Moretti, Jean-Charles (éd.): Fronts de scène et lieux de culte dans le théâtre antique, (TMO 52), ouvrage broché, ISSN 0766-0510, ISBN 978-2-35668-010-5, 28 € TTC.
(Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, Lyon 2009)
 
Compte rendu par Laurence Cavalier, Université Bordeaux 3
 
Nombre de mots : 1695 mots
Publié en ligne le 2010-07-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=990
Lien pour commander ce livre
 
 

          Publié en 2009 dans la collection « Travaux de la Maison de l’Orient » et édité par Jean-Charles Moretti, ce livre constitue les actes de deux journées d’études consacrées pour l’une aux fronts de scène des théâtres (janvier 2006), pour l’autre aux lieux de culte dans ces mêmes édifices (janvier 2007). L’ouvrage, qui compte 239 pages, rassemble dix contributions bien illustrées, avec bibliographie en fin de texte, ainsi qu’un index des lieux. Comme le précise l’éditeur, le livre est présenté suivant un plan chronologique et non pas thématique.

 

          Dans le premier article du recueil, Jean-Charles Moretti et Christine Mauduit s’interrogent sur la valeur que prend le mot thymélè dans un contexte théâtral. Le terme signifie originellement « foyer », pouvant, selon les textes, désigner un espace particulier du théâtre ou le théâtre lui-même ; son intégration au lexique théâtral pourrait être due à l’utilisation dans l’édifice d’un autel portatif qui, placé dans l’orchestra avant les représentations, lui aurait donné son nom, à moins que le mot, qui renvoie à la morphologie de l’autel (table), n’ait désigné l’estrade (scène). 

 

          Cette première contribution fournit une introduction à l’article de Jean-Charles Moretti consacré aux lieux de culte dans les théâtres grecs. L’auteur envisage d’abord les lieux de culte associés aux théâtres de rituels, édifices toujours construits à l’intérieur d’un sanctuaire et qui présentent des caractéristiques architecturales et organisationnelles qui les différencient des théâtres de concours. En tête des exemples présentés, le sanctuaire à mystères d’Éleusis dans lequel trois constructions à degrés ou gradins pouvaient accueillir des spectateurs et celui de Samothrace où l’on trouve cinq édifices d’assemblée (dont le théâtre) dotés de gradins ou de banquettes. Parmi les nombreux exemples où théâtre et autel sont associés, on retiendra le sanctuaire de Déméter à Pergame où une construction à gradins domine la terrasse du temple et, singulièrement, les autels occupent le parvis de celui-ci. La présence d’autels dans les théâtres de concours est plus difficile à expliquer, le sacrifice ayant lieu avant le début des concours. Ils y sont de toute façon rares à l’époque classique et hellénistique et traduisent souvent une utilisation secondaire de l’édifice.

 

          La nouvelle restitution du théâtre de Pompée proposée par A. Monterroso Checa fournit l’occasion à Pierre Gros de faire le point sur les sanctuaires in summa cavea.  Le théâtre de Pompée, qui montre plusieurs caractéristiques du théâtre grec de Vitruve, aurait peut-être été intentionnellement conçu comme un accès monumental aux chapelles qui dominaient la cavea, le front de scène n’ayant pris sa forme définitive que sous les Julio-Claudiens. On peut désormais restituer ces chapelles à l’intérieur d’un temple à cella barlongue inséré au sommet de la conque des gradins, la chapelle principale, celle de Vénus Victrix, étant placée au centre du temple. On a longtemps pensé que les plus anciens théâtres à temple in summa cavea se trouvaient en Asie Mineure, mais les  dernières études menées notamment à Stratonicée et Pessinonte  n’excluent pas une antériorité dans ce domaine du théâtre de Pompée.

 

          Le caractère grec du théâtre de Pompée est également souligné par C. Saliou qui, dans un passionnant article, donnait en avant-première au lecteur une partie du commentaire du livre V de Vitruve qu’elle vient de publier. La distinction que fait Vitruve entre théâtre latin et théâtre grec et qui se traduit par des différences concernant les dimensions de l’orchestra, la position du front de scène et les dimensions du pulpitum/logeion vaut également pour les types de spectacles qui y sont organisés. Dans une seconde partie, C. Saliou commente les prescriptions vitruviennes concernant l’élévation du front de scène (superposition des ordres) et l’organisation planimétrique de celui-ci  avant d’envisager, dans une dernière partie, la question des décors en évoquant les équipements permettant leur mise en place et, surtout, en replaçant la typologie de Vitruve (décor tragique, comique et satyrique) dans l’histoire culturelle de son temps.

 

          L’architecture du front de scène du théâtre d’Orange fait l’objet de la contribution de Gilles Sauron. Remarquable par la position de la regia à l’intérieur d’une grande exèdre qui, par sa concavité, symbolise le ciel, il est conçu comme une allégorie du cosmos de l’Âge d’or augustéen, image encore renforcée par les thèmes développés sur les frises découvertes lors des fouilles du théâtre et que l’on restitue sur le mur de scène (amazonomachie, cortège dionysiaque, Victoires et centaures).

