Sabatier, Gérard - Torrione, Margarita: Louis XIV espagnol : Madrid et Versailles, images et modèles (actes du col­lo­que inter­na­tio­nal des 21, 22 et 23 octo­bre 2004 au châ­teau de Versailles, col­lec­tion « Aulica »), 17 x 24 cm, 350 p., 39 ill. noir et blanc, 40 pl. cou­leur, index, ISBN : 13 978-2-7351-1244-9, 43€
(coédi­tion Éditions de la Maison des scien­ces de l’homme / Centre de recher­che du châ­teau de Versailles 2009)
 
Rezension von Isabelle Richefort
 
Anzahl Wörter : 2194 Wörter
Online publiziert am 2011-07-25
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=966
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          C’est dans la collection Aulica, rassemblant les ouvrages issus des études menées par le Centre de recherche du château de Versailles et qui prétendent apporter un éclairage nouveau sur les lieux et expressions du pouvoir à Versailles et en Europe à travers une approche critique, pluridisciplinaire et comparatiste des cours, envisagée sous tous ses aspects (institutions, économie, société, rituels politiques, civilisation, art et culture), qu’ont été publiés en 2009, sous la direction de Gérard Sabatier et de Margarita Torrione, les actes du colloque Louis XIV espagnol : Madrid et Versailles, images et modèles organisé à Versailles  du 21 au 23 octobre 2004. A partir du portrait de Louis XIV par Lavisse, Gérard Sabatier évoque en introduction la lecture faite par les historiens des origines espagnoles du roi de France et de l’influence de celles-ci sur sa personnalité, sa politique, la vie même du royaume. Il expose que l’objet du colloque est de traiter des pratiques comparées des cours de France et d’Espagne au temps de Louis XIV et de Charles II.

 

          Les communications ont été regroupées suivant trois thèmes : « Représentations comparées des rois d’Espagne et du roi de France », « Usages de cour dans les dispositifs ritualisés de celle-ci », « Religions et imaginaires ». Toutes les communications n’intéressent pas directement l’historien de l’art et c’est, naturellement, le premier thème qui sollicitera le plus son intérêt.

Dans la partie consacrée aux  Représentations comparées des rois d’Espagne et de France, trois communications concernent le portrait peint du roi et les deux autres sa représentation dans la statuaire. Les deux premières analysent les caractéristiques des portraits des Habsbourg d’Espagne et notamment les portraits de Philippe IV et Charles II. Fernando Checa examine particulièrement trois éléments : l’idée de la persistance et de continuité du portrait de cour dans l’Espagne moderne, le sens de la « gravitas » qui le caractérise et le thème du roi caché. La conception de l’image du roi à la cour est attribuée à Antonio Moro et à Titien dont le système de représentation est fondé sur la continuité physique et la ressemblance physionomique.  Le portrait du Habsbourg se construit tout au long des XVIe et XVIIe siècles et la « gravitas » en est l’un des traits les plus significatifs. Avec les portraits de Charles II, la peinture atteint son apogée dans l’élaboration de la facies melancolica comme élément caractéristique de la maison d’Autriche en Espagne. Enfin F. Checa souligne le contraste, en matière de stratégie de représentation, entre l’occultation du roi d’Espagne et la situation des rois de France ainsi que l’exacerbation du cérémonial, qui atteint son apogée sous Philippe IV et Charles II et qu’illustre un certain nombre d’œuvres comme la rencontre de Louis XIV et de Philippe IV sur l’île de Faisans dans la tapisserie de l’Histoire du roi. Miguel Moran Turina évoque pour sa part les traditions picturales (Titien, Rubens, Velazquez) à partir desquelles se sont construits les portraits des rois d’Espagne au XVIIe siècle, en particulier ceux de Philippe IV et Charles II, et la manière dont la nouvelle dynastie s’est insérée dans cette tradition picturale. Malgré les différences, les portraits des souverains français et espagnols avaient une référence commune, Rubens. Ainsi, le grand portrait équestre de Philippe V de Ranc que le souverain fit accrocher dans le salon des Miroirs, à côté de ceux de ses prédécesseurs, se place dans la tradition des portraits de cour de Rubens et Giordano. Stanis Perez précise, quant à lui, le cadre dans lequel s’inscrit le portrait du roi de France (Testelin, Félibien, Charles Le Brun) et par lequel celui-ci devient presque une allégorie du pouvoir royal, en notant que le portrait du roi balance entre réalisme et convention. Plus qu’une personne c’est une fonction qu’il s’agit de dépeindre, avec ce qu’elle suppose de qualités corporelles, parmi lesquelles la beauté, considérée comme un des attributs du pouvoir. Peu à peu on cesse de représenter  les rois comme des divinités antiques et les particularités physiques telles le prognathisme des Habsbourg ou le nez busqué des Bourbons sont mises en évidence. C’est une statue de Louis XIV, due à Domenico Guidi, conservée dans les jardins de la villa Médicis à Rome, qu’examine Henrik Ziegler. Celle-ci se démarque des autres statues du souverain car elle le représente, certes avec le manteau fleurdelisé, mais aussi avec d’autres attributs, qui ne sont pas ceux des rois de France, mais ceux de l’empereur : armure d’empereur romain et globe. Réalisée durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, en 1697, par Guidi et Pierre Legros le Jeune sur une commande du prince Vaini, nouvel allié du parti français en Italie, cette statue affiche les ambitions impériales du Roi-Soleil et son intention d’établir sa domination sur l’Espagne en le représentant foulant aux pieds une peau de lion traditionnellement associée à l’Espagne. Statue anti-habsbourgeoise, elle valut au sculpteur des menaces. Enfin, Diane H. Bodart compare la statuaire et la géographie du pouvoir sous les règnes du roi d’Espagne Charles II et du roi de France Louis XIV. Les statues de Charles II sont mises en parallèle avec celles du souverain français : elles contrastent avec celles du roi de France par leur discrétion. Conformément  au Concile de Trente, les représentations du souverain étaient admises dans certaines limites, c’est-à-dire justifiées par des principes moraux, le mérite et la vertu. La célébration des souverains français et espagnols diffère donc par ses enjeux et sa dynamique.

