Lesur, Nicolas - Aaron, Olivier: Jean-Baptiste Marie Pierre. 1714-1789. Premier peintre du roi, relié, 24 x 32 cm, 578p. 874 ill. dont 142 coul., ISBN 978-2-903239-41-1
(Arthéna, Paris 2009)
 
Compte rendu par Marie-Claire Planche
 
Nombre de mots : 1946 mots
Publié en ligne le 2010-10-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=952
 
 


          Cet ouvrage constitue la première monographie d’un peintre encore trop mal connu. Il a reçu le prix Marianne Roland Michel qui récompense des travaux consacrés aux artistes du XVIIIe siècle. Les auteurs, Nicolas Lesur et Olivier Aaron, avaient déjà publié plusieurs articles sur cet artiste. La préface est, quant à elle, rédigée par un éminent spécialiste du XVIIIe siècle : Colin B. Bailey. Les ouvrages publiés par Arthena ont, au fil des années, gagné en qualité esthétique par le nombre plus important de reproductions couleur. Ces monographies proposent un catalogue rigoureux avec un classement par technique, en l’occurrence peintures, dessins et gravures pour cet artiste. L’ouvrage se partage en deux grands sections : La vie et l’art de Jean-Baptiste Marie Pierre et Catalogue de l’œuvre. Il suit le principe de ces publications : toutes les œuvres sont numérotées et leur technique est immédiatement identifiable grâce à une lettre (P, D ou G). Le catalogue compte trois cent cinq peintures, cinq cent trente et un dessins et trente-huit gravures. Chaque œuvre bénéficie d’une notice complète et d’une reproduction (à l’exception des œuvres seulement connues par des mentions). Les recherches des auteurs prennent appui sur une abondante documentation nourrie par les sources. Les illustrations en noir et blanc du catalogue sont complétées par les reproductions couleur de la première partie.

 

 

          Colin B. Bailey débute sa préface en citant les sources qui, de Vleughels à Edmond de Goncourt, ont célébré le travail de l’artiste. Ces éloges ne constituent qu’une partie des commentaires puisque, nous le verrons, Pierre a également essuyé de sévères critiques. Cette entrée en matière permet également de souligner l’importance des recherches entreprises sur les peintres du XVIIIe siècle et la qualité des monographies scientifiques, dont celle-ci fait partie. Travailler au catalogue de l’œuvre de Pierre permet de dévoiler un artiste trop peu connu ; une méconnaissance qui est en partie liée à une erreur de Mariette sur la date de naissance du peintre. Le travail des auteurs est enfin loué : « la présente publication se compose ainsi de deux ouvrages, chacun fondé sur le réexamen et la réévaluation les plus rigoureux des œuvres, de la documentation et des sources. […] Au fil de ces pages, un éminent artiste du règne de Louis XV nous est ainsi révélé pour la première fois ».

 

 

          L’avant-propos des auteurs rappelle l’oubli dont Pierre fut l’objet et la méconnaissance liée au manque de visibilité des œuvres que l’on crut parfois disparues. Leurs travaux s’inscrivent dans la continuité de ceux de Monique Halbout qui présenta, en 1970, sa thèse de l’École du Louvre consacrée à l’artiste. Soulignons qu’elle n’avait recensé que quatre-vingt onze peintures et soixante douze dessins. Des chiffres qui étayent les remarques précédentes relatives à la méconnaissance du peintre. Ses recherches, fondatrices, ont été relayées par les nombreuses publications de Pierre Rosenberg sur le XVIIIe siècle. Olivier Aaron et Nicolas Lesur montrent de quelle manière leurs travaux ont été enrichis par les recherches sur les autres artistes du siècle. Les jalons de leurs investigations sur Pierre ont été posés dans l’article d’O. Aaron paru en 1993. Enfin, les auteurs mentionnent la séduction qu’a exercé sur eux l’un des plus célèbres tableaux de Pierre : La mort d’Harmonia qui orne la jaquette de l’ouvrage.

 

 

La vie et l’art de Jean-Baptiste Marie Pierre

          Cette première partie de l’ouvrage, rédigée par Nicolas Lesur, bénéficie d’un long développement structuré en chapitres et sous-parties. Les notes, disposées en bas de page, sont immédiatement accessibles : le confort de lecture est indéniable. L’ensemble est rédigé dans une langue plutôt agréable, on pourra seulement souligner les lourdeurs engendrées par les reprises ou redites en début de sous-parties. Si elles sont une gêne pour le lecteur qui fait une lecture continue, elles peuvent apparaître appréciables lors d’une lecture plus fragmentée.

