grand bec verseur. Contrairement aux manufactures métalliques, les objets céramiques, produits de fabrication locale, sont moins sensibles aux transferts d’influence. Si des similitudes apparaissent dans diverses productions régionales, l’auteur les explique par l’intermédiaire de la diffusion des vases métalliques qui véhiculeraient des caractéristiques communes. Le registre décoratif se compose essentiellement de motifs végétaux, avec une préférence pour la palmette, stylisés pour la majeure partie. On voit aussi la création d’un bestiaire composé de créatures mi-humaines, mi-animales. Une place importante est laissée au vide et surtout à l’éclectisme.

 

          Vers 350 av. J.-C., des contacts fréquents furent établis avec le monde méditerranéen qui entraînèrent une importation de nouveaux motifs ornementaux, non repris pour eux-mêmes mais adaptés aux particularismes celtiques. Les changements ne touchèrent pas uniquement le registre décoratif mais tous les niveaux de la société celtique : les forteresses laissèrent la place aux fermes, le rite de l’inhumation fut abandonné pour la pratique de l’incinération dans des tombes plates. Avec l’arrivée d’un nouveau corpus décoratif, la tendance générale alla vers une simplification et une métamorphose du registre végétal en faveur de l’humain. L’utilisation du visage se perpétua mais, au final, laissa la place aux motifs non figuratifs qui s’étendirent par de multiples détours. Ils finirent, selon P.-M. Duval, par avoir une valeur magique voire apotropaïque, la lecture de l’objet se faisant à plusieurs niveaux. À cette illusion tournoyante, le traitement plastique du métal, à la fois sculpté et modelé, offrait à l’observateur une tridimensionnalité qui donnait encore une fois une autre perception de l’objet. Au final, la seconde partie du IVe siècle fut marquée par une assimilation de diverses influences, l’Italie du Nord jouant un rôle important dans les échanges, qui servirent de base pour une recréation propre aux Celtes.

 

          Nous cheminons doucement vers le IIIe siècle qui connut une nouvelle phase d’expansion de l’art celtique vers le Centre-Est de l’Europe et un renforcement de celui-ci sur les îles britanniques. Toujours ouvert à l’importation de nouveaux motifs, le corpus décoratif ne cessa de se développer : on remarqua l’insertion de deux feuilles tête-bêche dans un cercle comme motif récurrent ; apparurent également, souvent sur les fourreaux d’épée, des animaux imaginaires placés en opposition. D’un point de vue technologique, le tour fut définitivement adopté pour les créations de produits céramiques. Cette progression technologique eut pour effet de donner au profil des vases un caractère plus élancé.

 

          D’un point de vue numismatique, il fallut attendre le IIe siècle pour voir se développer les plus belles productions de l’art celtique. Héritières directes, dans un premier temps, des statères frappés sous Philippe de Macédoine, elles s’alignèrent dans un second temps sur les deniers d’argent romains. Si le IIIe siècle av. J-C. était par conséquent marqué du sceau de la continuité par rapport aux modèles originaux grecs, le IIe siècle av. J.-C. vit naître une liberté par rapport à ceux-ci ; un motif dominant émergea : le cheval monté d’un oiseau. La frappe monétaire était alors aux mains des Avernes. La chute de ces derniers en 121 avant notre ère eut pour conséquence un éclatement des productions, chaque cité de la Gaule possédant de ce fait la sienne. Dès lors, toute approche chronologique à travers une étude stylistique devint impossible, seule l’analyse du poids en or fin et ses variations pouvant servir d’indicateur potentiel. La fin de ce siècle qui connut la chute des Avernes vit fleurir à travers le monde celtique continental une nouvelle sorte de construction : les oppida. Période de tensions, mais période d’évolution ; l’art ne rentra pas dans un marasme mais continua à évoluer. En effet, on remarque l’apparition d’un nouveau type de torque en or, gros tube fermé par des tampons avec un système de fermeture intérieur et manchon articulé postérieur. Au lieu de se renfermer sur ses acquis, le corpus du bestiaire ne se résuma plus à quelques animaux domestiques mais s’ouvrit à la faune du domaine forestier – rarement aquatique ; on assista même au développement d’êtres fantastiques mi-hommes, mi-animaux. Le tout était relativement statique, rarement en mouvement ; les animaux, à l’exception des statuettes, ne furent jamais représentés dans leur intégralité mais uniquement par leur tête, parfois avec les épaules. Il fallut plus de deux siècles à l’art celtique pour atteindre sa maturité et créer un art original, creuset dans lequel vinrent se fondre des éléments hétérogènes tant locaux qu’étrangers dans les zones les plus denses du continent. Il connut une extension à l’Est le long du Danube  jusqu’à la Mer Noire et gagna les îles britanniques.