 

          Dans le chapitre consacré aux usages de cour, quelques communications retiendront particulièrement l’attention de l’historien de l’art. C’est le cas de « L’espace du roi à la cour d’Espagne sous les Habsbourg » et de « La chapelle royale dans l’Alcazar de Madrid ». L’auteur de la première, José Luis Sancho,  considère l’espace du roi comme scène de sa représentation en tant que souverain et examine la vie cérémonielle qui se déroulait  dans le principal espace représentatif du roi, son palais de Madrid, l’Alcazar. Il souligne d’emblée une différence essentielle entre les deux monarchies : le roi d’Espagne est un guerrier qui est couronné mais, contrairement au souverain français, ce n’est pas un roi prêtre. J. L. Sancho émet l’idée que c’est peut-être pour compenser cette différence et à cause de l’héritage de Bourgogne, qui plonge ses racines en France et dans le Saint Empire, que la monarchie espagnole est si pointilleuse, devenant sur ce point un modèle que Louis XIV se devait de dépasser. Par ailleurs, l’Espagne est un  conglomérat de royaumes  et Madrid n’est que le siège de la Corte. Aussi la représentation des souverains se ressent-elle de cette différence de structures politiques et territoriales des deux monarchies. C’est sous Philippe IV que se codifie l’étiquette espagnole et, parmi les différentes résidences royales, l’Alcazar constitue le cadre de la vie cérémonielle et de la représentation. L’intérêt des Français pour cette façon de faire culmine avec Saint-Simon qui avait la nostalgie du cercle des grands autour de Charles II, où il voyait comme une image idéale du roi partageant le pouvoir avec les ducs et pairs. Développant cette question des rapports entre le roi d’Espagne et les grands, Antonio Alvarez-Ossorio Alvariño traite de « Versailles inversé », c’est-à-dire la monarchie sous l’empire des nobles du temps de Charles II, et de la chapelle royale dans l’Alcazar de Madrid en tant qu’espace courtisan (espace de sociabilité, espace d’exaltation de la vertu des monarques, plateforme de l’opposition politique de l’aristocratie à l’autorité royale). Depuis l’accession de Charles II au trône, trois images s’étaient imposées, celles d’un roi enfant, d’un roi prisonnier et d’un roi ensorcelé. L’iconographie du souverain avait été éclipsée par les représentations de ceux qui exerçaient réellement le pouvoir : portrait de la reine Marianne de la Galerie nationale de Poznan (la plume à la main, répondant à une missive scellée), puis de Juan José d’Autriche. Certaines célébrations liturgiques permirent toutefois de rétablir la réputation perdue du roi. Ainsi le tableau de Claudio Coello peint pour la sacristie du monastère de l’Escurial représente la pietas eucharistica du monarque et exalte la dévotion du prince catholique. L’histoire du costume est illustrée dans le volume par la contribution de Françoise Têtart-Vittu, « A l’espagnole ou à la française : résistances et emprunts dans la mode de cour ». L’antagonisme du vêtement à la française ou à l’espagnole est un enjeu capital dans une politique de l’image. L’habit du roi d’Espagne doit être noir et c’est ainsi que Charles II est représenté  en 1670 et Philippe V en 1701. On peut donc distinguer un costume prototype pour chaque cour. La contribution d’Alexandre Maral sur le système dévotionnel de Louis XIV à Versailles évoque la chapelle royale comme cadre particulièrement adapté au système dévotionnel. La chapelle dite de 1682 s’intégrait en effet dans un dispositif cérémoniel  destiné à magnifier les moments de la journée que le roi passait à la chapelle, en particulier celui de la messe du matin. Relativement discrète au sein du programme d’ensemble, l’iconographie proprement royale consiste avant tout dans l’évocation de figures tirées de l’Ancien Testament ou de l’histoire de l’Eglise.