 

          Pierre eut une naissance privilégiée, dans une famille qui constitue une dynastie d’orfèvres renommés. Les documents d’archives permettent de maîtriser l’environnement qui fut le sien et la place de ses proches dans le travail du métal. Dans une lettre de 1788 adressée à d’Angiviller, le peintre indiquait être « né avec tous les avantages ». Cette naissance lui valut une éducation soignée qui se retrouve dans les nombreux volumes de sa bibliothèque (mille trois cent quarante-huit), connus par l’inventaire après décès. Pierre figure dans les archives de l’Académie en 1734, il suit à Rome l’enseignement de Vleughels et étudie d’après l’antique (suivant en cela le travail de ses prédécesseurs). De retour à Paris vers 1740, il apparaît comme un peintre prolixe qui s’adonne aux sujets religieux et aux bambochades. Il est le seul peintre d’histoire à exposer des bambochades au Salon. Les textes critiques sont soigneusement examinés puisque Pierre a cristallisé quelques-uns des débats les plus passionnés. Nommé Premier peinture du Duc d’Orléans en 1752, il succéda ainsi à Charles-Antoine Coypel et obtint des commandes de toute première importance parmi lesquelles les deux coupoles de l’église St Roch. Les différents projets auxquels il travailla sont présentés avec soin, justifiés par les sources. Pierre s’est intéressé aux différentes techniques, notamment la peinture à la cire et la gravure à laquelle il s’adonna. Ses participations aux Salons sont remarquées, celui de 1761 fut l’un des plus importants pour lui. En 1770 il est nommé Premier peintre du roi, puis directeur de l’Académie. À partir de ce moment il s’est principalement consacré à ses fonctions administratives. Cette partie s’achève sur le rôle de Pierre dans les acquisitions destinées à enrichir les collections royales avant la création d’un Muséum auquel il travaillait ; son rôle actif auprès du Comte d’Angiviller est souligné. Enfin, l’intérêt de sa correspondance, publiée en 1905, est rappelé pour montrer combien son rôle d’administrateur des arts fut primordial. La conclusion résume la carrière de Pierre et redonne les noms des artistes qui ont été mentionnés précédemment (Cochin, Van Loo, Vien ou Lagrenée).

 

 

          La présentation de la carrière de Pierre est riche de précisions. Son intérêt, indéniable, se trouve renforcé par les liens constants établis avec le travail des autres artistes de la génération. Il s’agit d’une véritable reconnaissance du rôle et du talent de ce peintre. Les informations de cette première partie de l’ouvrage sont reprises de manière synthétique sous forme de chronologie après le catalogue de l’œuvre. L’ensemble convainc, s’il ne l’était déjà, le lecteur de l’importance du travail de Pierre : « Malgré les critiques et l’opposition que suscitent invariablement les honneurs et le pouvoir, la position de Pierre aura donc été éminente, assumée et assurée par ses contemporains pendant près d’un demi-siècle ».

 

Catalogue


          Selon l’usage, il est classé par techniques puis par dates. Les notices obéissent aux règles en vigueur en faisant mention de l’historique, de la bibliographie et des œuvres en rapport. Les commentaires s’intéressent moins à l’iconographie qu’aux aspects stylistiques et chronologiques.

 

Peintures

 

          Même si un certain nombre de peintures sont perdues, son œuvre peint, souvent gravé par les plus grands artistes de son temps, peut être précieusement reconstitué grâce à ces feuilles isolées de belle qualité.

 

          De nombreuses attributions ont été revues puisque les auteurs ont d’emblée souligné les erreurs ou oublis. Ainsi la peinture P.43 avait tout d’abord été attribuée à François Lemoyne, puis à Noël Hallé et enfin à Louis-Joseph Le Lorrain avant d’être rendue à Pierre. Quant à son sujet, il fut identifié comme un Évanouissement d’Esther avant qu’une Mort de Phèdre ne soit évoquée pour enfin reconnaître un sujet inspiré par Plutarque : Julie, femme de Pompée, s’évanouit à la vue de sa tunique ensanglantée. Cet exemple suffit à rappeler la méconnaissance qui entourait l’œuvre de Pierre.

 

          Comme le mentionnait la première partie, le catalogue est rythmé par la diversité des sujets : peinture d’histoire, bambochades, sujets religieux ou inspirés par des œuvres littéraires. Son travail pour le décor des demeures est d’importance, qu’il s’agisse des appartements du Dauphin à Marly, de ceux de Marie Leszczynska à Versailles, de l’Histoire d’Hercule pour l’Hôtel Lambert (continuité iconographique avec la galerie de Charles Le Brun) ou des tableaux destinés à Mme de Pompadour pour son château de Bellevue. À cette liste non exhaustive, il faut ajouter le décor en camaïeu rose du cabinet du Conseil de Fontainebleau : la figuration d’allégories et des saisons dans des encadrements rocailles montre que Pierre sacrifiait au goût dominant.