 

          Dans un article long et dense, E. Rosso s’intéresse particulièrement au « mobilier » statuaire des théâtres et pose la question de la fonction des statues (honorifique, cultuelle, ornementale) en insistant plus particulièrement sur les portraits impériaux. Le format, la localisation de la statue dans le front de scène et l’identité des statues qui l’accompagnent dans le même ensemble permettent de décider si l’on est ou non en présence d’une statue de culte (exemple d’Arles avec l’association d’Auguste et Apollon, la présence de Dionysos). L’étude minutieuse des fronts de scène d’Arles, Orange et Vienne permet de montrer le rôle de modèle joué par le temple d’Apollon in Circo (décor du fronton et de l’intérieur de la cella). Des similitudes frappantes dans l’organisation du mur de scène existent également avec le théâtre de Corinthe (association d’une statue impériale et de frises à thèmes héroïques et triomphaux). E. Rosso présente ensuite les programmes décoratifs des théâtres de Hiérapolis de Phrygie (portraits impériaux sévériens et personnifications, nombreuses représentations d’Apollon) et de Suessa Aurunca. Dans ce dernier, la statue principale est celle de Matidie-la-jeune, peut-être représentée comme personnification de Luna et dont le mouvement évoque celui d’une Victoire prête à prendre son envol. Des statues de même type apparaissent dans d’autres théâtres (« Danseuses » d’Arles, statue du théâtre de Lyon). La dernière partie de la contribution est consacrée à une réflexion sur la valeur symbolique du théâtre en tant qu’image du monde, un monde dont l’harmonie est garantie par Rome.

 

          Après une utile mise à jour des recherches et publications concernant les monuments publics d’Hispanie et, en particulier, les théâtres, S. F. Ramallo Asensio présente de façon thématique (épigraphie, statuaire, autels, aménagements de la cavea, porticus post scaenam, constructions périphériques) les éventuels témoins d’une activité cultuelle dans ces édifices. Les nombreuses inscriptions mentionnant des personnages de la famille impériale (exemple du théâtre de Carthagène), tout comme les statues de ces derniers, sont autant d’outils de propagande. Dans le front de scène, ces statues officielles voisinent avec des statues divines dont il est difficile de décider si elles n’ont qu’une valeur ornementale ou si elles font partie d’un véritable programme. Alors que plusieurs autels provenant des différents théâtres portent des décors évoquant Dionysos, les autels de Carthagène, de style néo-attique, font référence à la triade capitoline symbolisée par l’aigle, le paon et la chouette. Les espaces sacrés aménagés dans les théâtres sont rares : il existait peut-être un sacellum in summa cavea à Bilbis ou encore à Cordoue. La porticus post scaenam peut aussi recevoir des aménagements cultuels. C’est le cas à Italica (chapelle dédiée à Isis) et peut-être à Segobriga. Les constructions périphériques (Cordoue, Carthagène) sont mal connues. Au total, on n’a que peu de preuves concrètes d’activités cultuelles dans les théâtres.

 

          M. Fincker et J.-Ch. Moretti, qui ont entrepris l’étude du théâtre de Baelo en vue de sa publication,  proposent une étude architecturale de son bâtiment de scène déjà très complète, mais qui ne permet pas encore de le restituer au-delà du plan de son premier niveau. Les auteurs reviennent sur la datation de l’édifice fixée jusque-là à l’époque néronienne pour la replacer de façon convaincante au tout début de l’Empire. Cette nouvelle datation se trouve  étayée si l’on admet que le remarquable dispositif tripartite aménagé au sud de la porte royale abritait, peut-être à l’occasion de processions, des statues de la triade capitoline dans ce cas venues du Capitole proche, les deux édifices faisant partie d’un « complexe politico-religieux ».

 

          D. Tardy tire parti de la maigre documentation disponible sur l’existence de lieux de culte dans les édifices de spectacle gallo-romains pour présenter une intéressante synthèse sur ces aménagements.  Si seul le théâtre de Vienne a été doté d’un sacellum in summa cavea, le théâtre de Vendeuil-Caply possède, dans l’ima cavea, un aménagement particulier, par ailleurs bien attesté pour les amphithéâtres, dont la fonction cultuelle est assurée grâce à la découverte des fragments d’un autel dans les niveaux de destruction. Ces dispositifs doivent être mis en rapport avec les processions qui se déroulaient dans les édifices de spectacle et qui mettaient en scène des imagines. La deuxième partie de la contribution concerne les théâtres élevés dans les sanctuaires, qu’il s’agisse de théâtres prenant place à l’intérieur du téménos d’un temple (Champlieu), ou de constructions à gradins à fonction de théâtre de rituel (Avenches), le théatron du Puy de Dôme constituant un cas à part. Au total, comme l’avait déjà souligné S. F. Ramallo Asensio pour l’Hispanie, on connaît peu de choses du rôle cultuel des théâtres en Gaule.

 

          La dernière contribution de l’ouvrage, due à J.-P. Fourdrin, est une minutieuse étude architecturale du front de scène du théâtre de Palmyre. Après une première partie historiographique, l’auteur présente la restitution des parties effondrées du bâtiment de scène (entablement du premier niveau, baldaquin) à partir de l’étude systématique des blocs dégagés lors des fouilles de l’édifice. La description des abords de l’édifice pousse à s’interroger sur les relations entre celui-ci et la grande colonnade.  L’observation des vestiges montre que le front de scène devait, à l’origine, posséder trois niveaux superposés et que sa construction a dû être interrompue, hypothèse confortée par l’existence d’une paroi provisoire dans la cavea qui trahit  un arrêt du chantier. Dans une dernière partie, J.-P. Fourdrin aborde la question de la date de construction de l’édifice que la plupart des spécialistes placent à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle ap. J.-C, en favorisant plutôt, sur la base de critères épigraphiques et historiques, une datation tardive.

 

          Au total, J.-Ch. Moretti offre au public un ouvrage collectif riche, qui se lit avec plaisir et qui fait le point, à partir de l’étude de l’organisation planimétrique, de l’architecture et de l’ornementation des édifices de spectacle, sur la question passionnante des rapports entre ces monuments et les rites qui y prenaient place.