 

          Enfin, la contribution de Margarita Torrione, qui évoque la question de l’influence espagnole dans l’éducation des enfants de France, révèle qu’un sujet tiré de la littérature espagnole faisait partie de la culture visuelle des enfants de France, celui de Don Quichotte de Cervantès. La première représentation de Don Quichotte est due à Jean Monier au château de  Cheverny près de Blois, sous forme de trente-quatre panneaux de bois datant de 1630. Le roman de Cervantès fut popularisé en France par trente-huit planches de Jacques Lagniet.

 

           En conclusion, les actes de ce colloque constituent un apport appréciable à la réflexion sur le thème du portrait du roi, dispositif complexe du système monarchique, et de ses codes figuratifs dans l’Europe du XVIIe siècle. Les différentes études portent sur les portraits physiques des rois français et espagnols, les insignes de leur souveraineté et leurs costumes ainsi que sur leurs représentations qui donnent à voir le roi absent ou redoublent en leur présence l’incarnation du pouvoir. Le cadre de la mise en scène du pouvoir et de la vie cérémonielle de la cour, l’Alcazar, d’une part, Versailles, d’autre part, sont examinés. La fabrication de l’image publique du roi dans l’imagination collective y est également analysée ainsi que les mécanismes de la fabrication de cette image.  Différences et points communs entre les représentations peintes et sculptées des souverains de part et d’autre des Pyrénées sont ainsi mis en évidence, révélant des conceptions différentes de la monarchie et de stratégie d’utilisation de l’image. Enfin, la diffusion des images de part et d’autre des Pyrénées est effleurée avec le succès de Don Quichotte.  

 

Sommaire

 

Il était de France, mais d’Espagne tout autant… » 

Gérard Sabatier, p. 1

 

Représentations

Comment se représente un Habsbourg en Espagne ? 

Fernando Checa, p. 17

 

Le portrait royal à l’espagnole sous Philippe IV et Charles II

Miguel Moran Turina, p. 39

 

« Quelques poils au bas de la bouche » ou les enjeux du portrait du roi

Stanis Perez, p. 57

 

Le lion et le globe : la statue de Louis XIV par Domenico Guidi ou l’Espagne humiliée

Hendrik Ziegler, p. 75

 

Statues royales et géographie du pouvoir sous les règnes de Charles II et de Louis XIV

Diane H. Bodart , p. 95

 

Usages de cour

 

L’espace du roi à la cour d’Espagne sous les Habsbourg

José Luis Sancho, p. 119

 

Versailles inversé : Charles II, ou la monarchie sous l’empire des nobles

Antonio Alvarez-Ossorio Alvariño, p. 137

 

La chapelle royale dans l’Alcazar de Madrid : un espace courtisan

Antonio Alvarez-Ossorio Alvariño, p. 155

 

Les usages de cour à Madrid et à Versailles 

Béatrix Saule, p. 173

 

Un souverain sans gravité : Louis XIV et sa famille (vers 1680)

Xavier Le Person, p. 185

 

A l’espagnole ou à la française : résistances et emprunts dans la mode de cour 

Françoise Têtart-Vittu, p. 203

 

Religion et imaginaires

 

Le système dévotionnel de Louis XIV à Versailles

Alexandre Maral, p. 221

 

De la piété personnelle de Louis XIV 

Bernard Hours, p. 237

 

Le messianisme de Louis XIV : un modèle espagnol ?

Sylvène Edouard, p. 255

 

L’Espagne dans l’éducation des enfants de France : Don Quichotte, le miles gloriosus de Philippe d’Anjou, 1693

Margarita Torrione, p. 271

 

Philippe V et Louis XIV : héroïsme et imaginaire populaire dans la littérature de colportage pendant la guerre de Succession d’Espagne

Céline Gilard, p. 289

 

Epilogue

 

Que reste-t-il des Pyrénées ?

Gérard Sabatier, p. 303

 

Index, p. 319

Table des illustrations, p. 331

Crédits photographiques, p. 339

Liste des auteurs, p. 341