 

          Les deux peintures (p. 251 et 252) dont l’attribution est incertaine ne manqueront pas de susciter l’intérêt des chercheurs. Les peintures rejetées, quant à elles, rappellent que Pierre avait un atelier actif et des élèves auxquels certaines œuvres ont pu être attribuées.

 

Dessins

 

          Nombreux, ils témoignent du recours à différentes techniques. Ils représentent pour la période romaine, divers édifices dessinés avec précision et des têtes d’après les fresques de Raphaël. A Rome, le peintre a également réuni en recueil cinquante-huit dessins, qui constitue le seul carnet connu : il garde le souvenir de ses observations d’hommes et d’animaux. Les suites dessinées d’après la Vie de Saint-Bruno d’Eustache Le Sueur témoignent, s’il en était besoin, de l’importance de ce cycle peint et du nécessaire travail d’étude. Quant aux académies et aux études d’hommes ou de femmes, elles rendent compte du souci d’exactitude et de la volonté de diversifier les postures. Pierre travailla aussi pour le livre à figures et plusieurs de ses compositions ont été gravées par C.N. Cochin ou Étienne Fessard, par exemple. Les caractéristiques stylistiques de ces illustrations, la mise en scène d’enfants dénudés permettent de les inscrire pleinement dans l’histoire du goût du siècle. Les projets décoratifs et les paysages viennent compléter la diversité iconographique de ces œuvres graphiques. Peintre de qualité, Pierre fut aussi un dessinateur au trait appréciable.

 

Gravures

 

          Comme nous l’avons mentionné, Pierre s’est adonné à l’art de la gravure, travaillant majoritairement à l’eau-forte. Les estampes dont le dessin est conservé permettent de percevoir que l’artiste maîtrisait cet technique.

 

 

Annexes

 

Iconographie, il s’agit ici de la présentation des portraits figurant le peintre. Face à ces notices se trouve la généalogie de la famille Pierre.

 

La chronologie reprend des informations liées à la vie et à la carrière du peintre. Elle fait aussi état des séances de l’Académie et replace les pièces de la correspondance.


La fortune critique, indispensable à toute monographie de qualité, souligne l’importance de l’artiste et permet de dresser l’état de la recherche au cours du XXe et du XXIe siècle.

 

L’inventaire après décès est retranscrit, avec ses ratures.


La bibliographie mêle les sources et les références modernes, mais distingue les catalogues d’expositions qui ne sont pas classés par lieu et date, comme le veut l’usage, mais selon un ordre chronologique.


L’index des lieux, des œuvres et des personnages cités qui clôt l’ouvrage est particulièrement utile.

 

            Cet ouvrage permet non seulement de proposer une chronologie et un catalogue qui faisaient défaut pour J.B. M. Pierre, mais aussi d’inscrire la carrière de cet artiste dans le contexte artistique du XVIIIe siècle. Le peintre, qui eut une carrière riche, un œuvre considérable, s’adonna avec constance à différents genres et techniques. Il fit front aux critiques et obtient le titre le plus envié, celui de Premier peintre. Son rôle de pédagogue fut lié à une réflexion sur l’enseignement des arts et le lecteur trouvera dans l’ouvrage les contours d’une histoire de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture.

 

          Nous ne pouvons que souligner la qualité de cette publication. Par les liens constants établis avec le contexte artistique ou historique, l’ouvrage permet de montrer non seulement que J.B.M. Pierre était un homme de son temps, mais aussi qu’il savait s’affranchir des modes. Les auteurs, grâce à un travail précis et nourri, participent avec cette publication pleinement à la vitalité de la recherche sur les arts et les artistes du XVIIIe siècle.

 

Table des matières

 

La vie et l’art de Jean-Baptiste Marie Pierre

La jeunesse et la formation 1714-1740, p. 17-39

Les années d’ascension 1740-1752, p. 41-73

La critique et la perception de l’œuvre de Pierre à la fin des années 1740, p. 75-91

Le temps des grands ensembles décoratifs, p. 93-133

Des doutes à la consécration, p. 135-149

Premier peintre du roi, p. 151-207

 


Catalogue de l’œuvre

 

Catalogue des peintures

Peintures datables, p. 211-309

Peintures non datables, p. 310-312

Peintures rejetées, p. 313-315

 

Catalogue des dessins 

Dessins datables, p. 316-455

Dessins non datables, p. 456-472

Dessins rejetés, p. 473-477

 

Catalogue des gravures

Gravures datables, p. 478-490

Gravures non datables et gravures rejetées, p. 491

 

Annexes

Généalogie, p. 494

Iconographie, p. 495

Chronologie, p. 496-513

Fortune critique, p. 514-529

Inventaire après décès, p. 530-541

Bibliographie, p. 542-556

Index, p. 557-575