Karlshausen, C.: L’iconographie de la barque processionnelle divine en Egypte au Nouvel Empire, (Orientalia Lovaniensia Analecta, 182), XX-409 p., ISBN: 978-90-429-2118-4, 75 euro
(Peeters, Leuven 2009)
 
Recensione di Frédéric Payraudeau, Collège de France
 
Numero di parole: 1087 parole
Pubblicato on line il 2010-05-31
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=984
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          L’ouvrage est la publication d’une thèse datant d’une douzaine d’années. Cette publication un peu tardive n’est cependant pas entachée par des retards bibliographiques ou documentaires, ce dont on peut louer l’auteur. Le sujet, les barques sacrées processionnelles, a déjà été abordé par l’auteur dans plusieurs articles. Il n’avait cependant jamais été traité de manière aussi globale et ce livre est donc appelé à devenir une référence en la matière. La problématique, large, est celle de la compréhension du rôle des barques processionnelles divines dans la religion, tel qu’on peut le postuler à partir des représentations puisque trop peu d’exemplaire réels nous ont été préservés et que l’approche textuelle reste peu instructive.

 

 

 

          Le thème est traité de manière chronologique et ensuite thématique. La première partie (p. 6-31) reprend les exemples plus anciens de barques divines, c’est-à-dire des mentions textuelles (Textes des Pyramides) pour l’Ancien Empire et des descriptions de fêtes avec représentations au Moyen Empire. Les données concernent donc surtout des barques de Rê, d’Amon et d’Osiris, mais l’auteur émet l’hypothèse intéressante que la réalité de la barque processionnelle pourrait bien avoir été inventée à Abydos au tout début du Moyen Empire.

 

 

 

          La deuxième partie (p. 32-142) s’intéresse à l’évolution de la barque au Nouvel Empire, d’abord à la XVIIIe dynastie puis à l’époque ramesside (XIXe-XXe dynasties). Il y a là une plus grande variété d’attestations de Karnak à Thèbes-ouest et jusqu’en Nubie. Même si la large majorité des documents concernent les barques de la triade thébaine (Amon, Mout, Khonsou), des nombreuses autres barques sont attestées (Montou, Nekhbet, Khnoum, Horus). On peut s’interroger sur la pertinence d’avoir séparé la présentation des barques sur les murs des temples et celles des documents privés, les artistes décorant les uns étant aussi auteurs des autres et leur iconographie s’influençant l’une l’autre. La troisième partie (p. 143-152), bienvenue, permet de boucler le cadre chronologique en évoquant l’iconographie des barques divines après le Nouvel Empire à partir des exemples de la Troisième Période intermédiaire (Temple de Khonsou à Karnak, de Bastet à Bubastis) et de la Basse Époque (chapelle d’Achoris à Karnak).

 

 

 

          La quatrième partie (p. 154-243) est dévolue à une description détaillée et méticuleuse de tous les éléments décoratifs de la barque : forme de l’embarcation, des figures de proue et de poupe (souvent à figure divine), statuettes sur le pont, le naos, le dais, la voile, les rames, etc. Chacun de ces éléments peut se révéler important pour l’évolution des pratiques cultuelles mais aussi comme critères de datation d’une représentation de barque. Certain détails ne me semblent cependant pas aussi significatifs que l’auteur semble le penser, notamment, si le choix global des couronnes (p.163-166) coiffant les figures de proue est certainement justifié théologiquement, il ne semble cependant pas y avoir de règles très strictes. Un exemple inédit montre d’ailleurs que l’usage de la couronne-atef, que l’auteur veut, dans une démonstration un peu alambiquée, limiter au règne d’Horemheb (XVIIIe  dynastie), était encore effectif à la fin de la XXIe dynastie (stèle inédite du chef Nimlot à Karnak).

 

 

 

          La cinquième partie (p.244-285) évoque le contexte architectural et iconographique des reliefs représentant des barques, qu’elles soient portées sur les épaules des prêtres ou posées sur des piédestal-reposoirs. On note alors un choix très net dans les rituels figurés. Au début de la XVIIIe dynastie, les rituels sont les mêmes que ceux effectués devant la statue de culte alors que par la suite, ils se limitent à l’encensement et la libation, le dernier et unique rite représenté devant la barque en procession, ce qui laisse finalement supposer que dans ces cas, l’embarcation divine est figurée en mouvement.

 

 

 

          La sixième partie (p. 262-298) s’intéresse aux descriptions des barques divines dans les textes du Nouvel Empire, avec tout un développement sur le vocabulaire de chaque élément. Les chapitres VIII et IX approfondissent la question très pratique de ce qu’était une barque divine en réalité et de ce qu’elle contenait. Malheureusement, peu d’exemplaires de barques nous sont parvenus. De même, on possède peu d’exemplaires de statuettes destinées à être ainsi véhiculées. L’auteur souligne bien d’ailleurs que les représentations restent discrètes sur le contenu de la barque divine, à tel point qu’on est en droit de se demander s’il y avait bien une statue dans le naos posé sur l’embarcation. Ce n’est finalement qu’en confrontant plusieurs textes d’Abydos et de Dendara que C. Karlhausen parvient à démontrer de manière plausible la réalité de la présence d’une statue divine dans la barque.

 

 

 

          La synthèse qui conclut l’ouvrage rappelle les acquis en matière d’iconographie et évoque le rôle de la barque dans les cultes au Nouvel Empire, notamment à Thèbes. C’est en effet à  partir du voyage d’Amon dans sa barque que se développent de grandes processions festives de Karnak vers Louqsor mais aussi vers tous les « temples de millions d’années » de la rive ouest. Les souverains du Nouvel Empire vont choyer ces parcours en multipliant les chapelles-reposoirs, mais aussi en réservant un sanctuaire de barque pour la triade thébaine dans leurs temples funéraires. C’est à travers sa manifestation processionnelle, qu’Amon joue aussi un rôle oraculaire, donc politique. Hatshepsout, comme Thoutmosis III, utiliseront ce moyen pour légitimer leur pouvoir. A la fin du Nouvel Empire et durant une partie de la Troisième Période intermédiaire, cet oracle d’Amon va devenir le vecteur du pouvoir théocratique face à une monarchie diminuée. Dès le début, la barque processionnelle a aussi été un moyen de montrer le dieu au peuple, ce qui explique le développement de la piété personnelle et populaire.

 

 

 

          L’ouvrage se termine par un catalogue presque complet de 97 représentations de barques divines du Moyen Empire jusqu’à la fin du Nouvel Empire, avec leur bibliographie complète. Toutefois, le lecteur risque d’être gêné par l’absence de renvois aux planches.

 

 

 

          Un soin particulier a manifestement été porté dans cet ouvrage à l’iconographie, comme il se devait avec un tel sujet. On pourra regretter que les planches soient toutes reportées en fin de volume, ce qui ne facilite pas toujours la compréhension dans les descriptions, mais leur qualité est exemplaire, puisque figurent à la fois des dessins au trait des reliefs, des reconstitutions en trois dimensions des barques et des planches couleurs des reliefs peints, notamment ceux d’Abydos. L’ouvrage ainsi présenté permet donc se faire une idée très claire et précise de ce qu’est la barque divine, de son rôle et de son évolution, non seulement au Nouvel Empire, mais aussi pendant l’ensemble de la période pharaonique, apportant ainsi une pierre importante à la compréhension de la religion égyptienne.