 

          Cet art celtique caractérisé par la dominante végétale, le développement plastique, la composition continue et le recours à la transformation connut un appauvrissement généralisé sur le continent. Il se marqua notamment au niveau monétaire. En effet, l’art monétaire présentait une certaine originalité tant qu’il se basait sur les modèles hellénistiques, mais qui s’appauvrit en copiant les deniers romains dans d’autres métaux que l’or. La céramique revint à une manufacture proche de ses débuts. Si elle était toujours montée au tour, on la para d’un décor peint (parfois des cannelures fluides tracées dans la noirceur de la surface) composé de bandes horizontales agrémentées de motifs en esses. Le métal garda néanmoins quelques survivances de la tradition laténienne. Une création, à la datation controversée, doit tout de même être mise en exergue au Ier siècle av. J.-C. : le chaudron de Gundestrup. 

 

          Les dernières survivances celtiques continentales furent attribuées par J.-M. Duval à l’époque d’Auguste et de Tibère. Outre quelques sculptures créées dans la tradition celtique notamment par la présence de motifs curvilignes, les techniques adoptèrent le savoir-faire de Rome ; la céramique elle-même malgré certaines survivances ne put faire fi de cette influence méditerranéenne. 

 

          Les îles furent selon le célèbre dicton « le seul village résistant à l’envahisseur ». En effet, elles se caractérisèrent par une persistance de la tradition celtique même sous la domination romaine. Elle fut conservée jusqu’à l’arrivée des Anglo-Saxons. Cette insularité commença à se marquer dès le Ier siècle av. J.-C., par l’apparition de caractéristiques propres, conséquence d’un certain isolement. Le bestiaire animalier se marqua par une représentation non complète des animaux, jamais créés pour eux-mêmes mais uniquement comme support. Dès le Ier siècle apr. J.-C., les décors modelés furent traités à plat. L’art numismatique, basé sur les importations belges, permit une régularisation des images formées à partir d’un travail de déformation et de recomposition auquel fut adjointe une géométrisation empreinte d’une légère influence romaine. L’art celtique des îles évolua vers un assagissement progressif des inventions laténiennes.

 

          Cet art connaîtra un revival grâce à l’Irlande, située à la croisée des influences continentales et insulaires développant de ce fait un art propre. Échappant à la conquête romaine, les décors et traditions se mêleront à l’art du christianisme au VIe siècle ap. J.-C., pour revenir en force  aux sources continentales (pour lesquelles ce sera une redécouverte) par l’intermédiaire des missionnaires irlandais et des manuscrits.

 

          Bien qu’il nécessite des lectures complémentaires afin de mettre à jour les nombreuses découvertes archéologiques effectuées au cours de ces trente dernières années, cet ouvrage reste un élément indispensable dans la bibliothèque tant de l’érudit que de l’amateur. D’un texte riche, de lecture agréable, mais de haute tenue scientifique, il est agrémenté d’un grand nombre de reproductions des œuvres mentionnées. S’il n’apporte pas toutes les réponses aux questions que l’on se pose sur la société celtique, l’ouvrage donne une seule et unique envie : continuer à découvrir la douceur des Celtes